Robbing Millions : sur le bout des doigts


J’ai toujours eu un penchant pour les groupes où l’on sent que les musiciens ont une maîtrise de leur instrument et qu’ils la restituent à leur public avec justesse et parcimonie. Je n’aime pas la virtuosité quand elle n’est qu’un moyen décharné d’empiler les notes, je la préfère quand elle se fait le véhicule de structures et de couleurs musicales originales et innovantes. En bref, la forme au service du fond, et non l’inverse. Car je crois que dans mon esprit, il existe une limite assez claire entre les musiques techniques démonstratives où les partitions sont au service de la dextérité des doigts des musiciens et celles où la technicité des morceaux n’est qu’un élément parmi tant d’autres, un champ de possibilités permettant de désosser les structures pop jouées à l’avance, de creuser vers des sonorités parfois dissonantes.

Ce sont sur ces principes que surfent les cinq de Robbing Millions. A l’écoute de leur premier EP, Ages and Sun, la première chose qui m’a sauté aux yeux, c’était justement la prouesse technique qui se cache derrière des morceaux efficaces, en apparence pop. Quand on met Ages and Sun dans le lecteur et qu’on lance le premier titre, « Tenshihan », le gimmick de guitare met de suite les pendules à l’heure. C’est peut-être une influence des radios belges, telle que Classic 21. En France, pour entendre un morceau de Led Zep ou de Ten Years After, il faut trouver le bon canal, la perle rare. Mais je m’égare, et les choix éditoriaux des radios n’ont sûrement rien à voir là-dedans. Toujours est-il qu’à mon avis, Robbing Millions fait partie de ces groupes qui réintroduisent la virtuosité dans le rock, et d’autant plus dans le rock indé. Car mis à part un panthéon de rock stars sur-médiatisées, les groupes qui en font des caisses en la matière ne sont pas toujours les plus appréciés : les soli trop étirés sont parfois perçus comme des objets musicaux que seul un petit groupe de geeks apprécie, ravis de s’ébahir devant la mobilité des doigts de leurs starlettes. C’est peut être l’époque d’un changement. Le retour des virtuoses, qui se mélangent désormais aux paysages complexes des musiques actuelles, où coexistent musiques sans solo, soli radiophoniques chronométrés et soli d’improvisation.


On peut lire dans les blogs spécialisés que Lucien Fraipont, guitariste et grand manitou de Robbing Millions, est aussi un as du jazz, officiant dans de nombreuses formations de la capitale belge tel que Winchovski. La filiation se trouve donc aussi dans le jazz, et on est pas surpris d’entendre des partitions de guitares où le poids de chacune des notes est géré au millimètre. Pourtant, les Robbing Millions sont bien loin d’une filiation trop évidente avec certains genres, certains classiques. Ils semblent avoir digéré une flopée d’influences variées qu’ils assemblent au gré de leurs envies pour construire ce qui m’est apparu somme toute comme un ovni de la scène rock indé. Les registres abordés sont innombrables, on y trouve une pincée de folk, une once de jazz, un zeste de transe ; bref, un gloubi-boulga à la recette complexe. Mais j’ai l’impression que pour eux, le nerf de la guerre, c’est le trip. Poussez à fond votre ampli et enfoncez deux fois la touche « skip » pour arriver au troisième morceau, celui qui porte le nom de l’EP, « Ages and Sun ». L’intention est assez claire : faire planer. Psychédélique, le mot est lâché. Les voix jumelles se superposent, la basse danse là où on ne l’attend pas, les nappes de clavier apaisent le mouvement… On s’embarque en deux mesures dans leur univers et on oublie finalement assez rapidement que ces cinq fantastiques connaissent leurs gammes sur le bout des doigts.

