The Yolks


Il paraît que nos goûts musicaux sont à peu près déterminés par ce qu’on écoute à l’adolescence… Qu’est-ce que vous écoutiez quand vous aviez 16 ans ?

François de Miomandre : À 16 ans, j’écoutais Led Zeppelin comme un ouf ! J’avais un groupe avec lequel on jouait beaucoup de Led Zep et de Jimi Hendrix. Mais Led Zep, c’était vraiment… On regardait une cassette vidéo de The Song Remains The Same, et on adorait ça. C’était le groupe.

Alex Chauss : Moi, à 16 ans, j’étais complètement en mode…

François de Miomandre : … défoncé ?

Alex : Ouais. J’écoutais énormément de reggae, je ne trainais qu’avec des mecs qui écoutaient du reggae, j’ai même monté un groupe avec eux. Sinon, j’avais déjà une petite ouverture sur la pop avec les Beatles, que j’écoutais beaucoup à cette époque-là. Et les Doors aussi. Mais bon, toujours en lien avec « des expériences », avec la drogue, tout ça… C’était toujours ce côté psychédélique qui m’attirait.

Et toi Arnaud ?

Arnaud de Miomandre : À 16 ans, j’ai découvert Oasis, et ça m’a ouvert les yeux. En fait, ça m’a permis de découvrir tout le reste. Parce qu’avant ça, j’ai l’impression que je n’écoutais que des trucs qui passaient à la radio, des trucs que tous les lycéens écoutaient… Et puis un jour, je suis tombé sur un disque qui m’a retourné : Definitely Maybe, le premier album d’Oasis. Ca m’a donné envie d’écouter tout ce que les mecs d’Oasis avaient eux-mêmes écouté, c’est-à-dire les Beatles, tous ces groupes « classiques » des années 60…

François : Ca, je pense que c’est un peu ce qui nous relie. Oasis — je me souviens que j’avais un pote qui était un énorme fan. Il était chanteur, lui aussi. Du coup, on jouait souvent du Oasis tous les deux, du Beatles. Les Doors aussi, j’ai pas mal écouté. Il y a quand même cet amour des groupes des années 60 et 70 qu’on retrouve chez nous trois.

Alex : Il y a trois ans, ce qu’on faisait était vraiment très inspiré de tout ça. On n’avait pas encore les influences plus actuelles que l’on a aujourd’hui.

François : On a pas mal écouté de french touch, surtout depuis qu’on joue ensemble. Daft Punk, Air… Phoenix aussi, dans un autre style. On s’est passé tous les albums, on a tout disséqué. Ca a cimenté un second lien plus « actuel » entre nous — même si la french touch, ça a déjà dix ans.

Alex : Ce qui est fou, c’est de constater à quel point ce qu’on écoute est re-injecté naturellement dans la musique que l’on fait. Bien sûr, ça ne se fait pas du jour au lendemain, ça se compte plutôt en mois. Mais c’est vraiment palpable.

Inconsciemment ?

Alex : Oui, complètement. Ca nourrit l’imaginaire, et ensuite les idées (de sons, de thèmes, d’ambiances..) sortent toutes seules. Ce qui est intéressant, c’est que ces idées se mélangent à d’autres influences plus anciennes. Après plusieurs années, les mélanges qui en sortent peuvent devenir vraiment originaux… Surtout lorsqu’on partage ces influences ensemble. Dans The Yolks, nos idées sont compatibles.

Arnaud : Au début, on avait chacun des influences très différentes, donc on n’avait pas forcément un terreau fertile, un panier dans lequel on pouvait piocher… Avec le temps, j’ai l’impression qu’on a appris à aimer certaines choses ensemble.

Quel est le dernier concert que vous avez vu tous les trois ?

Alex : C’était quoi, ce groupe néo-zélandais qu’on a vu à la Flèche d’Or ?

Arnaud : So So Modern.

François : Une sorte de math rock, un peu comme Battles — mais un peu moins bien.

Arnaud : Bien tarés quand même !

L’influence math rock ne va pas tarder à arriver dans la musique des Yolks ?

Alex : Pourquoi pas ? Qui sait ?! Ce qui est génial, en tout cas, c’est que tu démarres un groupe avec très peu d’options, tu sais faire très peu de choses, et puis tes options deviennent de plus en plus nombreuses au fur et à mesure. Tu deviens de plus en plus libre. En tout cas, je sens qu’on l’est déjà beaucoup plus qu’à nos débuts.

François : Depuis qu’on est ensemble, on écoute pas mal de musique des années 80.

Arnaud : Du hip hop. De l’électro. Des trucs qu’on n’écoutait pas trop, chacun de notre côté, avant de se connaître. Maintenant, on se prête des diques…

François : Talking Heads, par exemple : c’est un groupe qu’on a vraiment découvert ensemble.

Alex : On aime les Talking Heads à la fois pour l’esthétique et pour les thèmes de leurs paroles.

François : On nous a souvent comparé aux Talking Heads, alors qu’aucun d’entre nous n’avait jamais écouté ce groupe.

Arnaud : En Angleterre notamment. On avait joué dans une soirée plutôt cool à Bristol, et juste après notre dernier titre, le DJ avait enchaîné avec un morceau des Talking Heads.

