Marc Desse : chambre noire


Un poil avant les vacances d’été, quelques réflexions avec Marc Desse autour de l’écriture en français, des projets soli, du rock, en France ou ailleurs, des collections de disques ou encore des sorties de métro.

Au siècle dernier Renaud déclamait « Pas d’amis pas d’parents pas d’relations, Ma famille c’est la prison, Mon copain c’est mon blouson ». « Marc Desse »: c’est toi contre le reste du monde ? Composes-tu seul ?

C’est vrai, j’ai été assez seul ces dernières années en ce qui concerne la création. Au départ c’était ma volonté de prendre du large, explorer mes limites… Ensuite c’est aussi une question de rencontres. Il n’est pas facile de trouver un bon partenaire musical. Lorsque on n’est pas sûr et qu’on a les moyens de le faire seul autant continuer.

Tu as enregistré « Video Club » tout seul à l’exception de la batterie. Conçois-tu toujours la totalité de tes arrangements ?

Jusqu’à présent oui. Je suis seul juge de mes arrangements.

Imagines-tu avoir un groupe que tu laisserais davantage s’immiscer dans l’écriture de ta musique ?

Bien sûr ! Au fond de moi je sais qu’un jour j’aimerais faire partie d’un groupe. Ça viendra, j’en suis certain.

Ton précédent groupe, Théâtre Métamorphosis, était un trio avec une boîte à rythme. La musique était un peu plus tendue, plus post punk. Tu imagines refaire des chansons avec cet instrument ?

A cette époque je ne jurais que par les boîtes à rythme. Maintenant c’est l’inverse, j’ai voulu avoir de la vraie batterie sur mes morceaux depuis « Video Club ». A l’avenir je ne m’interdit rien, tout est possible !

L’année dernière tu nous a présenté tes chansons au Motel, seul avec ta guitare. Ce jour là, tu nous as dit en gros : « vous écoutez ce que je faisais dans ma chambre ». Tu as mis longtemps à rêver dans ta chambre avec tes chansons ? As-tu le sentiment qu’une chanson doit mûrir avant de passer aux arrangements ?

Pas vraiment, j’adore arranger les morceaux et bien que je compose toujours à la guitare acoustique, je me penche vite sur mon ordinateur pour commencer à meubler autour. Cela dit, il m’arrive de jouer les chansons pour moi dans ma chambre, un peu comme ce que vous avez entendu au Motel. Une bonne chanson doit pouvoir se jouer avec une guitare ou un piano sans pour autant qu’on ne regrette ses arrangements.

« J’ai toujours plus penché vers le rock que vers la pop »

Tes premiers titres étaient beaucoup plus synthétiques dans leurs arrangements, mais pour Nuit Noire, tu as clairement choisi de mettre les guitares en avant. Peux-tu nous expliquer le choix de cette esthétique plus rock ?

J’ai toujours plus penché vers le rock que vers la pop, même si il y a toujours cette touche pop dans mes chansons. Je pense que mes premiers travaux étaient un exercice de style. Cette recherche m’a amené vers une conjonction pop et rock qui me plaît assez. Disons que j’ai posé les bases, j’ai trouvé un début avec Nuit Noire.

On a pu parler de pop « ligne claire » pour Aline. Peut-être en raison de la limpidité de leurs arrangements conjugué à leurs visuels appartenant justement à l’école de BD « ligne claire ». Je te qualifierais plus de défenseur de la « ligne sombre » : tu développes des atmosphères plus brumeuses… Pourquoi as-tu choisi cette thématique du sombre ?

C’est une question de personnalité. Je suis peut-être plus sombre, voilà tout. La ligne claire est belle mais trop claire pour être vraie, j’en ai bien peur. Je dirais que j’essaye de durcir le ton.

Ton album a une vrai identité et n’est pas une simple collection de tes premiers morceaux, comme on peut le déplorer chez les artistes qui débutent. Était-ce voulu dès le départ ? Vu la tonalité et les textes des chansons, on pourrait presque parler d’un concept-album. Qu’en penses-tu ? Peux tu nous en dire plus sur la genèse de « Nuit Noire » ?

En effet, je vois aussi l’album Nuit Noire comme un concept-album. J’ai voulu capturer un sentiment, une ambiance, un moment bien précis. Comme la poésie capture un instant. C’est un voyage dans les abîmes, un pansement et, à la fois, un renouveau dans ma vie et dans ma musique. C’est ce que cet album représente pour moi.

« L’important c’est d’essayer d’écrire de la manière la plus belle possible, chacun doit savoir où sont ses points forts ou faibles »

Pour Gérôme Guibert, le choix de la langue se fait en fonction de deux conceptions antagonistes du rôle du chant dans la musique. Soit la fidélité aux origines anglo-saxonnes du courant musical, soit l’adaptation et le métissage du « british rock » à une culture spécifique du rock. As-tu chanté en anglais à tes débuts ? Pourquoi avoir choisi le français ?

Je suis arrivé à la musique par l’écriture. Lorsque j’ai commencé à jouer de la guitare, ce qui m’a tout de suite plu, c’était de pouvoir interpréter mes textes en les chantant et non en les lisant. J’ai commencé à écrire au collège en Espagne puis en France, en français. Il se trouve que j’ai commencé la musique en France… Bien que j’ai une triple culture rock (anglo-saxonne, espagnole et française), je n’ai jamais cherché à être dans une quelconque fidélité à une tradition, à part celle du rock, de manière globale. L’important c’est d’essayer d’écrire de la manière la plus belle possible, chacun doit savoir où sont ses points forts ou faibles.

