La Féline


Agnès, tu me disais récemment que certaines personnes ne savaient pas placer La Féline dans une catégorie — musique indé ou variété. Pour toi, le fait qu’il puisse y avoir hésitation sur la nature de votre musique, c’est plutôt insultant, ou au contraire plutôt flatteur ?

Agnès Gayraud : C’est un faux diagnostic. C’est comme si ce genre de découpage était encore pertinent aujourd’hui, alors qu’on voit bien qu’il y a plein de groupes influencés par une esthétique indé qui sont devenus « mainstream ». Comme dans le folk en ce moment ou dans le rock des années 80. Quand on nous dit ça, je trouve que ce sont des gens qui ne voient pas que l’époque se prête aussi à ça, c’est-à-dire qu’on peut faire quelque chose qui soit à la fois grand public et exigeant. De plus en plus exigeant, d’ailleurs, parce que le public connaît plus de musique, notamment grâce aux téléchargements sur Internet : on peut écouter à volonté des morceaux vieux de quarante ans ! C’est cet affinement des goûts « populaires » qui fait qu’on peut prétendre faire de la musique grand public sans que ce soit insultant. Quand on fait de la pop, on recherche bien sûr quelque chose d’immédiat. Mais en effet, on est aussi un groupe intransigeant. Il y a en nous ces deux côtés, qui entrent parfois en contradiction, mais je pense que ça appartient à l’époque. On est fier de la représenter.

Mais quand on vous dit ça, ça vous pose des questions sur l’avenir du groupe et de son identité ?

Agnès : Oui… Moi, je n’ai pas de problème de personnalité. Parfois on a quand même envie d’être guidé, d’avoir un peu d’extériorité. Mais il faut aussi nous faire confiance ! On ne peut pas nous dire : « elle est où ta case ? Après je vous ferai confiance ! »

Stéphane Bellity : Et c’est à mon avis propre à la France, ce genre de confusion. On se pose beaucoup de questions. On est moins dans l’émotion, plus dans l’analyse. On pourrait jouer la musique de La Féline au Canada ou en Belgique, il y aurait beaucoup plus de lâcher-prise : « faites votre truc, on adhère ou pas ! »

Agnès : On fait des choses différentes, mais pour ceux qui nous apprécient, il y a un continuum, un esprit global.

…que tu qualifierais comment ?

Agnès : Il y a une fragilité, un goût des sons réverbérés, un certain goût de la pop et de la légèreté.

Xavier Thiry : Et de l’élégance aussi.

Agnès : Également une forme de profondeur. C’est un peu sombre. Il y a de la naïveté mais en même temps on est très conscients, on écoute beaucoup de musique, on s’en échange beaucoup. On est très lucide et pourtant instinctif. Voilà, on fonctionne un peu par doublons : profondeur/légèreté, lucidité/instinct, fragilité/force… Il y a un goût de l’ambivalence.

Et donc cette ambivalence « mainstream versusmusique recherchée »… ce n’est pas forcément une opposition ?

Agnès : Tout à fait.

J’avais prévu quelques questions mais vous venez de présenter quelques titres inédits [ndlr : nous venons d’assister à un concert de La Féline au Centre Barbara Fleury] alors je change de plan. Si vous pouviez tout simplement présenter ces nouveaux titres…

Agnès : En effet, quelques nouveaux titres qui vont sortir le 22 novembre, un maxi constitué de six titres que l’on joue sur scène depuis bientôt un an. On continue de jouer les anciens titres bien sûr — ceux que notre public attend, comme « Mystery Train ». Mais on est aussi des grands adpetes du ré-arrangement. Il y a des morceaux que l’on a modifiés du fait de la configuration du groupe à trois.

Donc le live est fort différent ?

Agnès : Oui, je crois qu’il y a un intérêt à nous suivre en live. La Féline, c’est hyper protéiforme. Sur scène, c’est une autre forme du groupe qui apparaît — une forme que l’on chérit beaucoup.

Xavier : Les arrangements s’enrichissent au fur et à mesure des concerts, un peu comme pour une troupe de théâtre : la première est un peu moyenne, et puis ça s’améliore au fil des représentations !

Je voudrais un peu vous parler de cinéma, évidemment ! Qui a apporté le film La Féline au groupe ?

Agnès : C’est moi.

Xavier, Stéphane, vous avez aimé ?

Xavier : J’en ai vu des extraits… (rires)

Stéphane : Je l’ai vu, mais ça ne m’a pas fasciné. On vole l’imaginaire du film, ça ne veut pas dire qu’on est obligés de l’adorer… Disons que ce film a peut-être plus été un choc pour Agnès que pour nous !

Agnès : Moi j’aime beaucoup ! Le choix s’est aussi fait parce que j’avais envie d’un nom de groupe en français. Je n’avais pas envie qu’on s’appelle « The machin ». Et puis j’ai l’intuition que ce nom peut aussi plaire aux anglo-saxons.

Stéphane : Pourtant La Féline n’est pas une production française…

Agnès : Oui, c’est une production hollywoodienne de Jacques Tourneur, mais les acteurs sont français.

Vous êtes tous les trois cinéphiles ?

Stéphane : Oui. Sans prétendre tout connaître, bien sûr ! Mais on a cette sensibilité commune.

Agnès : Stéphane m’a fait découvrir un film de Renoir, Le Fleuve, qui m’a beaucoup marquée. On est vraiment en fusion sur des choses comme ça. L’esthétique des westerns nous plaît également. On aime beaucoup David Lynch, et notamment Twin Peaks. Si tu associes des images à la musique, ça donne unenécessité à tes notes, ça projette une atmosphère. Le cinéma apporte une profondeur, une richesse à la musique. C’est spécialement vrai quand tu joues de la pop, qui tourne sur des formes un peu limitées.

Stéphane : C’est un vocabulaire ! Entre nous, on parle de séquences, de climats… On ne parle pas forcément de musique de façon prosaïque ou technique, on ne parle pas trop d’accords ou de ce genre de choses, mais on évoque simplement des ambiances que tu peux retrouver dans le ciné. On utilise un vocabulaire ouvert et qui fonctionne par images.

Agnès : L’image est importante dans un groupe. Ce n’est pas qu’un art du son, c’est aussi un art de l’image. C’est normal que ça interfère.

Pourtant ce n’est pas commun de revendiquer ses inspirations !

Agnès : Effectivement.

Xavier : La « mythologie rock », on ne se l’est jamais appropriée, on s’en fout. D’autres groupes s’approprient ça – sex, drugs & rock’n’roll… Tout ce « mode de vie » rock.

Agnès : Dans la mythologie rock, je suis sensible aux figures, aux incarnations. J’aime beaucoup Alex Chilton par exemple. Ou encore Elvis, pour prendre quelque chose de massif. Il y a quelque chose de christique quand on prétend à la star attitude. Je trouve ça beau, je vis aussi la musique comme un don de soi. On affronte la peur de s’exposer.

Le trac ?

Agnès : C’est plus profond. C’est une peur qui vient d’un besoin de reconnaissance. C’est la peur d’être sur scène et d’être jugée.

Stéphane : Beaucoup de musiciens comme Elvis ont eu la tentation du ciné. C’est-à-dire que sur scène, tu es déjà tellement dans l’image, dans la représentation, dans un cadre… Tu compose avec l’ambiance, les lumières : tu es déjà filmé dans les yeux des gens ! (rires)

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