François : Il y a souvent des petits indices dans les salles où tu joues. Tu écoutes la musique qui passe avant ou après, et ça fait souvent tilt.

Arnaud : Ce qui est bien, c’est qu’on est quand même venu dans le groupe avec des influences assez différentes. Puisqu’on compose tous les trois, chacun va apporter quelque chose qu’un autre n’aurait pas pu apporter — même si c’est parfois un peu arrondi dans les angles pour que ça plaise à tout le monde. Mais j’ai l’impression qu’on est quand même très complémentaires.

Alex : Il y a des groupes qui se disent : « nous, nos influences, c’est ça, ça, et ça ». Et effectivement, dans le groupe, tout le monde écoute la même chose…

… et ça s’entend.

Arnaud : Tout le monde écoute les Strokes, tout le monde s’habille comme les Strokes, et ils font la même musique, un peu garage…

François : Voilà, cet aspect-là est peut-être un peu critiquable. Mais en sens inverse, on a parfois l’impression qu’avec les Yolks, on pourrait jouer plein de styles musicaux différents. C’est parfois effrayant. Nos compos peuvent partir dans un sens, et puis hop, bifurquer dans une autre direction…

Alex : Notre peur, c’est de faire des trucs trop différents, de n’être pas assez « centrés ».

De ne pas avoir d’identité particulière… ?

Alex : On a peur de ça. Même si on sait que ça n’est pas le cas, parce que les gens nous rassurent de ce côté-là.

François : Quand on compose, on sent qu’il y a plein de portes qui sont ouvertes.

Alex : Ce qu’on est en train de remarquer — puisqu’on passe beaucoup de temps à composer ensemble — c’est qu’une idée de départ peut aboutir en trois heures de temps à quelque chose qui n’a rien à voir avec elle. Quelque part, ça nous rassure. On se rend compte que toutes les idées peuvent être développées, tandis qu’avant, on avait un peu tendance à se braquer quand l’idée d’un autre ne nous plaisait pas trop.

François : C’est le guitariste de Phoenix, Christian Mazzalai, qui nous avait dit ça. On était allé voir Phoenix en concert à Nantes, et on avait beaucoup parlé avec eux dans les loges, on leur avait posé plein de questions. Mazzalai nous a dit qu’il ne fallait jamais avoir peur d’une idée, parce qu’il était toujours possible de la transformer. C’est dommage d’abandonner une idée parce que tu as l’impression que ce n’est pas vraiment « toi », ou bien parce qu’elle s’apparente trop à une de tes influences, parce que tu peux toujours apporter ta patte ensuite. Il faut creuser l’idée, la faire tourner en jouant…

Ce que vous composez en ce moment — est-ce que ça sonne différemment de ce que vous faisiez avant ?

Alex : Non, on essaie de potentialiser…

Potentialiser ?

Alex : On essaie de prendre le meilleur de ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, pour créer « le truc parfait » !

(rires)

Alex : Non, bon, on sait que ça ne veut rien dire, « le truc parfait », ou que de toute manière on n’y arrivera jamais. Mais on essaie de se faire plaisir au maximum.

Arnaud : Il y a des choses qu’on veut retrouver dans chaque morceau : on veut des morceaux assez collectifs, assez joyeux, avec des voix… Parce que quand on développe un morceau sans y avoir trop réfléchi au départ, il arrive souvent que ce morceau détonne un peu par rapport au reste, qu’il ne soit pas trop cohérent avec le reste de notre musique. Donc on préfère se demander dès le début : « est-ce que ce morceau prend un bon chemin ? Est-ce qu’on l’oriente dans la bonne direction ? »

François : Donc en ce moment, on essaie quand même de mettre plein de choses dans chaque morceau : un aspect « choeurs », un aspect collectif, scandé, l’aspect mélodique de la voix lead, le côté un peu tendu des rythmes, des sons de claviers en nappe… Bref, tous les trucs qu’on aime dans nos anciens morceaux ! (rires)

Arnaud : On parle plus qu’on ne joue en fait !

Alex : Non, non, c’est pas vrai, on joue beaucoup ! Une fois qu’on a trouvé un truc qui nous plaît, on le fait tourner.

François : Par exemple ce matin, j’étais super content. Je me suis réveillé de mauvaise humeur, et finalement, on a trouvé un truc…

Arnaud : Ca a basculé, à un moment donné !

Que s’est-il passé ?

François : J’avais ramené une grille d’accords que je trouvais assez bien. Alex et Arnaud m’ont dit que les accords leur faisaient penser à Scarface, ou je ne sais pas quoi…

Alex : Et le rythme aussi !

François : Du coup, ensemble, on a complètement remanié les accords, on a aussi complètement changé le rythme… Je trouvais ça vraiment nul.

Alex : C’est ce qu’il a dit : « c’est complètement nul ! Il faut arrêter de jouer ça ! » Et dix minutes plus tard, on avait un truc chanmé.

François : Arnaud a complètement changé sa ligne de basse, il l’a rendue beaucoup plus tendue. Alex s’est mis sur l’ordinateur, il a programmé un beat vachement dynamique.

