la féline



STEVE REICH / Music For 18 Musicians (1976)


steve reich music for 18 musicians

La découverte de cette pièce a été un choc pour moi. Music For 18 Musicians m’engloutit dès les premières mesures. En ouverture, les timbres des marimbas, clarinettes, violons et voix s’assemblent en grappes de notes aux textures inédites, en croches rigoureuses. Flux et reflux. Un faisceau de lignes de fuites musicales se construit. La sensation de mouvement est immédiate et intégrale.

La pièce joue ensuite avec des motifs de quelques notes, travaillant la complémentarité des motifs entre les différents instruments et évoluant de l’un à l’autre en pure inconscience de l’auditeur. En écoutant ce morceau, je me représente des formes géométriques lumineuses qui se succèdent par morphing. L’harmonie est complètement ouverte, parfaitement neutre dans ses intentions émotionnelles. Impossible de déterminer une humeur particulière imposée par l’auteur (*), je suis alors totalement libre de mes projections mentales.

Il y a un fil qui relie le travail de Reich aux orchestres de gamelan balinais, dont il s’est inspiré, à des artistes comme Neu !, Tortoise, Brian Eno, Sonic Youth, The Field, etc. Ce sont des propositions musicales en forme de trajectoires pures, avec la boucle pour seul horizon, des harmonies en suspension perpétuelle (gamme pentatonique rules), des basses continues, des rythmes hypnotiques. C’est la musique dans ce qu’elle a de plus abstrait, ondes qui se propagent cycliquement dans l’air. Ramenée à la transe, voici la musique au plus près d’elle-même.

(*) contrairement à une chanson de Zaz par exemple

par Xavier Thiry
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ELECTRELANE / No Shouts No Calls (2007)


electrelane no shouts no calls

C’est le quatrième et dernier album de ce groupe anglais, exclusivement féminin (Verity Susman, Ros Murray, Emma Gaze et Mia Clarke) qui lutta dix ans pour se faire entendre, et fit son chef-d’œuvre un an avant de décider qu’il était temps d’en finir. Un album la mort dans l’âme donc, mais quelle âme justement. Enregistré en 2006 à Berlin, il évoque davantage les murs historiés de cette ville à strates, à vastes voies et à hauts murs qu’une paisible navigation. On l’écoute d’une traite, comme une seule et unique piste, un stream of consciousness à la fois pudique et collectif, qui s’engouffre discrètement dans les rues de la ville, et en vous, jusqu’à vous submerger. Mais sur les autoroutes sonores de la section rythmique qui fait toujours non, le soleil perce les nuages. Les guitares de Mia et la voix de Verity rappellent une promesse oubliée. Les mélodies pop sans sucre et sans miel de « In Berlin », « Five », « The Lighthouse » viennent caresser vos joues glacées, fouettées par le vent. Il se peut alors que vos yeux pleurent, car ces chants sous leurs dehors rugueux puisent au fond de la mélancolie elle-même. Beaux comme la tristesse, le béton ou l’asphalte, ils ont l’incomparable éclat du gris.

par Agnès Gayraud

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Agnès, tu me disais récemment que certaines personnes ne savaient pas placer La Féline dans une catégorie — musique indé ou variété. Pour toi, le fait qu’il puisse y avoir hésitation sur la nature de votre musique, c’est plutôt insultant, ou au contraire plutôt flatteur ?

Agnès Gayraud : C’est un faux diagnostic. C’est comme si ce genre de découpage était encore pertinent aujourd’hui, alors qu’on voit bien qu’il y a plein de groupes influencés par une esthétique indé qui sont devenus « mainstream ». Comme dans le folk en ce moment ou dans le rock des années 80. Quand on nous dit ça, je trouve que ce sont des gens qui ne voient pas que l’époque se prête aussi à ça, c’est-à-dire qu’on peut faire quelque chose qui soit à la fois grand public et exigeant. De plus en plus exigeant, d’ailleurs, parce que le public connaît plus de musique, notamment grâce aux téléchargements sur Internet : on peut écouter à volonté des morceaux vieux de quarante ans ! C’est cet affinement des goûts « populaires » qui fait qu’on peut prétendre faire de la musique grand public sans que ce soit insultant. Quand on fait de la pop, on recherche bien sûr quelque chose d’immédiat. Mais en effet, on est aussi un groupe intransigeant. Il y a en nous ces deux côtés, qui entrent parfois en contradiction, mais je pense que ça appartient à l’époque. On est fier de la représenter.

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J’ai toujours été mauvais pour classer les musiques dans les genres. Il y a pourtant des spécialistes de l’exercice, des gens qui identifieront dès la cinquième mesure un anarcho-punk racé aux accents new wave ou sauront démasquer même dans le noir un subtil garage rock psychédélique. Sans doute parce que je suis mauvais à ça, je me méfie de ces connaisseurs ; ils me rappellent trop ces gens impossibles qui viennent vous déranger au bar pendant un changement de set et glissent à votre oreille avec un petit haussement de sourcil érudit : « étonnante cette indie pop new age à tendance post punk ». Ils aiment tellement emprisonner les sons dans des mots.

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Devant la Féline, les pros de la mise en cage sont désemparés. « Folk ambivalente » disent-il, le regard sombre, quand on les pousse à bout sur leur terrain favori. Qu’il est vexant pour un expert d’être tenu en échec à domicile… Car les panthères n’aiment pas les zoos ; et la Féline c’est d’abord des images, plein d’images. Des images subjectives, suggestives, des bizarres projectiles de lumière lancés comme des balises dans la grisaille du quotidien, qui dévoilent sur son sol dur et las des fêlures ouvertes comme d’inquiétants sourires, d’inquiétants soupirs, d’inquiétants souvenirs. Ils s’amusent à nous faire peur et leurs rêveries résonnent au petit matin comme des prémonitions.

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