La Féline: le bleu de l’enfance


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La Féline, que nous chérissons depuis presque toujours, a récemment sorti un trois-titres qui continue de séduire le plus grand nombre.

Adieu l’Enfance préfigure un album éponyme à venir pour le début de l’automne 2014, et d’ici là, deux titres orignaux à se mettre sous la dent pour patienter (et un « rework » du titre phare). Retour sur cette collation au travers de quelques questions.

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Ton album sortira début octobre chez Kwaïdan Records. Depuis quand collabores-tu avec ce label ? Qu’en retires-tu ?

J’ai rencontré Marc Collin, il y a maintenant plus d’un an. Nous avions écouté mes démos, échangé, parlé de musique en général et en étions restés là. Plusieurs mois plus tard, il m’a invitée à jouer dans une soirée dont il était programmateur, le show lui a plu et il m’a proposé ensuite d’accompagner la Féline sur la sortie de l’album. Marc est le DA idéal, c’est-à-dire qu’il ne joue pas au DA justement, il me laisse faire ce que je veux. Il sait que j’ai mûri ce disque depuis très longtemps, il me fait confiance. Du coup, c’est un peu comme avant puisque je continue à faire face à mes intentions artistiques toute seule, mais Kwaidan m’apporte un soutien matériel, une équipe, une confiance aussi qui fait que je me sens épaulée. C’était déjà bien sûr le cas avec les Balades Sonores, Thomas Changeur en particulier qui s’est énormément investi pour la Féline depuis 2011, mais Kwaidan m’apporte maintenant la structure de label plus classique dont j’avais besoin.

Les deux titres de l’EP figureront-ils tous deux sur l’album ? Comment s’intitulera cet opus ?

Il y a trois titres sur l’EP : « Adieu l’enfance », « Dans le doute » et un rework solo d’Adieu l’enfance : ce dernier titre figure exclusivement sur l’EP. Une version vidéo live en sera bientôt publiée. Quant au titre de l’album, ce sera Adieu l’enfance LP. J’assume ce côté totalement obsessionnel.

Dans l’EP Adieu l’Enfance, La Féline semble avoir changé : plus psyché, plus de synthé et dans des timbres musicaux choisis, définitivement plus de doutes, d’inquiétude. D’où vient cette évolution ?

Je ne pense pas que ce soit très psychédélique à vrai dire. Dans mon esprit, c’est un disque ascétique, très écrit, très médité. Si tu penses à la vieille opposition nietzschéenne entre l’apollinien et le dioynsiaque, c’est clairement un disque apollinien, sa beauté tient à sa mesure, à ses symétries, à son intelligibilité harmonique. J’aime qu’on perçoive clairement chaque instrument, comme à travers une eau transparente. Comme dans la chanson « Dans le doute ». Il y a deux trucs et demi à analyser. Mais justement, la transparence défie parfois l’analyse, parce que le son, la durée, les toutes petites inflexions, les toutes petites imperfections acquièrent plus de force dans la plus grande simplicité. Je dis que ce n’est pas psyché car à mon sens le psyché est le contraire de cette transparence, de cette intelligibilité. Ici, il y a en fait très peu d’effets. Même sur la fin d' »Adieu l’enfance »: les sons sont travaillés à l’origine dans les presets du JX3P, mais très peu ensuite. C’est quasiment les sons bruts de la TR et du synthé que l’on entend. Stéphane Alf Briat qui a mixé l’album a parfaitement compris ça, il a mis en évidence les sons, plus qu’il ne les a « traités ».

« Dans mon esprit, c’est un disque ascétique, très écrit, très médité »

Quant à l’origine de cette évolution, c’est un mélange de principe de réalité et de parti-pris esthétique. J’ai toujours adoré le son des boîtes à rythmes et des synthés : j’ai composé les chansons dans cette optique et nous avons retravaillé cela avec ce que nous avions Xavier et moi : une guitare, un synthé JX3P, un Korg Ms10, une Tr 808, une basse. Ce n’est pas un virage, c’est un moment d’épure de choses que je chéris depuis longtemps.

Lorsque nous consacrions un focus à la Féline, vous étiez trois. La formation a évolué, et j’ai l’impression qu’on sent désormais beaucoup la patte de Xavier Thiry. Comment se déroule la phase de composition ? Xavier joue t-il un rôle de « gourou arrangeur » ?

Ça lui va pas mal ce côté gourou! Oui, la formation a évolué, nous restons tous très amis mais c’est comme s’il avait fallu ces dernières années que j’assume de plus en plus d’incarner complètement le projet. Xavier qui a réalisé l’album n’a cessé de m’encourager à exprimer ma propre vision jusqu’au bout. C’est plus qu’un arrangeur à ce stade, c’est un accoucheur. Sur le plan musical, nous nous connaissons très bien, ça a rendu la création de cet album – sur pratiquement deux ans, pour l’essentiel la maison, faute de moyens – très exaltante, et très émouvante aussi. Aujourd’hui, Xavier ne m’accompagne plus sur scène, mais je suis heureuse d’avoir fait ce disque avec lui, c’est ce que nous pouvions faire de plus beau et de plus fort ensemble. Il reste un peu mon gourou dans ma tête, mais c’est un gourou qui me chuchote à l’oreille : « c’est toi la maîtresse de cérémonie ! »

Et quelle sera la formation pour le live ? A ce sujet, des dates de prévues ?