Par Nicolas Fait

Crédit photo : Marine Dricot



Rentrée 2014 : notre sélection


Été pourrave, nous l’avons tous pensé. Pour la plupart d’entre nous, l’été au sec, c’était l’été à la maison. Il n’y avait plus qu’à lire et à relire, à reclasser sa collection de CD et de vinyles, à espérer qu’un bon hors série estival sorte chez les marchands de journaux. Après avoir lu et relu ; épousseté et trié ses collections respectives de médias musicaux, l’équipe SUBJECTIVE a préparé la rentrée de bon train entre deux éclaircies. D’ici l’arrivée du Père Noël, quatre groupes de la scène émergente de l’hexagone (ou presque) seront à l’honneur dans nos colonnes.

Robbing Millions. Commençons par la Belgique, pour changer. Il s’y passe un tas de choses fantastiques que nous aimerions vous relater avec plus d’assiduité, mais nous avons notre ligne éditoriale : SUBJECTIVE, c’est l’émergence dans l’hexagone. Seul Robbing Millions pouvait nous décider à un faire un pas de côté, à franchir temporairement la frontière. Derrière une esthétique soignée se cache un groupe de virtuoses au service d’un rock indé planant. Rendez-vous dans quelques jours pour en savoir plus.

Nicolas Paugam. Mais qui c’est celui-là ? Une poule pondeuse de mélodies délurées aux empreintes tropicales assaisonnées d’une voix aigrelette. Ex-Da Capo, ses compositions solo évoquent un jazz manouche en vadrouille au Brésil et ses textes tendent vers un surréalisme fringant. Les critiques que l’on peut lire à son sujet sont toutes fraîches et leurs rédacteurs s’étonnent de ne pas en avoir entendu parler plus tôt alors qu’il officie depuis déjà une bonne demi-douzaine d’années. Le banc de ses fans doit une reconnaissance éternelle à l’équipe de la Souterraine qui, au printemps 2014, a décidé d’éditer une compilation de ses meilleurs titres.

Shadow Motel. Nous avions un peu déserté la scène lilloise, de manière tout à fait injustifiée. Nous rectifions le tir avec un focus hivernal consacré à un groupe septentrional déjà largement apprécié. Ce trio aligne les morceaux hypnotiques les uns après les autres, dans un registre psychédélique en noir blanc. Un psychédélisme sans couleur et sans fleur où la transe vient du vrombissement du clavier de la chanteuse et où l’onirisme se niche dans les effets de guitare.

Colo Colo est un (énième) projet de Jean-Sébastien Nouveau, gourou de la scène indé française qui fit beaucoup de bruit avec Les Marquises, formation délirante pour oreilles exigeantes aux membres aussi nombreux que prestigieux (entre autres, Etienne Jaumet et Benoit Burello). Mais le spectre sur lequel glissent les activités musicales de Jean-Sébastien Nouveau embrasse aussi bien les musiques expérimentales que la pop. Avec Colo Colo, ce qui nous plaît ce sont ces mélodies douces et sucrées qui prospèrent sur des structures simples assorties d’arrangements légers et subtils. Si cet été vous avez trop dansé sur de l’eurodance de basse qualité dans les boîtes de nuits douteuses de la côte, ce sera l’occasion parfaite de vous remettre d’aplomb avec une musique qui sait concilier qualité et joie de la piste, mais qui vous évoquera aussi une fin de soirée sur la plage, à contempler les nuages filer dans le ciel étalé de tout votre long dans le sable tiède.

Le tout à écouter sur notre soundcloud :

A très bientôt pour la suite !

Par Nicolas Fez



Marc Desse : chambre noire


Un poil avant les vacances d’été, quelques réflexions avec Marc Desse autour de l’écriture en français, des projets soli, du rock, en France ou ailleurs, des collections de disques ou encore des sorties de métro.

Au siècle dernier Renaud déclamait « Pas d’amis pas d’parents pas d’relations, Ma famille c’est la prison, Mon copain c’est mon blouson ». « Marc Desse »: c’est toi contre le reste du monde ? Composes-tu seul ?

