The Yolks


François, Arnaud, je me demandais si, en tant que frères, vous aviez un héritage musical commun. Qu’est-ce qu’on écoutait chez vous ?

Arnaud de Miomandre : Pour être honnête, on n’écoutait pas trop de musique dans notre famille. Notre père écoutait plutôt de la musique classique. Notre mère était une sorte de yé-yé, mais elle n’écoutait pas trop de musique chez elle.

François de Miomandre : Elle jouait de la guitare, quand même.

Arnaud : Quand elle était jeune.

François : Elle aimait bien Cat Stevens, ce genre de truc. Donc elle avait cette culture sixties, seventies…

Arnaud : J’ai quand même l’impression qu’on s’est fait notre propre culture…

François : Pourtant, tu vois, je me souviens, la première fois que j’ai entendu Elvis Presley, c’était grâce à un disque de notre père. Mais c’est pas du tout comme si nos parents baignaient dans une culture pop. Parfois je me demande carrément : « est-ce qu’ils ont vraiment connu les années soixante ? »

Vous avez quelle différence d’âge, tous les deux ?

Arnaud : Six ans.

Et vous avez commencé à faire de la musique ensemble ?

François : Oui. Des reprises, guitare-voix. On bossait quelques morceaux pour Noël, pour la Fête des Mères…

(rires)

François : Il existe vraiment des photos où on nous voit ensemble à Noël, quand on était petits, avec ma guitare ! Et puis, à un moment donné, on s’est mis à composer des morceaux tous les deux. Je crois qu’on a fait un concert dans un petit bar ensemble. Et très vite, Alex nous a rejoints.

Arnaud : Au bout d’un moment, avec François, on devait avoir un répertoire de cinq ou six morceaux — sans doute les morceaux qu’on avait joué pour ce premier concert. Et on s’est dit qu’il manquait une troisième personne pour apporter plus de musique, peut-être aussi une autre voix. À deux, on s’est rendu compte qu’on était limité — déjà, tout simplement, d’un point de vue matériel. On s’est demandé qui pourrait être cette troisième personne, et on a tout de suite pensé à Alex. Je crois qu’on n’a jamais envisagé quelqu’un d’autre. Et pour notre deuxième concert, Alex était sur scène avec nous. Il était déjà là pour notre premier concert, en tant que spectateur. L’histoire, c’est qu’Alex habitait dans la même rue que nous. On était au lycée ensemble, et on était potes depuis des années. François avait été dans le même lycée avant… Bref, c’était un peu une histoire de famille, même avec Alex.

François : Arnaud m’avait montré une vidéo dans laquelle on voyait Alex jouer du clavier. Il me dit : « ce mec est trop bouillant ! Il faut trop qu’on joue avec lui ! » Et c’est comme ça que ça s’est passé.

Arnaud : J’ai servi d’intermédiaire.

François : Du coup il y a deux versions de l’histoire…

Alex Chauss : Oui, parce que François et moi, on ne se connaissait pas, mais on avait chacun via Arnaud une approche de ce qui allait devenir notre projet commun.

François : Arnaud a tout manigancé !

Donne nous ta version, Alex !

Alex : J’avais un groupe de reggae français…

François : Tu aimes bien dire ça !

(rires)

Alex : On chantait à trois voix dans le groupe. Arnaud (avec qui on était potes) nous voyait jouer et il trouvait que c’était chanmé. Il kiffait surtout une de nos chansons, qui s’appelait « Yé kiffe » ! Donc Arnaud et moi, on s’est mis à chanter ensemble. Des trucs d’Oasis…

Arnaud : Il avait souvent une guitare à la main, donc j’en profitais, parce que je voulais chanter ! Je profitais d’Alex pourassouvir mes envies ! (rires)

Alex : Ah oui, tu étais trop chaud ! Je me souviens, à l’époque tu avais trop envie de chanter !

« À l’époque » !

Arnaud : Ouais, après avoir fait des tournées, tu sais… (rires)

Alex : On est parti en vacances à Belle-Île avec ma copine et quelques copains. On jouait de la musique là-bas, et Arnaud me fait : « mec, il faut vraiment qu’on monte un groupe ! » Et puisque mon groupe de reggae français était plus ou moins en train de se disloquer (on était éparpillé à droite et à gauche), je lui ai dit « pourquoi pas, ce serait cool ». Et là il m’a parlé de façon super enthousiaste de son grand frère : « il fait de la musique depuis dix ans, il est super bon ! Il a fait du jazz ! » On est rentré à Paris et trois mois plus tard, il me dit : « c’est bon, tu peux venir à la maison avec ta guitare… »

François : Je ne comprendrai jamais pourquoi tu n’es pas tout de suite venu avec ton clavier. Mais ça devait être dans notre idée, on voulait faire un groupe à guitares…

Alex : À l’époque je jouais pas mal de guitare. En fait, j’utilisais surtout ma guitare pour m’accompagner. En groupe, on jouait tous la même chose à la guitare. Trois guitares rythmiques, et on chantait à trois par-dessus, en mode Tryo… (rires) J’avais l’habitude de faire de la guitare rythmique, donc j’étais venu avec une guitare classique, ou peut-être une folk…

François : Une folk bien pourrie !

