BILL CALLAHAN / Sometimes I Wish We Were An Eagle (1990)


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Je pense qu’il existe un moment dans la carrière d’un artiste, et surtout d’un musicien, où il ressent le besoin d’être en quelque sorte dépossédé de sa propre musique. Il y a beaucoup d’exemples dans l’histoire de la pop : Van Morrison s’entourant de musiciens du jazz pour faire Astral Weeks, Bob Dylan enregistrant ses Basement Tapes avec The Band, Bashung avec quasiment tous ses disques, etc. Il s’agit à mon avis de quelque chose d’un peu différent d’une simple collaboration avec un arrangeur.

Il ne s’agit pas de trouver le bon type, de trouver la collaboration optimale qui donnera à un style embryonnaire tout son espace et ses dimensions (on peut penser ici à Michael Jackson avec Quincy Jones par exemple), il s’agit plutôt de mettre de l’espace entre soi-même et son propre style, de s’aérer soi-même mais en utilisant des vents contraires, quitte à ne pas tout contrôler, à ne pas comprendre tout ce qui se passe au moment de l’enregistrement.

C’est déjà ce qui faisait que je comptais le précédent disque de Bill Callahan – Woke on a Waleheart (et déjà le dernier disque de Smog : A River Ain’t Too Much to Love) – comme un disque de chevet. Il avait laissé le soin à Neil Michael Hagerty, son vieux pote de Royal Trux, de tout arranger, quitte à aller bouquiner dans la pièce à côté après avoir fini ses prises de voix. Depuis la pochette jusqu’aux chœurs gospel, il y avait quelque chose dans ce disque qui a déconcerté les fans de Smog de la première heure mais qui, moi, me fascinait presque plus que les premiers disques. Je n’arrivais pas trop à mettre des mots là-dessus, parce qu’en plus des mélodies magnifiques et des paroles à tomber à la renverse, il y avait une sorte de liberté qui allait au-delà, quelque chose de dégourdi au meilleur sens du terme. Mais je suis tombé ensuite sur cette interview de lui où il avait cette phrase saisissante :

« I used to be an artist. I don’t think I am right now. I don’t know if I ever will be again. I am something else. I was a student of personal strife. I ran with the wrong crowd early on. I tortured myself for a song. I thought it was the way. »

Et je pense qu’il dit là quelque chose qui éclaire son recours à des arrangeurs extérieurs pour ses deux derniers disques. Sur son dernier album, Sometimes I Wish We Were an Eagle, il y a ses plus beaux arrangements, sa plus belle production, mais ce sont comme des expressions musicales de quelque chose qui ne l’est pas. Pour le dire un peu bêtement, on sent que Bill Callahan est sur ce disque plus homme qu’artiste ; il chante depuis un lieu qui n’est pas musical. Certains folk singers de sa génération ont été dans des postures similaires, ont été dégoûtés du fait d’être un « artiste », et de devoir en permanence chercher une façon adéquate de mettre en formes et en mélodies ce qui se passait autour d’eux ou en eux – et surtout d’y voir là un métier (David Berman, Jeff Mangum) mais ils ont alors estimé que la meilleure chose à faire était de tout plaquer. Bill Callahan, lui, en fait ses plus belles chansons. Et je pense que le titre qui ouvre l’album, « Jim Cain », ce véritable monument d’exactitude et d’allégresse, parle de ça, c’est pour moi son chef d’œuvre :

« I started out in search of ordinary things
How much of a tree bends in the wind
I started telling the story without knowing the end

I used to be darker, then I got lighter, then I got dark again
Something too big to be seen was passing over and over me
Well it seemed like a routine case at first
With the death of the shadow came a lightness of verse
But the darkest of nights in truth still dazzled
And I woke myself until I’m frazzled

I ended up in search of ordinary things
Like how can a wave possibly be
I started running when the concrete turned to sand
I started running when things didn’t pan out as planned

In case things go poorly and I not return
Remember the good things I done
Or done me in »

par David Simonetta


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