The Yolks


La genèse de « Stop Working »

Alex Chauss : C’était le mois d’août — ce fameux mois d’août 2008 pendant lequel on a commencé à jouer avec notre batteur Gabriel.

François de Miomandre : Une période de remise en question. On franchissait une nouvelle étape.

Arnaud de Miomandre : On s’est séparé des deux autres membres. On avait plein de morceaux un peu folk, avec deux guitares — un peu old school, moins actuels, moins originaux. Donc on a eu envie de mettre certains morceaux dans une boîte, de ne plus trop les jouer, et d’en créer plein de nouveaux. Du coup, les morceaux qu’on a créés à cette époque-là étaient très différents : beaucoup plus rapides, beaucoup plus scandés… Vraiment très différents de ce qu’on faisait avant !

Par une volonté…

Arnaud : Par une volonté de faire des choses plus actuelles, de se renouveler. D’ouvrir les portes.

François : C’était un peu comme si on reprenait le pouvoir sur le groupe. Même si on était tous les trois à l’origine du truc, je pense qu’à un moment donné, on a rêvé d’être cinq personnes, dans un vrai groupe…

… démocratique ?

François : Voilà. Et en fait, ça n’a jamais vraiment marché. Ce n’est pas qu’on s’est menti à nous-mêmes ; on y a cru.. mais sans vraiment y croire. Ca ne marchait pas. Et finalement, quand les deux autres ont été mis de côté, on s’est dit « ah, on va pouvoir se prendre en main ! » Parce que quand on est cinq personnes et que chacun aime des trucs différents, ça peut devenir compliqué. Déjà, nous trois, on a des goûts différents : on se rend parfois compte qu’on n’aime pas mêmes choses dans les morceaux qu’on écoute ! Je pense qu’on a des personnalités trop fortes pour qu’il y ait un quatrième ou un cinquième « compositeur » dans le groupe.

Alex : Donc à l’époque, on cherchait plein de nouvelles idées, chacun chez soi. Moi, j’avais passé plusieurs soirées seul chez moi — dont une pendant laquelle j’étais vraiment resté enfermé tout seul, un peu dans le flou…

Tu ne te sentais pas bien ?

Alex : Si, si, j’étais très bien ! Mais je ne sais pas, je n’avais plus vraiment d’horaires, je ne comprenais plus trop ce qui se passait. Et j’avais lu ce bouquin de philo de Hannah Arendt, La condition humaine, qui parle de l’oeuvre, du travail, tout ça… J’avais fumé un spliff, et je cherchais des trucs sur mon clavier. C’est comme ça que j’ai trouvé un riff — celui qui est est devenu le riff du début de morceaux, ces accords avec un son de basse… Je suis parti de ça, je trouvais que ça sonnait bien, et je me suis demandé ce qu’on pouvait faire là-dessus. Et tout de suite, j’ai pensé à cette phrase, « stop working », parce que c’était en lien avec le bouquin que j’avais lu.

… dans lequel Arendt parle d’oeuvre et de travail.

Alex : Voilà ! Et je me suis dit qu’il valait effectivement mieux faire des oeuvres que des travaux périssables, de la bouffe que les gens vont consommer et dont il ne restera rien… Cette idée m’a enthousiasmé, parce que ce sont effectivement des oeuvres que l’on essaie de faire quand on écrit des chansons. Donc l’idée m’est venue de scander « stop working » sur les accords… J’avais juste cette base-là, quelques idées d’accords, et l’idée du thème. Ensuite, j’ai fait une liste de choses qu’on pourrait énumérer. Et surtout, c’est la façon de chanter qui changeait complètement de ce qu’on avait fait jusqu’alors. Avant, on chantait vraiment tout le temps — parfois à plusieurs voix — mais on n’avait jamais scandé des paroles comme sur « Stop Working ».

Donc, dès le départ, tu imaginais ce que donnerait le chant sur ce morceau ?

