NRBQ / Enarbiquiou


NRBQ cover

Le dictionnaire du rock, le hors-série Rock&Folk des 300 incontournables, les Inrockuptibles de mes années lycée, Allmusic, les forums i love music, de rateyourmusic, Pitchfork, les tops de fin d’années, etc… Le corpus de textes que j’ai lu sur le rock depuis 15 ans ne tiendrait certainement pas sur les étagères de ma chambre. Du coup d’oeil sur internet pour checker la notation d’un album à la relecture passionnée d’un article rétrospectif sur mon nouveau groupe préféré en passant par les milliers de moitiés de pages lues au hasard dans les toilettes… Tout ça dans l’espoir de dénicher un nouveau chef-d’oeuvre, mais aussi par fascination pour ce grand roman fragmentaire des vies de rock-stars. Adulées, oubliées, méconnues, ridicules, bigger-than-life, beautiful losers… leurs succès fulgurants, tardifs, reconnaissance posthume, lente décadence ou fin tragique… Un genre littéraire à part entière. Sur le modèle de la morphologie du conte de Propp, peut-être que quelqu’un pourrait écrire une morphologie de la vie des rocks stars (Matthieu Remy?)

Il aura fallu 15 ans d’absorption maladive de la sous-culture rock pour que je finisse par tomber sur NRBQ. J’avais lu leur nom mais jamais lu d’articles enthousiastes à leur sujet. Je les avais rangé dans la catégorie seconds couteaux, avec un nom qui sonne vraiment mal quand on le prononce avec l’accent français. Et un beau jour, au cours d’une errance sur l’Internet caractéristique du mode de vie occidental des années 2010, j’ai cliqué sur « Feel You Around Me » la première chanson de l’album Tiddly Winks. Peut-être parce que la pochette était sympa. Que n’ouïe-je alors. Un groove qui n’aurait pas dépareillé sur Groovin’ le meilleur album des Young Rascals, des accords motowniens plaqués sur un clavinet aérien au son méconnaissable, un arrangement équilibriste entre minimalisme millimétré, pont Ellingtonien et je m’en foutisme du beat, choeurs flemmards et guitare fuzz laconique. Un miracle renouvelé à chaque écoute. Comment est ce qu’on avait pu me laisser passer à côté de ce truc pendant toutes ces années ?

Il était temps d’apprendre à prononcer correctement leur nom. Enarbiquiou, Ze Quiou pour les intimes, New Rhythm and Blues Quartet ou Quintet selon les périodes : Terry Adams au clavinet et aux tendances free jazz, Big Al Anderson, futur songwriter maison de Nashville aux parties de telecaster arithmétique, Joey Spampinato au son de basse vénéré par Keith Richards et aux chansons guitare folk coeurs brisés et enfin Tom Ardolino, batteur au groove coolos imparable.

C’est un des rares exemples de démocratie réussie dans le rock : chaque personnalité parvient à s’exprimer à merveille à travers les talents protéiformes de ses camarades. Leur parcours ne rentre pas du tout dans les cases des carrières mythiques du rock et du découpage fainéant par décennie si pratique pour penser/classer la musique populaire de la deuxième moitié du 20ième siècle. Leur premier disque publié en 1967, mélangeait rhythm-blues primitif, jazz instrumental loufoque, une reprise de Sun Ra, et des chansons de proto power-pop et blue eyed-soul avec un son qui n’avait rien à envier au studio de Muscle Shoals. La formule, baptisée plus tard « omnipop », a été peaufinée au cours des années, donnant naissance aux chef-d’oeuvres que sont Scraps, All hopped up et Tiddly Winks et sans doute d’autres, j’avoue n’avoir pas encore écouté l’intégralité de leurs 23 albums.

N’ayant jamais renoncé à leurs multiples lubies musicales, les NRBQ ont changé 5 fois de label et, mis à part peut-être leur apparition dans un épisode des Simpsons, n’ont jamais rencontré le succès auprès du grand public. Ils n’ont certes pas joué dans les stades (voir le premier rang en bas à gauche de la pochette de at Yankee Stadium) mais ils ont sans doute fait plus de concerts que la plupart des grands groupes américains au cours de leur 30 ans de carrière. Je regrette vraiment de les avoir raté. Heureusement, ils ont réussi pendant toutes ces années à préserver la candeur du premier jour, la fraîcheur de la première prise et à capturer sur disque leur joie de jouer ensemble.

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