LOU REED / « Coney Island Baby » (1975)


Lou Reed Coney Island Baby

En 1975, Lou Reed n’est pas encore l’animal perfide qui terrorise les journalistes mal préparés en interview. Il est pire que ça. En 1975, Lou Reed est un déchet. Quelqu’un que plus personne n’ose toucher ni même approcher. Il est drogué, malade, sans le sou, poursuivi en justice par un ancien manager, traqué par les impôts qu’il n’a pas payé depuis cinq ans, quasi SDF, au fond du trou. Surtout, c’est sa santé mentale qui commence à inquiéter. Il vient de publier coup sur coup deux albums qui transcendent le concept d’échec commercial : Sally Can’t Dance, jugé transparent à sa sortie (mais qui mérite sa petite réévaluation aujourd’hui) et, surtout, l’heure de musique la plus pénible jamais couchée sur bande Metal Music Machine, sorte de vomi industriel avant l’heure au sujet duquel Reed dira d’ailleurs que « ceux qui l’ont acheté sont encore plus tarés que moi ». Le machin sera retiré des bacs trois semaines après sa sortie. En 1975, Lou Reed est un bon gros freak perdu pour l’Histoire.
Semble-t-il.

Son salut viendra d’un certain Ken Glancy. En 1975, Ken Glancy est le président du label RCA, qui héberge Lou Reed. C’est un businessman aguerri, certes, mais surtout un « homme d’honneur » comme le dira plus tard Reed, pourtant pas abonné aux compliments. Le président lui propose un deal : il lui offre un toit au Gramercy Park Hotel et lui finance intégralement l’enregistrement d’un nouvel album si Reed promet de ne pas faire « Son Of Metal Music Machine ». Plus que les impôts, plus que la mort, plus que le manque de drogue, plus que de devenir fou, le monde de Lou Reed est soudain plein d’une autre angoisse : trahir un homme qui lui a accordé sa confiance.

Un professeur de philo nous a dit un jour, lors d’un cours sur William et Henry James, que tous les grands auteurs américains étaient hantés par la notion de confiance. Comme n’importe quel grand auteur américain, Lou Reed a écrit avec « Coney Island Baby » une chanson sur ce thème – sur ce que ça signifie d’accorder sa confiance, de l’accepter, de l’honorer. « Coney Island Baby » est une chanson sur la gratuité, sur l’absolu au coeur de cette notion. On l’accorde ou on ne l’accorde pas, ça ne s’explique pas. Mais si on l’accorde, elle guide vos faits et gestes et elle accomplit des grandes choses en votre nom.

Sur un édredon blanc et bleu (basse ronde et chaude, guitare effleurée, batterie qui dort debout), un homme se souvient de ses années de lycée. L’entraîneur de l’équipe de football est un sale type, méchant, dictatorial. Mais ce tyran a un jour fait confiance au narrateur. Dorénavant, c’est décidé, ce dernier jouera au football « for the coach ». Quoiqu’il arrive. Passage en la mineur pour le refrain. Le narrateur se souvient de ceux qui lui ont accordé cette confiance, ce don gratuit. Cet amour. Comme cette princesse qui habite sur la colline qui l’a aimé alors qu’elle savait très bien qu’elle faisait une erreur. La beauté des personnes qui font ce don, et surtout, la beauté de ce qu’elles provoquent chez celui ou celle qui le reçoit, c’est la « gloire de l’amour » que chante Lou Reed, extatique, en fin de parcours. L’amour est performatif. Il fait faire des choses merveilleuses, il rend fort, il fait toucher la vérité sans cligner des yeux. Il fait écrire des chansons comme « Coney Island Baby ».

‘Cause, you know some day, man
you gotta stand up straight unless you’re gonna fall
then you’re gone to die
And the straightest dude
I ever knew was standing right for me all the time
So I had to play football for the coach
and I wanted to play football for the coachWhen you’re all alone and lonely
in your midnight hour
And you find that your soul
it’s been up for sale

And you begin to think ’bout
all the things that you’ve done
And you begin to hate
just ’bout everything

But remember the princess who lived on the hill
Who loved you even though she knew you was wrong
And right now she just might come shining through
and the –

– Glory of love, glory of love
glory of love, just might come through

par Maxime Chamoux


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