Alex : Oui, un truc scandé, « stop working », une liste de mots… Dans cet esprit-là. On s’est retrouvé à trois, j’ai montré ce que j’avais aux autres. Je me souviens que François était plus enthousiaste qu’Arnaud, d’ailleurs ! Arnaud disait : « c’est quoi ce truc-là ? C’est du rap ? C’est pas notre trip ! »

Arnaud : C’était une époque où on se remettait tellement en question, on avait arrêté de jouer plein de morceaux, on en créait plein de nouveaux — on était un vrai laboratoire. C’était quelque chose de nouveau, cette idée d’Alex, à la fois excitante et effrayante. Au début, ça m’a semblé peut-être un peu too much, mais on s’y est mis à trois dessus, et petit à petit c’est devenu…

François : On s’est mis à écrire les paroles autour d’idées — arrêter de travailler, pourquoi, comment… Mais on s’est aussi posé la question du niveau auquel on se situait par rapport à ça. Ca ne pouvait pas être du premier degré ! Donc il y avait cette distanciation nécessaire par rapport à ce qu’on allait dire. Il fallait qu’il y ait de l’humour dans la chanson. Mais on se voyait comme des gourous, trois gourous dans une espèce de secte qui inciterait tout le monde à arrêter de bosser, à devenir des sortes de néo-hippies…

Alex : À un moment donné, on se moque de nous-mêmes. Quand on dit « no cars, no TV, no satelite », ça peut être pris comme du premier degré. C’est le début de la chanson…

François : Voilà, il y a deux couplets. Dans le premier, on commence en disant « we don’t need… ». Et là, on parle du négatif, de ce dont on n’a pas besoin, en partant d’une sorte d’idéal de vie — des musiciens qui n’ont besoin de rien. Donc on énumère toutes ces choses qu’on a, mais dont on aimerait ne pas avoir besoin.

Alex : Et quand le deuxième couplet commence, c’est « we have… space, time, but no money ». Plus tard, on dit « we got no house… unpaid bills… » Bref, on se moque de nous-mêmes. Et, je sais pas pour les autres, mais quand je chante ce morceau, je me dis que ça parle quand même de nous. On est un peu comme ça, à porter nos instruments dans le métro au milieu de gens qui rentrent du boulot en costard…

Arnaud : On a beaucoup pris la ligne 1 du métro à Paris, entre la Défense et Châtelet, et on croisait sans arrêt des gens qui tiraient la gueule.

François : Notre studio de répét’ était à Nanterre, donc on passait souvent à la Défense. Et on sentait effectivement ce gros décalage avec les gens qui allaient dans les tours.

Alex : D’ailleurs, on en parle de ces mecs dans la chanson ! Dans le premier couplet, on fait « no Steve, no Brian, no Dave ». On se fout un peu de leur gueule, tu vois ? Il y a ce côté un peu caricature… On s’est bien marré en écrivant les paroles, en tout cas.

Vous les avez écrites ensemble ?

Alex ; Oui, on a tout développé ensemble. En fait, c’est souvent comme ça que ça se passe : on part d’une idée de base, qui vient d’un ou deux d’entre nous, et on la développe ensemble. On fait ça avec les paroles, et on le fait aussi avec les instrus. Quelqu’un a une idée de départ (un rythme, un riff, une suite d’accords, un son, une idée de structure…), et on développe ça ensemble.

François : On bosse toujours à plusieurs. Et ça donne parfois lieu à de longues conversations, puisqu’on a tous un droit de regard sur ce que fait l’autre. On n’est pas du genre à dire « trouve-nous une partie de guitare, c’est ton truc ».

Alex : À chaque fois, on s’arrange pour que ce que joue chacun soit complémentaire de ce que jouent les autres.

François : Comme un compositeur classique ! Sauf qu’on cherche à rendre toutes les parties complémentaires par la dicussion, pas par des partitions.

Alex : Mais on se sert quand même un petit peu de la théorie musicale, autrement il y a des choses qu’on ne pourrait pas faire.

Donc vous avez une formation théorique… classique ?

Alex : Un petit peu.

François : On a tous suivi des cours — de piano, de jazz en ce qui me concerne… Bon, aucun de nous n’a fait dix ans de conservatoire !