Alex : Et les mecs m’ont dit d’emblée : « ah non, tu ne peux pas jouer à la main ! »

Arnaud : Il ne savait pas jouer au médiator.

Alex : J’ai du apprendre à jouer au médiator pour le groupe.

François : Jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il était effectivement assez bouillant au clavier.

Alex : Et au final, au bout de trois, quatre mois, c’était bon, on répétait régulièrement…

Donc tu n’as pas trop eu l’impression de devoir t’intégrer dans un duo qui fonctionnait déjà ? Un duo de frères, qui plus est ?

Alex : Non, pas trop. Ce n’est pas comme si le projet était déjà vraiment lancé. Et puis on se connaissait vraiment très bien avec Arnaud.

François : Je pense qu’il y a un équilibre qui se crée — peut-être autour d’Arnaud, effectivement.

Tu es le centre de gravité du groupe !

Arnaud : Je suis le centre ! (rires)

Alex : Et puis finalement, François ne m’a pas trop fait flipper ! Avant de le rencontrer, j’avais un peu peur…

Le côté jazz !

Arnaud : Oui, il y avait le côté jazz !

Alex : « Putain, son grand frère a fait du jazz ! »

François : Mais je n’ai jamais vraiment su jouer de jazz, tu sais.

Alex : Ce n’était même pas tellement la musique. Maishumainement, j’appréhendais de me retrouver avec quelqu’un qui aurait pu être mon grand frère. Mais en fait, tu ne te la racontais pas du tout, tu n’étais pas du tout un dictateur dans le groupe.

François : De toute façon, j’avais vraiment envie d’un groupe dans lequel chacun pourrait apporter sa pierre.

Tu as eu d’autres groupes ?

François : Oui, quand j’étais au lycée, des groupes dans lesquels on jouait des reprises, du Led Zeppelin, des trucs de jazz… Mais à chaque fois, j’étais avec des mecs qui avaient moins envie de jouer que moi. Ca, c’était insupportable ! Ça me rendait fou ! Je ne trouvais jamais des mecs qui pouvaient jouer pendant des week-ends entiers. « Ah, non, je vais voir ma copine… Je vais faire du skate… »

Arnaud : C’est pareil pour moi. Au lycée, j’avais chanté avec un pote, qui jouait de la guitare. On faisait des reprises nous aussi.

François : Ce mec a continué à faire de la musique, d’ailleurs. Il a un groupe qui s’appelle Clint Is Gone.

C’est le prochain groupe qui sera sur Subjective !

Alex : Arrête !

(rires)

Pour nous donner des repères, vous pourriez situer l’histoire de The Yolks en quelques dates ? Quelques grandes étapes ?

Arnaud : On a commencé à jouer ensemble tout début 2007.

François : À un moment donné, on a eu deux autres musiciens : un bassiste et un batteur. Ca, c’était jusqu’en 2008. Ce bassiste et ce batteur faisaient beaucoup de choses à côté, ils bossaient, et ils avaient du mal à assurer toutes les dates.

Alex : On a eu plein d’autres musiciens, en fait !

Ca a beaucoup bougé ?

Alex : Oui, on a mis du temps à trouver notre formule.

François : Au tout début, Alex était à la guitare et moi aussi — des guitares acoustiques. Arnaud était uniquement chanteur. Ce qu’on faisait était un peu folk, d’ailleurs. Ensuite, on s’est mis à jouer avec d’autres musiciens. Ca a duré presque deux ans. Finalement, suite à la séparation d’avec notre batteur et notre bassiste, on a trouvé Gabriel, notre batteur actuel. Du coup, Arnaud s’est mis à la basse. On avait eu tellement de bassistes…

Alex : Une fois, il y en a un qui nous a plantés la veille d’un concert ! Par texto !

Le lâche !

Alex : Le lâche ! C’était pour un concert à Lille, donc on s’est retrouvé à Lille sans bassiste.

Arnaud : Et on devait y aller en voiture, en plus. Donc on s’est dit, les bassistes…

(rires)

Et Arnaud s’est mis à la basse ?

Arnaud : Oui. Je faisais déjà un peu de guitare et un peu de piano, donc j’avais des bases. Mais il a quand même fallu que je m’y mette ! Au début, c’était pas facile.