C’est vrai, j’ai été assez seul ces dernières années en ce qui concerne la création. Au départ c’était ma volonté de prendre du large, explorer mes limites… Ensuite c’est aussi une question de rencontres. Il n’est pas facile de trouver un bon partenaire musical. Lorsque on n’est pas sûr et qu’on a les moyens de le faire seul autant continuer.

Tu as enregistré « Video Club » tout seul à l’exception de la batterie. Conçois-tu toujours la totalité de tes arrangements ?

Jusqu’à présent oui. Je suis seul juge de mes arrangements.

Imagines-tu avoir un groupe que tu laisserais davantage s’immiscer dans l’écriture de ta musique ?

Bien sûr ! Au fond de moi je sais qu’un jour j’aimerais faire partie d’un groupe. Ça viendra, j’en suis certain.

Ton précédent groupe, Théâtre Métamorphosis, était un trio avec une boîte à rythme. La musique était un peu plus tendue, plus post punk. Tu imagines refaire des chansons avec cet instrument ?

A cette époque je ne jurais que par les boîtes à rythme. Maintenant c’est l’inverse, j’ai voulu avoir de la vraie batterie sur mes morceaux depuis « Video Club ». A l’avenir je ne m’interdit rien, tout est possible !

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La Féline: le bleu de l’enfance


la féline adieu l'enfance ep

La Féline, que nous chérissons depuis presque toujours, a récemment sorti un trois-titres qui continue de séduire le plus grand nombre.

Adieu l’Enfance préfigure un album éponyme à venir pour le début de l’automne 2014, et d’ici là, deux titres orignaux à se mettre sous la dent pour patienter (et un « rework » du titre phare). Retour sur cette collation au travers de quelques questions.

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Ton album sortira début octobre chez Kwaïdan Records. Depuis quand collabores-tu avec ce label ? Qu’en retires-tu ?

J’ai rencontré Marc Collin, il y a maintenant plus d’un an. Nous avions écouté mes démos, échangé, parlé de musique en général et en étions restés là. Plusieurs mois plus tard, il m’a invitée à jouer dans une soirée dont il était programmateur, le show lui a plu et il m’a proposé ensuite d’accompagner la Féline sur la sortie de l’album. Marc est le DA idéal, c’est-à-dire qu’il ne joue pas au DA justement, il me laisse faire ce que je veux. Il sait que j’ai mûri ce disque depuis très longtemps, il me fait confiance. Du coup, c’est un peu comme avant puisque je continue à faire face à mes intentions artistiques toute seule, mais Kwaidan m’apporte un soutien matériel, une équipe, une confiance aussi qui fait que je me sens épaulée. C’était déjà bien sûr le cas avec les Balades Sonores, Thomas Changeur en particulier qui s’est énormément investi pour la Féline depuis 2011, mais Kwaidan m’apporte maintenant la structure de label plus classique dont j’avais besoin.

Les deux titres de l’EP figureront-ils tous deux sur l’album ? Comment s’intitulera cet opus ?

Il y a trois titres sur l’EP : « Adieu l’enfance », « Dans le doute » et un rework solo d’Adieu l’enfance : ce dernier titre figure exclusivement sur l’EP. Une version vidéo live en sera bientôt publiée. Quant au titre de l’album, ce sera Adieu l’enfance LP. J’assume ce côté totalement obsessionnel.

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Marc Desse @Passer le Périph’ (2014)


Ce jour là, vous n’aviez pas « passé le périph ». Vous êtes rongé par les regrets, vous vous en mordez les doigts. Le tout-Paris extra-muros en parle, et vous, vous restez coi, à ne pas savoir ce qu’il s’y est passé, à ne pas bien comprendre ce que vous avez manqué. Fort heureusement, Subjective y a envoyé une de ses recrues filmer un fragment de la performance de Marc Desse.

Ce fragment, le voilà. « Plus louche que toi », titre extrait de l’album Nuit Noire.

