The Yolks


Est-ce que le fait de créer les chansons ensemble, à trois, vous empêche d’écrire des paroles réellement personnelles ?

Arnaud : Forcément un peu, oui.

Alex : C’est sûr qu’en groupe, tout ce qui est personnel a tendance à être un peu effacé. Que ce soit dans la musique, dans les textes, ou même dans l’attitude.

Il y a une espèce de pudeur ?

Alex : Ouais, c’est une pudeur, mais c’est aussi une volonté : on veut davantage mettre en avant le collectif que le particulier.

François : Comme on le disait, on est dans un groupe très démocratique, dans lequel chacun peut donner son avis sur tout. Donc il n’y a pas du tout cette possibilité pour l’un d’entre nous d’arriver avec son texte et de l’imposer aux autres.

Du coup, est-ce que vous avez besoin de faire chacun de votre côté des choses un peu plus personnelles, ou pas ?

Alex : À côté, pour se changer les idées ? Un petit peu, ouais. Mais on le fait chacun à notre façon. François et moi, on a joué avec Fortune, on a joué avec Sayem… Je fais un peu de musique avec ma copine.

François : On fait des choses de temps en temps avec des potes…

Arnaud : Moi, je suis dans un atelier de rhythm and blues. Une fois par semaine, on chante des grands classiques. Quant au fait de chanter des choses plus personnelles… on a plutôt un message de groupe à délivrer. On a peut-être plus envie de délivrer des messages que de raconter de petites histoires. Donc on ne chante pas en anglais parce qu’on n’a rien à dire, ou parce que ça sonne bien. Comme le disait Alex, ce qu’on chante nous tient à coeur.

François : Ce qu’on peut apporter à travers l’anglais, c’est quelque chose d’un peu réfléchi, avec un certain message. Il ne s’agit pas de faire de la poésie ! Je pense que pour un Français qui n’a jamais vécu dans un pays anglo-saxon pendant de longues années, c’est impossible d’écrire de la poésie en anglais comme le faisaient les Smiths, par exemple. Par contre, si tu essaies d’écrire des textes plus « raisonnés », tu peux apporter davantage. Quand on écoute des morceaux de Daft Punk — ils ne font pas de la poésie en anglais, mais par contre ils ont des messages, des choses un peu conceptuelles… C’est peut-être de ce point de vue qu’on se sent proche de certaines choses dans la french touch.

Est-ce que certains d’entre vous ont passé du temps en Angleterre ou en Amérique… ?

François : Moi, j’ai étudié pendant un an en Norvège, où j’ai pas mal parlé anglais. Sinon… on est allé de temps en temps dans ces pays anglo-saxons, mais on n’y a jamais vécu.

Alex : Mais Arnaud a fait des études d’anglais, il a toujours été passionné de littérature anglaise, très attiré par la Grande-Bretagne. Il lit beaucoup de romans en anglais. Beaucoup de films aussi : il peut te réciter des dialogues entiers par coeur ! T’as l’impression de regarder le film en vrai !

Arnaud : Mais des films vraiment anglais — pas de films américains. Uniquement des films britanniques.

Alex : Et puis tu es un gros fan d’Oasis…

Arnaud : Oui, j’aime les groupes anglais, aussi.

Donc pour toi, c’était un peu un fantasme d’aller jouer en Angleterre ?

Arnaud : Bon, on est des Français, et il ne faut pas se rêver anglais ! Mais c’est clair : c’est super kiffant d’aller jouer là-bas quand tu adores la culture anglaise, et en plus de voir des Anglais qui viennent te dire qu’ils comprennent et qu’ils aiment tes paroles. Je pense qu’on a un côté très second degré, et je pense que quand ils nous entendaient (peut-être aussi parce qu’on était Français, ou je ne sais pas quoi), ils hallucinaient un peu. Ils ne sont pas habitués à voir des groupes qui sont autant dans l’auto-dérision. Tu ne verrais pas Oasis se foutre d’eux-mêmes comme ça ! Ils sont très cash, en fait.

François : Là-bas, les groupes jouent très tôt, ils sont très bons très jeunes… Mais du coup, ils n’ont peut-être pas ce côté plus fragile, plus distancié par rapport à ce qu’ils font.

Arnaud : Plus romantiques, aussi.

François : On était un peu ovni-esque, c’était sympa.