François : Surtout le fait de chanter et de jouer en même temps, parce qu’on fait des choses assez rythmiques…

Vous avez fait énormément de concerts…

Alex : Peut-être pas énormément ! On n’a pas non plus fait de grosse tournée, mais…

François : Disons que pour un groupe qui n’a pas de tourneur, c’est pas mal.

Arnaud : On a quand même fait tous les bars les plus pourris de Paris !

François : Je me souviens d’un mois de juin pendant lequel on a du faire douze concerts rien qu’à Paris.

Alex : Pendant les partiels ! Arnaud et moi, on enchaînait : on passait nos partiels, le lendemain on avait un concert, le surlendemain on avait un partiel et un concert le soir même…

François : L’idée, c’était vraiment d’en faire un maximum. Jusqu’à ce qu’on trouve la formule actuelle avec Gabriel, en août-septembre 2008.

Alex : Et là, dans la foulée, on a arrêté nos études. Ca devenait trop dur de tout gérer.

François : Et c’était vraiment ça qu’on voulait faire.

Vous vous voyez faire votre vie dans la musique ?

Alex : Ah, complètement !

Arnaud : On commence à gagner un peu plus d’argent…

Alex : Oui, et on commence surtout à rencontrer pas mal de monde. Donc on voit comment vivent les musiciens qui font ça depuis un bout de temps.

François : Depuis, il y a une porte qui s’est ouverte sur des gens qui ne font que ça. Des gens comme les Baden Baden, par exemple. J’ai été guitariste dans un groupe qui s’appelle Fortune. Alex fait un peu de claviers avec un mec qui s’appelle Sayem… Des gens qui ont déjà sorti des albums. On est un peu potes avec les Naive New Beaters, aussi. On a joué plusieurs fois avec eux, notamment à la Boule Noire. Ca, c’était une date importante pour nous ! Fin août, on commence à travailler avec Gabriel, et dans la foulée les Naive New Beaters nous contactent pour nous demander de faire leur première partie.

Alex : On a bossé pendant un mois comme des oufs avec Gab pour être prêts.

François : Et puis il fallait qu’Arnaud reprenne la basse !

Arnaud : On avait tout ré-arrangé, on avait plein de nouveaux morceaux… On a fait un vrai bond en avant, à cette période.

François : Et c’est à la Boule Noire que pas mal de gens nous ont repéré — grâce à notre EP, aussi. Des mecs de labels, genre Cinq 7 (le label de Naive New Beaters). Mais on n’était encore vraiment pas carré ! D’ailleurs ils nous l’ont dit plus tard.

Quand est-ce que vous avez sorti l’EP ?

Arnaud : En septembre 2009.

Alex : Pour nous c’était une grosse étape.

François : La possibilité d’avoir, pour la première fois, un truc bien enregistré.

Sacrément bien enregistré, je dirais ! Comment vous avez fait ?

Alex : On a… économisé !

(rires)

Arnaud : On a enregistré en studio. Dans le 19e, un studio qui s’appelle Soyuz.

François : Ce sont des studios qui ont appartenu à -M-, et qui ont depuis été découpés en plusieurs petits studios. Il y a des jeunes ingés son qui y bossent. J’avais fait des guitares sur l’album de Fortune, et c’est grâce à leur producteur et ingénieur du son, Pierrick Devin, qu’on a pu enregistrer dans ces studios. Il y avait plein de claviers disponibles, plein de guitares… Bon, comme ils nous avaient fait un prix d’ami, on ne pouvait y aller qu’une après-midi par ci, une après-midi par là… Il y avait parfois une semaine qui passait sans qu’on puisse enregistrer. Ca oblige à se remettre dans le truc constamment.

En même temps, est-ce que ça ne permet pas d’avoir un peu plus de recul sur ce qu’on fait ?

Alex : Ouais, mais le problème c’est qu’on n’entendait pas le résultat de nos enregistrements au fur et à mesure, parce qu’il fallait faire le mixage ! Donc c’est plus tard qu’on a pris conscience de ce qu’on avait fait.

Et vous êtes fiers du résultat ?

François : Plus le temps avance, plus on se dit « ah, ça on ne le ferait plus de la même façon ! » Il y a peut-être certaines choses, comme ça, sur lesquelles on a changé d’avis.

Alex : Ouais, c’est juste le mixage, la reverb… Mais globalement, on peut dire qu’on est content, non ?

François : Oui, moi je suis content. Mais peut-être que le fait que ça ait été enregistré de façon très séparée… Je me demande ce que ça aurait pu donner si on avait enregistré tous ensemble. Mais bon, pour ça il faut des studios énormes, et ça coûte très, très cher. C’est ce que m’avait dit Pierrick après avoir entendu le 4-titres : « ah, finalement vous auriez peut-être du enregistrer tous ensemble ! »

Et les quatre morceaux eux-mêmes, ils vous plaisent encore ?