Le rock est décrit par ses pratiquants comme une pulsation, une sonorité sauvage un peu magique. Ce son incontrôlable conduit de nombreux musiciens à chanter en yaourt au dessus de leurs chansons pour ensuite traduire leur exorcisme dans la langue de Molière. Est-ce une méthode que tu pratiques ou que tu déplores ? Les mots viennent-ils tout de suite en français ?

Oui, je n’arrive pas du tout à écrire en anglais. Plutôt que de chanter du yaourt, je chante la mélodie tout en jouant de la guitare et je regarde autour de moi, je réfléchis… Des phrases surgissent peu à peu.

Nous sommes écrasés de musiques et de musique de niche. Le rock en français pourrait en être une grande. Mustang cherche depuis ses débuts à conquérir les faveurs d’un plus grand public par leur amour de la chanson pop, immédiate, qui plaira à tous. Rêves-tu de composer une chanson qui ferait l’unanimité sans pour autant te fourvoyer, comme ont su le faire Christophe, Patrick Coutin et quelques anomalies du top 50 ?

J’essaye d’aller jusqu’au bout de chaque morceau. Une fois qu’il est fait, les répercussions, l’accueil : tout cela m’est totalement étranger. Je pense que si cela m’arrivait un jour, faire un « tube », ce serait sans faire exprès. Je pense que ça me ferait plaisir de toucher tous ces gens.

John Lennon disait que le rock français, c’est comme le vin anglais. Penses-tu que l’Hexagone reste un petit producteur de « bon rock » ?

Je pense que comme le bon vin, on s’améliore avec le temps et qu’à présent on peut parler d’une histoire du rock français. Ce qui n’était pas vraiment le cas il y a 40/50 ans.

Il paraît que tu aimes bien passer des disques et que tu es collectionneur. Est-ce que tu pourrais nous en dire plus sur cette activité ?

Oui ! J’ai commencé à acheter des vinyles sur le tard. Ma génération est plus CD… J’ai vite été happé par cet objet. Surtout les éditions originales de mes albums préférés. Le fait de savoir que je tiens entre mes mains le même album que quelqu’un a écouté pour la premières fois il y a 50 ans sans savoir que ça allait devenir un classique… c’est ce genre de sensation qui me branche. J’ai arrêté de passer des disques car c’était embêtant de tout transporter à chaque fois, même si c’est quelque chose que j’adore faire.

« Combien ya t’il de faux espoirs dans le cœur de la jeunesse ? » Dans « Rockers », La Souris Déglinguée dépeint de façon assez touchante le quotidien des « rockers manutentionnaires ». Chanter du rock en français est-ce que ça nécessite une certaine dose d’humilité et de réalisme ?

Je pense oui, même si aujourd’hui on nous fait gober tout et n’importe quoi. Tout donner pour la musique au sens global est un choix qui nous renvoie cette terrible réalité qu’on se prend en pleine gueule… On ne peut pas y échapper. J’aime beaucoup La Souris Déglinguée, je les ai vu en 2008 ou 2007 au Gibus. C’était mortel !

Il y a quelques années les « babyrockers » s’attiraient l’attention de la presse, le mépris des purs et durs et la circonspection des autres. Comment as-tu vécu cette période un peu étrange des rock’n’roll friday et de la surmédiatisation de quelques groupes de jeunes gens enthousiastes ?

C’était une époque assez marrante. J’avais des potes qui en faisaient partie ou qui suivaient ça de près alors j’allais aux concerts avec eux. Je ne faisais pas de musique et jamais j’aurais pensé que j’en ferai. J’étais à fond dans les lettres, je voulais écrire.

« Je prône l’évasion et non la revendication. Rien à faire de la réalité… »

Pour plagier une antique revue papier nous aimerions te poser la question suivante : « Pour toi, qu’est-ce qu’être rock en 2014 ?»

Pour moi c’est d’avoir une attitude « Fuck Le Système ». Je prône l’évasion et non la revendication. Rien à faire de la réalité… Ce n’est pas de l’égoïsme, je suis vraiment philanthrope comme mec mais la réalité m’ennuie terriblement. Et je parle de politique quand je dis réalité.

Le rock depuis toujours, c’est la nostalgie d’âges d’or révolus que l’on vénère sans les avoir connus. Avec internet toutes les sources sont égalisées et remises à plat. Penses-tu que la culture rock va sortir du passé pour aller vers une forme d’intemporalité, que les jeunes qui découvrent cette musique dans les années 2010 vont l’appréhender sans se soucier de l’époque et le contexte à laquelle elle a pu émerger et se concentrer justement sur la musique ?

C’est ce qui arrive déjà !

Alors il y a deux positionnement à mon sens : ceux qui vont plagier un groupe obscur qu’ils ont découvert sur la toile, ou – ce qui est vraiment génial avec cette mise à plat – ceux qui vont réussir à digérer tout ça et en faire quelque chose de nouveau.

Dans « mods et rockers » Michel Sardou, avoue son incapacité à choisir entre ces deux modes. Bien que tu abordes désormais le cuir des rockers, est-ce que tu as pu choisir ton camp ?

Disons que de nos jours il n’y a plus vraiment de camps… ni de guerre entre les musiques, d’ailleurs. Je suis pour un grand mélange.

Oberkampf, la station Rome, Jaurès-Stalingrad, Abbesses et aujourd’hui Télégraphe… Si tu devais choisir une station de métro emblématique comme d’autres groupe de rock avant toi laquelle choisirais-tu et pourquoi ?

Je dirais la station Monceau. Elle a un lien étroit avec cet album et je trouve que le panorama lorsqu’on en sort (du métro) est magnifique.

Propos recueillis par Atlas Ibiza et Nicolas Fez

Crédits photo : Marguerite Vdn

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