thomas pirot



LOW / The Great Destroyer (2005)


low the great destroyer

Il est de ces disques où le producteur sublime l’artiste. Bien qu’éculée, cette phrase prend ici tout son sens.

Jusque là, Low était connu pour ses douces balades, ses comptines introverties pour adulte mélancolique. Ces tristes chansons lentes et langoureuses qui s’effacent au loin dans le blizzard des alentours de Duluth, Minnesota, ville dont sont originaires Alan Sparhawk et Mimi Parker, couple fondateur du groupe. Le groupe avait peaufiné son style au fil des années, précisé son écriture minimaliste, fait de la sobriété son cheval de bataille, aux côtés de producteurs comme Steve Albini.

Seulement, au milieu des années 2000, Low décide de travailler avec Dave Fridmann. Ils trouvent alors une personne qui comprend et mène à bien leurs nouvelles aspirations. Qu’aurait été The Great Destroyer sans la contribution de Fridmann ? Une répétition du raté Trust, album précédent où les envies se font sentir mais dont on ne comprend le véritable propos qu’à l’écoute de son successeur ?

Pour la première fois, le groupe laisse éclater avec grâce et pertinence la violence sous-jacente de sa musique, la hargne qu’insinue son songwriting. The Great Destroyer bouillonne là où les albums précédents marchaient dans la neige. Et la production est la première ambassadrice de ce virement de bord : sur des chansons à l’abord plutôt froid, Fridmann apporte la chaleur des machines analogiques poussées à l’extrême. Les gains sont tournés au maximum, les compresseurs marchent à plein régime et chaque son en ressort avec un grain unique. Saturés, distordus, les instruments se retrouvent embarqués dans la salle des machines d’un brise-glace lancé à toute vapeur (il n’y a qu’à écouter l’intro de « Monkey », première chanson de l’ album, pour s’en rendre compte). Le groupe se découvre un penchant Noise où les larsens se font plus tranchants que jamais. Les doux tambours de Mimi Parker deviennent une véritable batterie abrasive (la chanson « The Great Destroyer »).

Ceci résulte en un album âpre et granuleux, aux compositions plus virulentes, voire vindicatrices (« Everyday they torture us, they torture us and say : nothing stays together. Breaking everybody’s heart, taking everyone appart » sur « Everybody’ s Song »). Et là où l’on avait l’habitude d’entendre Low utiliser le silence et les espaces vides, on se fait surprendre par l’ampleur sonore, on se fait réveiller par le souffle et les crachotements des amplis à lampes allumés depuis des heures.

Ce disque, et surtout cette production, aurait pu faire école tant ils repoussent les limites du « beau » son. Jamais rien n’a autant grouillé et râpé en même temps, et cela, tout en laissant la beauté s’échapper des mélodies limpides du trio. Car la force du groupe est toujours là : ses mélodies, ses harmonies à tomber par-dessus le bastingage, ses prises d’otage de nos cœurs sont tout simplement propulsées à l’étage supérieur. L’impact n’en est que plus sidérant. (Et certains ne s’y sont pas trompés, puisque le festival Primavera Sound de Barcelone, grand messe indé européenne, a programmé cette année une performance exceptionnelle du groupe jouant The Great Destroyer dans son intégralité.)

Dans sa dynamique de remise en question, Low s’interroge non seulement sur sa musique, mais également sur la musique en tant que nécessité pour un musicien (« Death Of A Salesman ») et ses conséquences (« When I Go Deaf »). Une chose est certaine après cela : les bourdonnements et autres acouphènes seront à jamais mélodieux et emplis d’humanité.

par Thomas Pirot

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YO LA TENGO / Painful (1993)


Yo La Tengo Painful

« Cher M. Falkowicz, Je tiens par la présente à vous adresser mes plus sincères et mes plus profonds remerciements ainsi que ma reconnaissance éternelle. Cordialement, Thomas Pirot »

Cette lettre, je ne l’ai jamais écrite mais j’aurais sûrement dû. Ce mystérieux M. Falkowicz, dont je tairai le prénom pour lui éviter de crouler sous des dizaines de milliers de lettres de fans tous les jours, n’est ni le cousin dyslexique de John Malkovich, ni un personnage terrifiant d’un film de David Lynch dont la surimpression sur le visage d’une belle blonde vous glace le sang.

Cet homme fût mon professeur d’acoustique il y a quelques années, pendant mes études de techniques du son. Et cet homme est un peu mon héros. Pas parce que ses cours ont révolutionné ma vie, pas parce que la physique est ma passion. Au contraire, j’étais plutôt largué dans cette matière dont j’ai compris l’utilité mais jamais les fonctionnements.

Ce professeur a cela d’héroïque qu’il m’a un jour offert un CD gravé (un CD de données comme on disait à l’époque !) contenant une petite dizaine d’albums en mp3. Parce qu’on avait discuté musique, parce que mon meilleur ami portait un T-shirt des Smiths… Sur cette compile se trouvaient un album des Verlaines, un autre des Only Ones… et puis Painful.

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(Please) Don’t Blame Mexico


Vous rentriez d’un lieu familier. Vous aviez encore votre cravate. Qu’est ce qui vous a pris, ce soir, de prendre un détour inconnu, de vous arrêter sur cette route déserte ? Est-ce la fatigue ou bien cette chanson des Smashing Pumpkins vissée dans votre tête, qui vous a fait entendre ces notes, étranges, festives ? Vous baissez la fenêtre. La folie mélodique des Smash est soudain prise dans les vapeurs d’octobre et d’opium. Vous croyez les voir, alanguis sur leurs citrouilles, oubliant de les pulvériser, ciselant leurs contours pendant des heures, au bord de leurs pupilles dilatées. Vous coupez le courant.

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En vous approchant, vous distinguez trois musiciens. Ils disent s’appeler (Please) Don’t Blame Mexico. S’affairant à les changer en carosse, ce sont des chansons qu’ils tiennent entre les mains. Vous les interrompez dans leur recherche minutieuse : ils ne savent plus s’ils ont passé des heures ou des années à dessiner leurs lignes d’arrangements. Ils ne connaissent plus que le temps de la musique.

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