François : Ah oui, carrément !

Alex : Tu sais, en même temps, notre setlist actuelle (excepté un morceau qu’on a commencé en septembre) est constituée de morceaux qui ont tous au moins un an. Donc heureusement qu’on n’est pas saoûlé ! (rires)

Arnaud : Et puis les morceaux évoluent. Ils prennent de la maturité, on change des petits trucs…

Il y a besoin d’y toucher pour qu’il n’y ait pas de lassitude ?

Alex : C’est surtout qu’il ne faut pas trop répéter une fois qu’on sait bien jouer les morceaux.

Arnaud : Et puis c’est important de composer en parallèle.

François : En ce moment, on est dans une phase où on compose beaucoup, on maquette. On répète quand même, mais beaucoup moins qu’à une époque. Finalement, je pense qu’on a trouvé un bon équilibre.

C’était difficile de choisir les quatre morceaux de l’EP ?

Arnaud : Ça a pris du temps. On était certain des deux premiers morceaux, mais on hésitait pour les deux autres. On en a parlé à des gens qui connaissaient un peu le groupe. Au final, notre choix nous a semblé assez clair, assez cohérent. Les morceaux vont bien ensemble.

Alex : Mais ils sont assez diversifiés. On aime bien ça.

Arnaud : Ce qui est bien, c’est qu’on se rend compte que personne ne préfère le même morceau. Que ce soit les labels, le public de nos concerts, ou les gens qu’on connaît : tout le monde a un avis différent.

François : À mon avis, c’est plutôt le marketing qui fait que les gens vont se focaliser sur tel ou tel morceau. Quand un label décide qu’une chanson va sortir en single, on entend la chanson partout, et les gens finissent par la retenir.

Vous ne pensez pas qu’il y ait un tube évident sur l’EP ?

Alex : Ca dépend de ton optique, de ta ligne artistique. Je pense qu’avec de nouveaux enregistrements en studio, du temps, des moyens, les quatre morceaux pourraient être optimisés. Je pense qu’ils peuvent tous être poussés plus loin. Mais surtout les deux premiers (« Faster » et « Stop Working »).

François : Les labels qui nous ont contacté ne nous ont pas parlé des mêmes morceaux…

Alex : Souvent des deux premiers, encore une fois. Et ça nous a surpris, parce que ce sont deux morceaux très différents (enfin, selon nous !).

Chaque morceau semble avoir vocation à devenir un tube…

Alex : C’est ce qu’on essaie de faire, oui. On essaie de donner à chaque morceau quelque chose.

Arnaud : Une personnalité.

Alex : Pas de chanson bouche-trou !

François : C’est de la pop ! Je pense que si chaque morceau a une vraie direction, c’est parce que c’est assez réfléchi. Quand on crée les chansons, on se pose plein de questions, « de quoi est-ce qu’on parle ? », etc.

Vous discutez beaucoup ?

(en chœur) : Ah ouais !

Alex : Énormément !

François : Surtout dans l’écriture des paroles, en fait. Comme c’est Arnaud qui les chante, il écrit une bonne partie des textes. Mais ensuite ça devient une sorte de grand brainstorming. Si c’est l’histoire d’un mec, on va se demander comment il vit, ce qu’il fait, ce qu’il veut, où il est… Ou bien, pour donner un autre exemple, il y a « Stop Working » qui est l’histoire d’une espèce de collectif qui veut arrêter de travailler. Là encore, qui sont ces mecs ? Des néo-hippies ? De quel quartier est-ce qu’ils viennent ?

Donc ce n’est pas forcément vous ?

Arnaud : Il y a une grosse part de nous dans toutes les chansons, je pense.

François : Des « nous » un peu rêvés…

Alex : On peut être inspiré par toutes sortes de choses. Des films, des mangas, des jeux vidéos, des bouquins… Ou parfois d’autres musiques, bien sûr.

François : Tu pars d’un autre morceau, et tu te dis : « il faut faire comme ça » ou justement « il ne faut pas faire comme ça ».

Alex : Et globalement, on attache beaucoup d’importance à ce qu’on dit dans les morceaux. On ne se permettrait pas d’avoir simplement une ambiance musicale, avec des mots posés sur la musique simplement parce qu’ils colleraient à cette ambiance.

François : On a fait trois dates en Angleterre l’été dernier, et c’était super : les Anglais venaient nous voir après les concerts, et ils nous parlaient très souvent des paroles.

Arnaud : Ça fait super plaisir.

De ne pas s’être cassé le cul pour…

François : Voilà !

(rires)

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