Alex : Une autre chose par rapport à l’anglais, c’est que c’est un peu la langue véhiculaire dans la culture aujourd’hui. Et ce côté universel nous attire beaucoup.

Le fait de pouvoir être écouté hors de France, c’est ça ?

Alex : Carrément !

Arnaud : Pour nous, c’est hyper important.

Alex : Un peu comme dans la french touch, encore une fois. Je pense qu’ils avaient la même approche.

Arnaud : D’ailleurs beaucoup d’artistes french touch sont plus appréciés en dehors de France que dans leur propre pays. C’est assez paradoxal. L’anglais s’est aussi imposé dans les Yolks parce que la musique qu’on écoutait était très majoritairement anglophone.

François : On a essayé de composer en français, mais…

Arnaud : … c’était moins naturel pour nous de composer en français, alors que c’est notre langue ! Mais ce n’est pas du tout notre culture musicale.

François : Pratiquement rien de ce qu’on écoute n’est francophone.

Alex : Je pense quand même à des dossiers… Des vieux morceaux ! (rires)

Arnaud : Ah, ouais, les vieux morceaux… (rires) Pour être honnête, on a fait deux morceaux en français.

Alex : Il y en a un qui s’appelait « Partir En Vrille », il était assez marrant.

Arnaud : C’était le meilleur celui-là. Il était quand même pas mal.

François : Les paroles étaient bien.

Alex : Ca aurait peut-être pu devenir un tube… (rires)

François : En fait, quand on le faisait, on se disait : « oh, ce serait mieux chanté par quelqu’un d’autre ! »

Est-ce que les Yolks pourraient écrire une chanson triste ?

François : Oui.

Alex : On en a certaines qui étaient, ou qui sont encore un peu « entre deux ».

Arnaud : C’est quand même rare qu’il n’y ait pas au moins un peu de second degré. Même dans certains de nos morceaux qui pouvaient être un peu tristes, avec des accords mineurs, un peu noirs, il y avait toujours des trucs marrants.

Alex : On a écrit beaucoup de chansons nostalgiques.

Arnaud : Après, quand je repense à nos débuts, il y avait des trucs vraiment… (Il chante.) « I was on the edge… » C’était des trucs un peu tordus qu’on a fait à nos débuts, mais on avait presque l’impression de faire de la caricature, on ne se prenait pas vraiment au sérieux. Ç’aurait été des chansons tristes si elles avaient été chantées par des mecs un peu tristes, mais pas par nous…

François : Enfin, je pense par exemple à « Temptation », une chanson qui parle quand même de déception amoureuse, de la dépendance à une fille comme d’une addiction. Bon, sur le refrain, on retourne quand même le truc… Ouais, tu vois, on n’arrive jamais à être 100% « triste » !

Arnaud : Ce n’est pas non plus ce qu’on veut faire.

François : Ce n’est pas ce qu’on veut faire aujourd’hui, mais peut-être qu’un jour…

Alex : En général, je pense qu’on n’assume pas vraiment le fait d’exprimer une émotion précise au premier degré pendant tout un morceau. C’est quelque chose qu’on ne fait pas, ou du moins qu’on ne se permet pas de faire.

Vous parlez de second degré : c’est un aspect qui, de premier abord, ressort beaucoup dans votre musique. Et là, en discutant avec vous, je me rends compte que vous êtes quand même des gens sérieux.

François : Ah ouais, on n’est pas du tout second degré !

Attention, je ne dis pas que vous êtes rébarbatifs !

(rires)

François : Mais j’ai l’impression que c’est souvent comme ça ! Les musiques qui semblent les plus sérieuses de l’extérieur sont faites par des gens qui sont souvent très marrants. De la même manière que les gens qui font du metal, ou de la musique assez dure, sont souvent super gentils. Beaucoup plus, en tout cas, que les mecs qui font de la pop…

Arnaud : … les petits popeux hargneux !

Alex : C’est là qu’on voit que la création permet de se lâcher, de montrer des choses qu’on ne montre pas forcément autrement.

François : Et c’est vrai que dans la vie, on n’est pas forcément super second degré, gros délire…

Alex : On n’est pas les Naive New Beaters ! On n’est pas naturellement comme ça. Mais on s’éclate dans nos morceaux !

Interview par Nico Calibre


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