En live, nous sommes toujours un trio, avec Sébastien Dousson à la basse et Bertrand Flamain, qui vient de rejoindre la formation, au synthé et aux machines, tous deux d’excellents musiciens – et moi au chant et à la guitare. Je joue parfois en solo, ou en duo avec Bertrand.

Nous venons de faire une belle release party au Nüba le 19 juin. Nous rejouons en duo puis en trio les 2 et 10 juillet à Paris (Curio Parlor et 114), le 16 octobre à La Péniche Excelsior à Allonnes, le 19 novembre aux Bains Douches, et entretemps peut-être en Angleterre. Pour se tenir informé, le mieux est de visiter le site.

Dans un billet consacré à « Adieu l’Enfance » que tu as posté sur ton blog, tu parles de « sons bleus ». Qu’entends-tu par là ? As-tu une imagerie subjective de la couleur des textures sonores et des tonalités musicales ?

C’est la couleur de certains sons électroniques, dans mon esprit, quand ils sont froids et aquatiques, comme de grands icebergs qui cachent des eaux profondes. C’est là que j’ai trouvé une petite fille ancienne en train de grelotter. Mais les son bleus, d’une certaine manière, c’est aussi le blues. Il y a une forme de blues primitif dans mes compositions, assez binaires, assez pentatoniques, avec une pointe de modulations orientalisantes parfois. Enfin, tout ça n’est pas écrit du tout. Ce sont des inflexions qui me viennent de mes premières émotions musicales, quelque part entre les cantejondos espagnols chantés par ma mère, Ennio Morricone et les soli de guitare de Robert Smith.

« J’ai l’impression d’avoir produit pour la première fois une œuvre cohérente »

Le bleu, c’est aussi la couleur du parka que tu portes sur cette photo qui circule avec l’EP ; c’est aussi la couleur de la pochette de ce même EP. Tout ça semble très cohérent : des sons bleus sur fond bleus. Tout ça est-il « orchestré » ?

Comme je l’explique dans le texte de mon blog, le bleu de la parka a joué dans mon esprit, quelque chose d’inconscient s’est configuré sous mes yeux et m’a donné une direction très forte, très impérieuse. L’idée d’une orchestration suppose une mise en forme après coup : c’est le contraire qui s’est passé ici, une intuition qui a servi de guide, plus ou moins explicite. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai l’impression d’avoir produit pour la première fois une œuvre cohérente (avec des choses inattendues bien sûr, non contrôlées), mais en tous cas un vrai premier album.

Et s’il fallait revenir en arrière, je te parlerais volontiers de rouge pour « Wolves & Wheel ». As-tu des « périodes » qui correspondent à des couleurs, un peu comme une Kieslowski ou une Picasso de la musique ?

Il y a quelque chose de triomphal dans le rouge : c’était toute la fierté du groupe que j’investissais là, le côté cabaret bizarre aussi, pour ce disque très éclectique. J’ai toujours aimé les monochromes, c’est l’expression visuelle du pop pour moi. Mais tu vois, je ne peux pas t’en dire beaucoup plus sur ce rouge car le sens en est moins profond, moins obsessionnel.

Pour revenir au bleu, il est dit que la couverture de l’EP est une photo d’astroturf, cette matière molle que l’on retrouve sous les jeux pour enfant et qui limite les contusions sur les genoux des marmots qui y jouent. D’où te vient cette envie de nous parler de ton rapport à l’enfance ?

Ça peut paraître étrange, mais l’enfance n’est pas vraiment un thème ici, quelque chose que viendrait illustrer la musique à un moment donné. En fait, c’est tout mon rapport à la musique qui est lié à l’enfance. À six ans je voulais déjà devenir chanteuse, je m’enregistrais sur une sorte de radiocassette pour gamins, j’essayais de superposer les différentes voix en enregistrant le résultat avec un autre radiocassette (ça aurait été pas mal que quelqu’un m’explique l’existence du multipiste !) Et la musique était l’art qui me bouleversait le plus. J’étais assez seule aussi, et le chant, la projection même de chanter pour d’autres me portaient intimement. Ma musique a vraiment ses racines dans cette enfant. Bien sûr, il y a tous les groupes que j’ai découverts ensuite, adolescente, mais c’est l’enfant qui veut chanter. Quand je lui dis adieu, ce n’est pas pour congédier sa voix, plutôt pour essayer, un peu en vain je dois dire, de lui apprendre à trembler un peu moins.

« Le rock te permet ce que t’interdit la philosophie : t’en tenir à une émotion »

Dire Adieu l’Enfance, sans regret. Aussi facile que ça ?

Impossible. C’est pour cela que j’en ai fait une chanson, qu’il me faudra sans doute répéter un nombre infini de fois avant qu’elle puisse devenir performative! Le rock te permet ce que t’interdit la philosophie : t’en tenir à une émotion, que soit un sentiment d’abandon, d’amour fou, de colère, sans la neutraliser dans une négociation rationnelle ou en l’occurrence raisonnable. Tu imagines Kurt Cobain dire à la fin de « Rape me », « mais attention hein, ne me fais pas trop mal »? La modération est un réflexe adulte que je voulais justement éviter.

Propos recueillis par Nicolas Fez

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