MileStone


Sur la scène d’un cabaret rouge, un crooner miaule dans un anglais maniaque. Au fond des cabarets de Hong Kong, vous savez, il y a toujours le batteur lascif. Qui tape les fûts, sèchement peut-être, sensuel toujours. Le guitariste est Berlinois, il ne s’est pas acclimaté, il regarde le Soleil se lever du mauvais côté, et de temps en temps il joue hors-partoche, comme on joue à Berlin dans les clubs. Petit larsen, le doigt sur la seizième case : ça déconne en fin de morceau.

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Je présume que ce genre de musique, somptueuse pour dire le moins, se joue dans le silence. Qu’on respecte bien à Hache Ka. Leur culture des cabarets est différente de la nôtre. Dans la rue c’est le bordel, mais dans le bordel personne ne l’ouvre. Les prostituées sont discrètes, les gars restent zen, on écoute le crooner miauler. La fumée des cigarettes comme un soupir d’émotion. Une larme vaporisée.

Attention, de même qu’il ne croone pas comme un américain, le crooner asiatique ne miaule pas du tout comme un chat. La voix qui sort de ce smoking flingué est belle, stupéfiante même, rien à voir avec celle de nos tristes félins — qui pleurent la nuit comme des nourrissons maltraités. Mais la mélancolie du crooner est comme un sixième sens : elle déborde de notre condition animale, elle excède la sophistication. Elle est bien plus que le degré ultime de la tristesse.

Au dernier étage d’une tour amiantée, fenêtres ouvertes, le même groupe joue pour la Terre. « Vivons penchés. » Sur la pointe des pieds, au sommet de la ville… Cette musique du vertige maîtrisé émeut jusqu’aux os.

par Nico Calibre


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