édito



We Are The Romans!


Ils assument tout, sans bien savoir ce qu’il leur arrive. Nous aussi, nous non plus.

Un tribute band — non merci. Sauf si c’est ma copine qui m’emmène voir « One Night Of Queen » chez Coquatrix. Il est vrai que pour Queen, tout est remis à plat : ce monde-là obéit à d’autres règles… pourquoi pas à celles du théâtre ? Mais enfin, et c’est peu de le dire, les tribute bands font généralement peine à voir : leurs misérables costumes, leur guitariste du dimanche matin, et leur public de comité d’entreprise (comme dit ma copine).

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Je me suis inquiété tardivement des liens intimes qui semblaient unir We Are The Romans! au groupe Botch. La messe était déjà dite, le contrat moralement signé. J’ai donc appelé Vivien pour me rassurer. « Non, ce n’est pas un tribute« , m’a-t-il certifié avec l’assurance de celui qui a potassé. « Musicalement — rien à voir avec Botch ».

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Michael Wookey


Heureuse année ! Pour nous, la saison des Britanniques expatriés continue.

Je m’étonne presque de vous présenter Michael Wookey sur Subjective. Beaucoup d’entre vous le connaissent déjà. Michael habite Paris, au sens fort. Il joue dans tous les bars, dans toutes les salles, tout le temps. Mais il fait la ronde sans se laisser saisir. Il est de ces individus au langage simple et au regard droit, dont les profondeurs paraissent inaccessibles. Aucune réponse n’est à attendre, il n’y a même pas de mystère, aucun artifice de ce genre. Banalement, il a juste l’air blessé — et j’ai le sentiment que je ne pourrai jamais en dire plus.

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Hard Working Boss


Les songwriters reconnus détestent qu’on les prenne pour des paroliers. Même Dylan (surtout Dylan !) s’efforce de convaincre le monde qu’il est un chanteur, un musicien, un compositeur. Ce sont des pointillés qui traversent ses écrits autobiographiques. Il refuse de n’être qu’un poète — même si, dans l’esprit du peuple, ce titre lui est conféré comme une sorte de distinction ultime. On m’a d’abord vanté les talents littéraires de Hard Working Boss mais par chance je ne suis pas briton, la musique me vient tout entière.

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Dans la conversation, Jim Sheppard s’arrête toujours avant la certitude. Ses idées ont beau être passionnantes, il ne les tient jamais d’une main ferme. On entend ses hésitations partout dans sa musique. Une pause, un retard, une corde qui buzze, un maybe, une alternative. Hard Working Boss est l’antithèse du péremptoire. Alors son modus operandi rationaliste peut surprendre. Il parle de logique et peu importe que cette logique soit biscornue. Les règles d’or qu’il découvre ne disent rien de ce que nous avons déjà entendu. C’est un artisanat neuf.

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Minor Sailor


Tu connais cette horripilante variété de migraine, cet espèce de pulse électrique qui te tape le front par décharge. Tic. Tic. Tic. Tic. Tic. Tic. Docteur à temps partiel, tu imagines la circulation de ton sang, étouffée par une artère maigre comme un sphincter. Le sang s’échappe par petits jets, petites fuites en avant. Tic. Tic. Tic. Régulier. Tu as parfois la même sensation avec la musique répétitive. Tu repères une note dans un cycle très court, et à chaque fois que la note revient il y a un peu de sang qui giclasse.

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Ton propre rythme cardiaque pouvait te réveiller quand tu avais cinq ans et que tu souffrais de cauchemars récurrents. Tu te tenais debout en haut d’un escalier sans fin et hop, tu dégringolais. Tous les soirs ! Dans ton sommeil tu crèves de peur, ton cœur bat de plus en plus vite, de plus en plus fort, et tout se termine dans un motif musical rappelant La Quatrième Dimension, crescendo jusqu’à ce que tu te réveilles. Imagine le générique de La Quatrième Dimension en crescendo ininterrompu, imagine que c’est vrai, que c’est ta vie : ça fout une putain de trouille.

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MileStone


Sur la scène d’un cabaret rouge, un crooner miaule dans un anglais maniaque. Au fond des cabarets de Hong Kong, vous savez, il y a toujours le batteur lascif. Qui tape les fûts, sèchement peut-être, sensuel toujours. Le guitariste est Berlinois, il ne s’est pas acclimaté, il regarde le Soleil se lever du mauvais côté, et de temps en temps il joue hors-partoche, comme on joue à Berlin dans les clubs. Petit larsen, le doigt sur la seizième case : ça déconne en fin de morceau.

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Je présume que ce genre de musique, somptueuse pour dire le moins, se joue dans le silence. Qu’on respecte bien à Hache Ka. Leur culture des cabarets est différente de la nôtre. Dans la rue c’est le bordel, mais dans le bordel personne ne l’ouvre. Les prostituées sont discrètes, les gars restent zen, on écoute le crooner miauler. La fumée des cigarettes comme un soupir d’émotion. Une larme vaporisée.

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Binoculars


C’est la musique de mes seize ans. Pas celle que j’écoutais, mais celle qui tapissait ma boîte crânienne quand elle se laissait posséder par l’imagination. Pour un gamin, tout au loin semble facile. Nul besoin de gonfler les poumons ni de bander les biceps. Le simple fantasme d’une expédition créative accouche d’images assez nettes et de sons diffus. Le background musical de ma puberté, je l’éprouvais sans vraiment l’entendre.

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Dès que j’ai découvert « Here Comes », j’ai su que Binoculars jouait cette musique mentale. Une pop qui imprègne le cerveau, directement, sans traverser l’air. Ces sons ne naviguent pas sur des ondes. Les objets dans la pièce restent sans mouvement. Rien ne vibre. Comme si vous écoutiez de la musique au casque, mais sans le casque, ou plutôt comme si le casque était un greffon.

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Your Happy End


« On peut aussi faire un set acoustique. » Lorsqu’un groupe de musique amplifiée se désape de bon coeur, réjouis toi. Sauf manque inconséquent de pudeur, ils dévoileront de vraies chansons sous leurs fringues électr(on)iques. Telle cette jeune fille qui t’a montré son nombril sans prévenir et… Dieu que la surprise fut belle ! Chantant nus sur des guitares débranchées, les gars de Your Happy End te disent vraiment qui ils sont : des songwriters. Peut-être suis-je ignorant, mais le songwriting n’est pas la première chose qui me vient à l’esprit lorsqu’on me parle de trip hop. Je pense aux emprunts, aux ambiances, aux couches (justement), mais pas aux chansons.

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Your Happy End ne privilégie pas la texture musicale aux dépends du contenu verbal. Il faut par exemple écouter les quatre minutes trente de « Page 7 ». Quatre minutes trente ? À la première écoute, la chanson semble durer le double. Elle ressemble à ces récits humblement épiques que racontent les chanteurs de folk. Le tapis de trois accords est familier et les mots s’y posent relax. C’est un bon tapis folk, confortable… mais qui gratte un peu. Quant au récit, il déploie avec une clarté inhabituelle le thème qui traverse tout l’album : celui de la femme qui part ou, plus exactement, de la femme qui s’en va, qui dérive. À la verticale. L’amoureux désespéré est un nain qui lève les yeux toujours plus haut. Ce cauchemar, Aurélien Bortoluzzi et Guillaume Zolnierowski le racontent comme un doux rêve.

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