Alex : Mais on connaît tous la base de la théorie — suffisamment pour pouvoir en parler.

François : Je me souviens d’un bassiste (celui qui nous avait lâché avant notre concert à Lille) qui ne connaissait même pas le nom des notes sur le manche ! C’était très embêtant pour nous, parce qu’on parle beaucoup entre nous, et il ne pouvait pas suivre… Il ne jouait qu’à l’oreille !

Alex : On joue aussi à l’oreille ! Mais parfois, on a vraiment besoin de discuter de la complémentarité des notes. Quand on entend qu’il y a des notes qui sont joués par plusieurs d’entre nous, pour éviter que ça ne soit trop lourd, on est obligé de passer par la théorie, de se dire « bon, je joue la tierce, qu’est-ce que tu pourrais jouer, toi ? »

François : En fait, on aime bien que les arrangements soient assez légers, et qu’il n’y ait pas trop de notes répétées plusieurs fois. Si la fondamentale est jouée par la basse, il est rare qu’elle soit reprise à la fois par le clavier et par la guitare. On a ce côté un peu méticuleux…

Ce travail sur l’harmonie me fait penser à votre vidéo dans le « Big Purple Van »…

Alex : C’était trop bien, ça !

J’étais surpris d’entendre toutes ces harmonies vocales, et j’étais surpris de voir que les Yolks fonctionnaient aussi bien en acoustique. Mais tu me disais, François, que vous avez commencé comme ça…

François : Oui, au début, les morceaux étaient composés sur guitare acoustique.

Arnaud : Deux guitares acoustique, puis une voix, deux voix, trois voix…

François : Il n’y avait pas de basse, pas de claviers, pas de batterie, donc faire des voix était sans doute un moyen d’enrichir la musique.

Alex : Ce qu’on fait aujourd’hui avec les instruments, on le faisait avec les voix.

Vous vous êtes tout de suite rendus compte que vos voix allaient bien ensemble ? C’était naturel, ou bien il a fallu travailler, ajuster ?

Alex : Il a fallu travailler. La question, c’était surtout : « qui doit chanter où ? » Parce qu’on a plus ou moins de facilités pour chanter dans les aigus, dans les médiums… En général, c’est Arnaud qui fait la voix de poitrine la plus aigue, François qui fait la voix de poitrine la plus grave…

Arnaud : Alex fait les voix de tête.

Alex : Soit je fais les voix de tête, soit je fais carrément une autre voix, encore plus grave. Donc voilà comment ça se passe habituellement. Le fait de savoir ça, ça rend la composition plus facile. On sait ce qu’il faut faire pour que ça marche. Mais bon, il faut tout de même essayer des choses !

Aujourd’hui, vous travaillez moins ces harmonies vocales ?

François : On y a passé beaucoup de temps à une époque, et c’est vrai qu’on a peut-être un peu délaissé ce travail, parce qu’on passe beaucoup de temps sur les arrangements et sur le son. Mais aujourd’hui, on a une grosse envie de continuer sur notre voie tout en allant rechercher des trucs qu’on avait un peu laissé tomber.

Alex : Et c’est pour ça que j’aime « Stop Working », parce qu’il y a justement un peu des deux. Alors que pour d’autres morceaux, comme « Faster », c’est un peu plus le tunnel… On préfère qu’il y ait de la variété au sein d’un morceau.

Dans « Stop Working », il y a un pont… Là encore, d’où vient l’idée ?

Alex : C’était dans mon idée de départ, j’avais ces accords et ces paroles en latin, « perpetuum mobile« … Les autres trouvaient ça un peu bizarre. « On va pas mettre du latin dans notre morceau ! »(rires) Finalement, j’ai réussi à les convaincre, et c’est resté. Là encore, c’est plutôt Arnaud qui était contre ! (rires) François était d’accord…

François : En fait, je trouvais que ça permettait justement de se dégager du truc scandé, qui était peut-être moins mélodique. Ca fait respirer le morceau.

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