Arnaud : Et puis j’ai chanté quelque chose, et vous vous êtes mis à faire des choeurs. Tout de suite, il y a eu un côté collectif… Bref, au final, ça n’a plus rien à voir avec l’idée de départ !

Alex : Oui, ça n’a rien à voir. Ce qui est marrant, c’est qu’on ne se focalise pas sur les mêmes aspects de la musique. François a tendance à être focalisé sur la dynamique, sur le mouvement, sur le rythme. Moi sur l’harmonie, les couleurs… Et Arnaud aime sentir qu’il peut s’exprimer, qu’il y a de l’élan, de l’énergie…

Arnaud : … quelque chose d’un peu porteur.

Et les décisions sont prises à la majorité ?

François : Oui. Si deux d’entre nous sont d’accord, c’est bon.

Arnaud : Au final, sur nos morceaux, tout le monde est content des parties que joue tout le monde. C’est quand même le plus important au final ! On n’a jamais cette situation dans laquelle l’un d’entre nous se dirait : « merde, j’aime pas sa partie… » S’il y en a un qui n’est pas content, on fait des compromis. Avec le temps, on a vraiment réussi à trouver la bonne règle, le bon fonctionnement démocratique. Je dis « avec le temps », parce que ce n’était pas forcément évident au début, chacun avait toujours envie de se battre pour défendre son truc.

François : Je pense aussi que ça a mieux fonctionné à partir du moment où on a décidé de répartir les droits SACEM pour un tiers chacun, quoi qu’il arrive. Donc dès que quelqu’un apporte une idée, il sait qu’elle n’appartiendra pas plus à lui qu’aux deux autres. Ca pousse à reconnaître que l’idée de l’autre est peut-être meilleure que la sienne.

Alex : Et quand on disait tout à l’heure qu’on voulait essayer de donner une direction à ce qu’on compose, ça ne veut pas dire qu’on se prive de liberté ! Simplement, on a parfois eu l’impression que ce qu’on faisait n’était pas réfléchi, qu’on composait simplement ce qu’on avait envie de composer et qu’on parlait de ce dont on avait envie de parler sur le moment. Alors que maintenant, on a envie d’avoir un discours plus construit.

Quand tu parles de discours, tu fais bien référence aux paroles des chansons ?

Alex : Ouais. C’est-à-dire qu’on veut que l’ensemble des thèmes traités prenne part à un discours un peu global…

Arnaud : Sans que ce ne soit « concept », tu vois ?

Alex : Sans que ce ne soit politique…

François : Ni engagé. Mais on veut qu’il y ait une sorte de ligne.

Et vous sauriez la définir ?

Alex : Eh bien on est en train de travailler là-dessus.

Arnaud : Il y a un thème qu’on retrouve pratiquement dans tous nos morceaux, pratiquement depuis le premier : c’est un thème de liberté, cette idée d’affirmation de soi en menant la vie que l’on veut mener…

Ce que vous-mêmes vous avez fait… ?

François : Oui, en quelque sorte.

Arnaud : Ce n’est pas un discours revendicateur qui incite les autres à faire la même chose que nous ! Il s’agit seulement de dire « voilà ce que nous avons fait, et nous sommes heureux comme ça. Rejoignez-vous si vous voulez ! »

Alex : C’est un message d’émancipation, mais que l’on projette sur des situations qui ne sont pas forcément communes,sur des personnages un peu décalés…

Arnaud : Et on essaie de mettre de l’humour là-dedans, un peu de second degré.

Alex : Pas toujours !

François : Pas toujours.

Alex : Justement, on est en train de se poser cette question-là.

François : Mais c’est quelque chose qui nous plaît. On se rend compte que les morceaux qui ne sont pas dans une veine « second degré » sont peut-être un peu moins réussis. En ce moment, on a un morceau qui s’appelle « Bossy Lady ». Les couplets racontent l’histoire d’un garçon qui est attiré par une « cougar », une femme plus âgée, qui va en tailleur dans une tour de la Défense. (rires) Alors que lui, on l’imagine plutôt ayant un petit boulot dans une épicerie, tu vois ? Il est complètement fasciné par cette femme, il en rêve. Dans le refrain, le truc se transforme, et ce sont finalement nos trois voix qui scandent ce que pourrait dire le mec s’il se libérait. « Boss me, bossy lady ! » Ca veut dire…

Arnaud : … « domine moi », quelque chose comme ça.

François : Voilà, « domine moi »… Mais quelqu’un qui demande à être dominé, c’est quelqu’un qui d’une certaine manière prend le pouvoir.

Alex : En fait, on ne présente jamais un point de vue tranché du début à la fin d’un morceau. On essaie de jouer un peu sur l’ambiguïté. Comme dans « Stop Working » où, comme on l’avait expliqué, on se moque parfois de nous-mêmes, on se moque parfois des autres, et parfois (sur les ponts) on est quasiment dans la métaphysique… Mais ça n’est pas du n’importe quoi ! J’ai remarqué qu’on avait particulièrement besoin de sens. On n’arrive pas à se contenter de paroles « qui sonnent bien ».

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