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GAZOLINE / French manucure


Gasoline verso

« French manucure », c’est comme ça que tu m’appelais lorsque tu déboulais dans la cuisine le sourire en coin, une canette de Monster à la main.

En bon débutant que j’étais, je me disais qu’un vrai guitariste devait se laisser pousser les ongles… Grave erreur. C’était mon premier groupe et j’étais le chanteur… Toi, tu ne faisais que passer.

Toujours couvert de la tête aux chevilles de ce long pardessus bleu marine, tu me faisait penser à un Corto Maltese qui se serait égaré entre 75 et 78 dans la cave du Gibus ou au château d’Hérouville.

Aujourd’hui je pense à toi, à cette chanson que tu enregistras debout sur un piano à battre ta guitare jusqu’au sang.

Radio FLic!

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Marc Desse : Nuit Noire


« Tout recommencer à zéro, tout recommencer à zéro… » J’ai entendu cette chanson de Granville un jour dans ma cuisine. Elle passait sur France Inter, la radio qui permet aux fonctionnaires de rester dans le coup et de deviser à la cantine sur Florence and the Machine et Anna Calvi. Grâce cette programmation, prompte à défendre le service public, je commençais bien ma journée, assez content d’entendre de la pop plaisante et chantée en français, passée aux heures de grande écoute, car quand toute votre vie, c’est avec les radios belges que vous avez fui le désespoir des ondes françaises, il est toujours étonnant d’y entendre ce qui se rapproche d’une bonne chanson.

Les mentalités évoluent et le bon goût est entré dans les chaumières un peu en même temps que l’ADSL. Les Mustangs, La Femme et Aline remplissent les salles et les festivals, les Fauves et les Feu! Chatterton font déjà de même… Demain bien d’autres suivront et c’est plutôt réjouissant au fond. Oui, ça chante en français, de plus en plus et dans tous les genres de la pop. « Tout recommencer à zéro », quel beau programme tout de même… Ces jeunes gens vont certainement tout mettre à plat et c’est bien, c’est prometteur. Fini le passéisme, la musique à papa et les disques à papa jamais dépassés. Sauf que les paroles, c’est « tout recommencer à Jersey » et j’ai été un peu déçu en l’apprenant. Se promener aux îles anglo-normandes, faire de la planche à Biarritz, penser aux copains ou regarder le ciel, ça ne révolutionne quand même pas le monde. En tout cas c’est toujours rafraîchissant. Ça tombe bien l’été commence.

Marc Desse, notre nouvelle obsession, sort au mois de juin un disque hivernal, aux chansons solitaires. Il a organisé récemment un festival rassemblant de l’autre côté du périph’ ce qui pourrait ressembler à la dream team de la nouvelle pop française. Lui, on le décrit comme un peu à part, détonnant parmi ces nouveaux jeunes gens modernes. C’est aussi notre avis. C’est d’ailleurs en cherchant des chansons de Jean Néplin – Rita Mitsouko maudit et jeune homme plutôt détonnant (les algorithmes font décidément bien les choses) – que je suis tombé sur la chaîne youtube de Marc Desse. Que des hits: « Petite Anne », « Des gens honnêtes », « Mona et moi » ou « Vidéoclub »: pour moi l’affaire était entendue. Desse, c’était un esthète, un type qui connaissait ses classiques par cœur et qui avait exploré à fond le moindre recoin du meilleur de l’electro-pop des années 1980. J’avais tout de suite aimé ses chansons limpides, équilibrant guitares aigrelettes et synthés rétros. Une voix douce et profonde, qu’il avait le bon goût de marier parfois à un chant féminin, évoquant les délicieuses chansons d’Elli et Jacno, lui donnait juste ce qu’il faut de charme et de mystère pour emballer, peser et expédier le tout. En tant que fan de pop en français j’avais ma dose, et je trouvais qu’il remplissait largement le cahier des charges du bon artiste émergent.

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