Kidsaredead

Membres : Vincent (guitare, clavier et chant), Cristian (batterie), Mabit (basse)

Ville : Clouange

Depuis : 2010

Site web : http://www.hotpumarecords.com/fr/artistes/kidsaredead


Discographie

The other side of the townKisaredead The Other Side of Town (album | 2013)

1. Sistereo part I / 2. Band from the past / 3. Typical captain achab / 4. Talking a walk / 5. School returnz / 6. Video game over / 7.She loves me / 8. Sistereo part II / 9. Playmobil todd / 10. Van Dyke parking carol

 


Subjective présente Kidsaredead

Kidsaredead : sur la colline

J’ai vu Kidsaredead aux Trois Baudets le 4 mars dernier. Nous étions une quarantaine de personnes, tous sagement assis sur les confortables banquettes rouges en contrebas de la scène où Vincent à la guitare et au chant, Cristian à la batterie et Mabit à la basse nous dominaient, en jouant plus fort et plus intense qu’on ne s’y sent habituellement autorisé dans l’écrin cosy de ce lieu. Et nous étions quarante – quelques sièges vides devant moi – à ne pouvoir s’empêcher de bouger la tête, les pieds, les genoux. Ça faisait vibrer toute la rangée des sièges. Il fallait faire gaffe, à tout moment l’ondulation pouvait prendre de l’amplitude. C’était presque un peu gênant pour ceux du bout qui jetaient des regards réprobateurs en direction des plus agités du centre. Et comme les rythmes de Kidsaredead ne sont pas des rythmes simples, et qu’ils changent souvent, chacun avait un peu son petit groove à lui : ça faisait des tensions contraires sur l’armature des fauteuils, d’avant en arrière, de droite et de gauche, et ça grinçait un peu. Il fallait se contrôler du coup, entre gens civilisés, écouter surtout avec les oreilles, et opter pour un pogo essentiellement intérieur.
À la vérité, nous aurions pu être quatre-cents, quatre-mille même, sans exagération, parce que ça jouait vraiment du tonnerre. D’explosions en explosions, de ravissement en ravissement, le show tenait ses promesses et amenait de nouvelles surprises. Je me suis laissée prendre dans ses montagnes russes, ses accélérations exaltées, et à chaque pic d’adrénaline, il y avait la voix mélodieuse de Vincent pour me recueillir ; cette voix puissante et juvénile qu’il sait voiler parfois avec une aisance déconcertante, et qui semble remonter de tout son corps depuis ses jambes mobiles et jusqu’à la pointe de ses cheveux, comme pré-amplifiée dans l’électricité de ses doigts arrimés à sa guitare – qui n’est déjà plus qu’une extension naturelle de sa silhouette ondulante.
Vincent est joli et fin, on le voit bien sur les photos de presse, plutôt discret. Mais Kidsaredead ressemble bien au monstre vert de la pochette de son disque dessinée par Yaya d’Herman Düne, avec sa langue et ses bras démesurés de virtuose musicien, et surtout, son charme d’alien étrusque auquel quelques illuminés vouent déjà un culte. Sa musique sophistiquée a cet exotisme, et cette témérité de rappeler des pans assez méconnus en France du rock progressif et du jazz-rock de Something Anything et de A Wizzard, A True Star de Todd Rundgren, de Pretzel Logic de Steely Dan ou de Don Juan Reckless Daughter de Joni Mitchell – avec un mélange souple entre des harmonies vocales sunshine pop à la Curt Boettcher, période The Millenium et Sagittarius, mais sans maniérisme, et la désinvolture douée d’Ariel Pink. On y entend une parfaite maîtrise, et en même temps, une forme d’inadaptation. Comme ce freak verdâtre venu de l’antiquité du futur avec ses bouclettes, et sa guitare MIDI sans tête de manche, Vincent a des talents supérieurs mais l’allure amicale et un peu gauche de celui qui est plus occupé à en admirer d’autres qu’à se demander comment les gens l’admirent lui.
Son disque, The Other Side of Town, est tellement plus que le projet solo d’un sessionniste virtuose. Avec ses mélodies à tiroirs, ses canons stéréophoniques, ses textures multicouches de sons de guitare saturés, de synthés analogiques Rhodes, Crumar Multiman, SH101 ou de banjo, il emmène bien plus loin que tous les plans techos de la terre réunis. Vincent l’a fait seul, comme Todd Rundgren ou Stevie Wonder ont fait leurs grands disques, avec un orchestre dans la tête, et une bonne dose de solitude adolescente au creux du ventre. Le tout, depuis Clouange, un genre de Middlesex téléporté en Lorraine, dont on ne peut s’échapper que par un vortex, en se faisant, comme Donnie Darko, un ami imaginaire. Sauf qu’ici l’ami, imaginaire n’est pas un lapin géant, c’est « Sister Stereo » ; la sœur la plus fidèle, la sœur par excellence, qui enveloppe et protège de l’inertie d’une petite ville grise et qui remémore indéfiniment les derniers jours du lycée, la dernière fête, couché sur le sol de la cuisine avec Sarah Jane, avant qu’elle se marie avec « Tom, from the computer store » et qu’elle quitte la ville pour toujours. Dans le disque, « Sistereo » revient deux fois, avec des variations addictives. Elle raconte une épiphanie, une possession, « I got my sister stereo » – et personne ne me l’enlèvera – et elle raconte une perte, « When I came back from the store / The machine fell down / And it’s broken now » ; mésaventure adolescente d’un jouet dont on a trop rêvé et qui se brise, comme dans un cauchemar, juste parce que c’était ce qu’on avait de plus cher. Entre l’épiphanie et la perte, l’amour qui est possible et la peur infinie de le décevoir – « She’s the one / But I don’t want to waste her time » – ces douze chansons se décomposent et se recomposent, dans des directions multiples, inhabituellement riches de possibilités et en même temps incertaines d’elles-mêmes, géniales à chaque fois, mais toujours sans suffisance.
À force d’écoute et d’attention, c’est à la fin ce qui me bouleverse : à quel point la sophistication de la musique exprime la vision de soi la plus humble, jusqu’au découragement, comme dans la sublime « Video Game Over », qui met en tête ces paroles désolées – « I am a failure… I’m no good, I’m no good ». Elles sont chantées dans la langue des bands from the past, de Brian Wilson et de Stephen Malkmus. Mais c’est bien la musique d’un ex-gamin de Clouange, entendue du haut des collines qui surplombent la ville, peut-être même depuis la colline d’Hayange avec sa vierge et son SOS tout rouge monté là par les employés d’Arcelor-Mittal à la veille de la fermeture du dernier fourneau lorrain en 2011. Comme ces grands néons rouges dans la nuit, elle s’élève au-dessus de la grisaille d’une petite commune de Moselle où errent encore les fantômes d’une adolescence : « Ghost of teenage love is waiting/ On every corner of the streets ». Kidsaredead, les enfants sont morts, et la grisaille est peut-être aujourd’hui encore un peu plus dense, mais j’ai ma « sister stereo » avec moi, et elle m’emmènera loin.

Par La Féline

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