YO LA TENGO / Painful (1993)


Yo La Tengo Painful

« Cher M. Falkowicz, Je tiens par la présente à vous adresser mes plus sincères et mes plus profonds remerciements ainsi que ma reconnaissance éternelle. Cordialement, Thomas Pirot »

Cette lettre, je ne l’ai jamais écrite mais j’aurais sûrement dû. Ce mystérieux M. Falkowicz, dont je tairai le prénom pour lui éviter de crouler sous des dizaines de milliers de lettres de fans tous les jours, n’est ni le cousin dyslexique de John Malkovich, ni un personnage terrifiant d’un film de David Lynch dont la surimpression sur le visage d’une belle blonde vous glace le sang.

Cet homme fût mon professeur d’acoustique il y a quelques années, pendant mes études de techniques du son. Et cet homme est un peu mon héros. Pas parce que ses cours ont révolutionné ma vie, pas parce que la physique est ma passion. Au contraire, j’étais plutôt largué dans cette matière dont j’ai compris l’utilité mais jamais les fonctionnements.

Ce professeur a cela d’héroïque qu’il m’a un jour offert un CD gravé (un CD de données comme on disait à l’époque !) contenant une petite dizaine d’albums en mp3. Parce qu’on avait discuté musique, parce que mon meilleur ami portait un T-shirt des Smiths… Sur cette compile se trouvaient un album des Verlaines, un autre des Only Ones… et puis Painful.

À cette époque, Yo La Tengo était un groupe que je connaissais de nom, dont je voyais vaguement quelques pochettes, qui semblait sûrement très intéressant mais dont la déjà longue carrière et le nombre impressionnant d’albums apparaissaient comme un obstacle. Quel album écouter dans ces cas-là ? Par où commencer ? Par le meilleur, pardi ! C’est ce qu’a dû se dire ce cher M. Falkowicz.

Painful est l’un des albums les plus concis du Yo La Tengo post-80s. Le plus homogène aussi. Et c’est ce qui fait sa qualité exceptionnelle. Painful est une entité. Et il n’est pas douloureux de s’y plonger, contrairement à ce que son titre laisse présager. Il faut s’y glisser comme l’on se glisse sous sa couette par un soir d’hiver. La pochette en affiche d’ailleurs d’emblée la couleur nocturne. Ou pré-matinale plutôt : « there’s a big day coming about a mile away, there’s a big day coming, i can hardly wait ». Référence à ce moment connu des insomniaques où la lumière pointe le bout de son nez, et où la perspective d’une nouvelle journée arrive comme une délivrance ?

Painful est peut être un album de douleur, ou un album douloureux dans sa conception, on ne sait pas vraiment et on se gardera bien d’aller chercher la réponse sur Wikipédia. Car l’essentiel est comment ces chansons viennent caresser notre sensibilité en même temps que tourmenter nos oreilles. Ici, les mélodies sur la pointe des pieds viennent se briser contre les détonations de guitares et d’orgues. Ou peut être est-ce le contraire ?

Car Yo La Tengo est (souvent) un groupe Noisy. Car cet album est sorti en 1993, dans les suites des déflagrations nappeuses du shoegaze de My Bloody Valentine. La mélancolie y imprègne chaque chanson, des plus calmes aux plus explosives. « Let’s wake up the neighbours, let’s turn up our amps », dans deux versions complètement différentes : une fois susurré sur pleurs de larsens, une fois clamé fièrement sur fond de dissonance assourdissantes. Yo La Tengo joue avec les antagonismes : le sommeil/l’éveil, l’obscurité/la lumière, le calme/la tempête, avec l’effet que cela produit, et finit par confondre nos sens (« I Heard You Looking »). On comprend alors pourquoi le mot « sensible » se traduit en anglais par « sensitive ».

par Thomas Pirot


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