Grindi Manberg

 

 

 

 

Membres: Romain Thominot (chant, guitare, basse) ; Odilon Horman (batterie) ; Kevin Espich (claviers)

Ville : Reims

Depuis : 2011


Discographie

(Grindi Manberg Fantasized Lumberton EPP

Fantasized Lumberton (EP | 2014)

1. Nitrogenous Wind / 2. Lisbon / 3. Mimosa Cure / 4. Say Goodbye / 5. Marine Has The Key


Subjective présente Grindi Manberg

Lumberton est une petite ville de Robeson County en Caroline du Nord, semblable à des milliers de petites villes américaines. Downtown, les distractions sont rares : les connaisseurs pourront éventuellement visiter la maison natale de l’actrice pornographique Carmen Hart, et les inconditionnels de l’American Football pousser jusqu’au domicile des parents de Vonta Leach, le fameux fullback des Baltimore Ravens. Aux alentours, les rapides de la Lumber River séduiront les adeptes du canoë, tandis que les passionnés d’ethnographie amérindienne se délecteront d’une promenade en territoire Lumbee dans les forêts avoisinantes. Mais pour le touriste standard, rien qui justifie un détour ou un séjour prolongé : la Lumberton réelle est une communauté résidentielle sans surprise, dont les attraits ordinaires sont vite épuisés.

La Lumberton rêvée par David Lynch est autrement plus mystérieuse. « She wore blue… ue… velvet, bluer than velvet was the night, softer than satin was the light… ». Rose rouge contre barrière blanche, sur fond de ciel bleu.  Un pompier sorti des playmobil agite la main en souriant, perché sur le marchepied de son camion. Des petits enfants traversent la rue en sautillant pendant qu’un retraité arrose son parterre de tulipes jaunes. Images radieuses de l’Amérique éternelle. Cartes postales d’insouciance. Soudain, le tuyau d’arrosage se coince dans un arbuste et la mécanique de l’autosuggestion se dérègle. Le retraité se tord de douleur. Il s’effondre en se tenant le côté de la tête. La caméra s’enfonce dans les herbes, dans la terre : entourée par la masse grouillante des décomposeurs, git une oreille déchiquetée. Dans les petites villes américaines comme Lumberton, le trompe-l’œil est un cache névrose ; il suffit de déplacer le miroir dans lequel la classe moyenne arrange son maquillage pour révéler les foyers de perversions, de violences et d’inquiétudes qui l’ont depuis longtemps infectée. Dorothy Vallens est le symbole de toutes les victimes cachées de l’American psycho. Le rôle est joué par Isabella Rossellini, la fille d’Ingrid Bergman. Ingrid Bergman… Grindi Manberg.

Fantasized Lumberton est le premier EP de Grindi Manberg. Un EP qu’apprécierait sûrement d’écouter Lynch et qui ne dénoterait pas dans la bande originale de son prochain film, à côté des mélodies Badalamentiennes de rigueur. Pour la description objective de son style « electro-new wave », consultez la presse spécialisée. On n’évoquera ici ni les « synthés entêtants » ni les « guitares saturées aux accents psychédéliques ». Ces resucées d’adjectifs qui lassent les lecteurs et les artistes ont fini par ne plus plaire qu’aux chroniqueurs eux-mêmes qui s’écoutent parler de la musique plutôt que de l’écouter avec leur oreille (en voie de décomposition ou pas).

Tout commence par des coups frappés contre une porte. Deux coups brefs suivis d’une sorte de claquement plus long qui continueront pendant tout le morceau d’ouverture, « Nitrogenous Wind ». Quoi de plus inquiétant qu’un homme s’obstinant à frapper contre une porte qui ne s’ouvre pas ? Peut-être qu’il y a là une métaphore de la place occupée par la musique dans la vie de Romain Thominot : une cure, comme il dit. Qu’on soit clair, jamais la porte ne s’ouvrira. Mais l’instrumentation comme une trainée d’azote aux propriétés lévitantes permet à l’homme coincé derrière de se dédoubler, et d’échapper partiellement à l’attraction gravitationnelle de la norme. La voix fait le reste : en s’élevant, elle dévoile un décor ; et tous ceux qui s’agitent à l’intérieur sans avoir conscience d’être dans un théâtre ressemblent à des pantins étranges et absurdes.

Un autre morceau que j’aime bien : « Marine Has The Key ». Le dernier morceau de l’EP. Comme une réponse à l’énigme de la porte au début : on a retrouvé la clef mais elle est possédée par quelqu’un d’autre, qui ne la rendra pas. C’est la plainte d’un homme accablé par le sentiment de l’irrémédiable. Il faudrait l’écouter en lisant par exemple La chute de la Maison Usher, de Poe : « Pendant toute une journée d’automne, journée fuligineuse, sombre et muette, où les nuages pesaient lourds et bas dans le ciel, j’avais traversé seul et à cheval une étendue de pays singulièrement lugubre, et, enfin, comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en vue de la mélancolique Maison Usher ». On retrouve les mêmes paysages hantés par les souvenirs fêlés, la fatalité pour seule compagnie fiable du héros solitaire.

L’étrange texture musicale de Grindi Manberg, à double fond, à double face, donne envie d’y déposer des histoires. Un matin, la danseuse érotique Carmen Hart serait retrouvée noyée dans les eaux de la Lumber River. Les soupçons se porteraient sur son petit ami, le footballeur Vonta Leach, mais le détective en charge de l’enquête, connu pour ses méthodes peu orthodoxes, l’innocenterait après avoir pratiqué un vieux rituel des Indiens Lumbee. Un nommé Robeson lui apparaitrait en rêve… Robeson comme le County ? Ou plutôt Robertson… Bob ? Attendez, cette histoire existe : c’est Twin Peaks !

Par JDL

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