La Féline


J’ai toujours été mauvais pour classer les musiques dans les genres. Il y a pourtant des spécialistes de l’exercice, des gens qui identifieront dès la cinquième mesure un anarcho-punk racé aux accents new wave ou sauront démasquer même dans le noir un subtil garage rock psychédélique. Sans doute parce que je suis mauvais à ça, je me méfie de ces connaisseurs ; ils me rappellent trop ces gens impossibles qui viennent vous déranger au bar pendant un changement de set et glissent à votre oreille avec un petit haussement de sourcil érudit : « étonnante cette indie pop new age à tendance post punk ». Ils aiment tellement emprisonner les sons dans des mots.

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Devant la Féline, les pros de la mise en cage sont désemparés. « Folk ambivalente » disent-il, le regard sombre, quand on les pousse à bout sur leur terrain favori. Qu’il est vexant pour un expert d’être tenu en échec à domicile… Car les panthères n’aiment pas les zoos ; et la Féline c’est d’abord des images, plein d’images. Des images subjectives, suggestives, des bizarres projectiles de lumière lancés comme des balises dans la grisaille du quotidien, qui dévoilent sur son sol dur et las des fêlures ouvertes comme d’inquiétants sourires, d’inquiétants soupirs, d’inquiétants souvenirs. Ils s’amusent à nous faire peur et leurs rêveries résonnent au petit matin comme des prémonitions.

On serait cachés sous un fauteuil dans une immense cour rectangulaire où rôderaient des loups affamés… On ne sait pas ce qu’on attend pour sortir, si manifestement perdus. Pourquoi garder espoir ? Peut être pour ces curieux éclats de verre qui jonchent le sol autour de notre refuge, peut être à cause de ce bruit de train que nous croyons percevoir au loin. Nous grimaçons. Soudain, alors que les loups s’approchent et que notre situation semble plus que jamais désespérée, le paysage à perte de vue commence à se tordre, à se replier sur lui même, pour finalement, après quelques hésitations, prendre la forme du salon d’un vieux manoir anglais à l’air saturé par un érotisme inquiet. Toujours cachés sous le fauteuil, nous observons la scène qui se joue devant nous. Debout sur une table où les restes du repas n’ont pas été débarrassés, sous un ventilateur en bois qui tourne au ralenti, une femme aux cheveux bleus s’est mise à danser avec frénésie. Quatre personnes, serrées dans le canapé, la regardent en silence, fixement. L’une d’entre elles est un gros chat noir.

Insatiable, l’homme-dictionnaire redemande : « la Féline, c’est quoi ? ». Il faudrait peut-être répondre dans un souffle : la Féline, c’est l’histoire d’une statue qui est tombée amoureuse de David Lynch. Freud a essayé de les séparer, mais il s’est fait transformer en panthère. Et maintenant, tais-toi.

par Jérôme de Larosière


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