Thomas Subiranin – Partie II / Processus


Subiranin

Suite et fin de notre interview consacrée à Thomas Subiranin (lire la première partie):

Comment construis-tu tes chansons ?

J’adore les petites chansons courtes, je suis totalement obsédé par ça. Les chansons de 2’20 où tout est dit et où il n’y a rien à rajouter. C’est ce que je cherche à faire. Je ne ressens pas le besoin d’étendre des morceaux sur 10 minutes.

J’aime bien être efficace, voir les choses qui se mettent en place rapidement tout en étant cohérentes. Il y a toujours un moment de respiration où je donne dans l’instrumental, pendant une trentaine de secondes. Mais j’adore les mélodies, je ne vais certainement pas faire un morceau de progressif avec des grosses montées de 10 minutes.

Quelle place donnes-tu aux mélodies dans tes compositions ?

Dans la musique actuelle, je trouve qu’il y a un manque de mélodie. Dans pas mal de nouveaux groupes, il y a une bonne production, une vraie esthétique, un son typé, mais il n’y a pas de mélodie, des petites ritournelles, très naturelles. Il y a ça dans certains groupes que j’aime actuellement comme Mac de Marco par exemple. La production est crade, mais on s’en fout, il fait des chansons naturelles, et c’est totalement décousu, c’est très bizarre, mais il y a de la mélodie. Je ne me retrouve pas dans beaucoup de groupes actuels où il y a un côté très minimaliste dans le son, où il y a juste une ou deux guitares avec de la réverbération, un chanteur qui susurre un truc, ce n’est pas trop ma came…

Comment travailles-tu pour composer ?

De manière très traditionnelle. « Little spark« , par exemple, quand je l’ai composée, je l’ai tout de suite enregistrée, parce qu’il y avait une mélodie. Sur « Heavy« , il y a juste deux accords très simples, mais le chant apporte la mélodie et si tu l’enlèves, ça perd tout son sens. Je place quelques accords, je trouve des mélodies, pas de mystère.

Ce que j’adore, c’est des choses très mélodiques. Il y a avait ça pendant longtemps, dans toutes les musiques, il y avait des mélodies fortes. Mais aujourd’hui, la production est mise avant au détriment de la mélodie. C’est un quelque chose que je regrette un peu. C’est que je me fous de la production. Il y a des morceaux qui sont très mal produits, mais qui restent inspirés. Pour moi une bonne chanson, c’est une chanson que tu peux reprendre sur une guitare ou un piano sans rien d’autre, ou simplement la fredonner. Si tu as besoin de tout un attirail, d’une pédale pour la jouer, pour moi ça ne tient pas debout.

Les productions récentes tendent à trop contrôler les imperfections. Il n’y a pas de place aux pains, aux fausses notes. C’est ce que je vais aimer dans certains vieux enregistrements, c’est entendre ce qui passe en tendant un peu l’oreille: des bouts de bande qu’on a oublié de couper, un petit larsen. La chanson préserve son côté humain. Aujourd’hui c’est très formaté, et par exemple, Phoenix, c’est hyper propre, il n’y a pas d’erreur. C’est une esthétique, mais pour ma part, j’aime bien garder une petite note de guitare bizarre si elle ne nuit pas au morceau. Pour moi, c’est de l’artisanat.

Qu’entends-tu par là ?

J’aime bien les premières prises, leur côté un peu brut. A force de trop répéter un morceau, il se cale mais perd son côté instinctif. Et ce que j’entends aussi par artisanal, c’est le fait de travailler seul. Personne ne plie les câbles derrière moi. J’ai tout de même eu la chance d’enregistrer en studio deux fois cette année. Quand on est sur la même longueur d’onde que l’ingénieur du son et le producteur, que tout le monde voit dans quelle direction tu souhaites aller, c’est nickel. Le matin, tout était placé ; pour enregistrer le chant, l’ingénieur du son avait sorti cinq ou six micros des années 60 et on a fait des tests pour choisir lequel sonnait le mieux. Quand je travaille tout seul, c’est un peu le laboratoire.

Pour l’’enregistrement, tu pars avec une idée précise dès le départ ou tu travailles de manière plus empirique en jouant sur les accidents, tes idées au fur et à mesure ?

En général, quand ma démo est prête, guitare – voix par exemple, je sais où je vais. Parfois, je me rends compte que ça ne marche pas du tout. Mais en général, je vois là où ça va aller. Quand un arrangement est évident, je le plaque. Après, je bidouille, je teste des choses.

Il ne faut être un maniaque de l’autoproduction. Quand je fais des trucs, ce n’est pas écoutable en un sens, il manque des fréquences. Il manque la masterisation, ce que je ne maîtrise pas tout. Et j’essaye de ne pas tout connaître. Sans connaitre à fond toutes ces techniques, un morceau peut sonner un peu bancal, mais il garde un côté naïf, et c’est important.

Quand considères-tu que le morceau est fini, qu’il n’y a plus de travail ?

Parfois jamais. Ça dépend. Si j’arrive avec une maquette très définie, parfois j’ai une maquette sur mon smartphone qui fait 3’10 mais tout est en place. En revanche, « Little Spark », elle a beaucoup évolué. Je n’avais que les gimmicks, le refrain, et pendant l’enregistrement, j’ai rajouté des chorus. C’était mouvant. J’ai passé des journées à le mixer pendant un mois. Pour « Heavy », en deux jours c’était fait et je l’ai mixé en une heure. Je suis assez exigeant de ce côté là, mais le temps passé dessus reste fluctuant.

Les disques du Velvet Underground et compagnie, c’est fait totalement à l’arrache. Les ingénieurs du son trouvent ça génial, ils aiment l’esthétique alors qu’à l’époque, les mecs ils ne respectaient rien en studio. Sauf qu’aujourd’hui, en studio, on applique des règles, on n’ose plus trop faire les cons.

Quelle est la place du chant dans tes compositions ?

Parfois, j’ai juste une mélodie que je fredonne sur laquelle je vais essayer de placer des mots. Parfois c’est l’inverse, et je tends de plus en plus à aller vers l’inverse et partir du texte. De manière générale, partir du texte pour aboutir à un morceau me permet d’obtenir un musique moins formatée. Les grilles et les motifs rythmiques seront moins systématiques, beaucoup plus aléatoires.

Placer le texte d’abord, c’est se fixer des contraintes ?

Avant quand j’avais des groupes, je ne chantais pas. Le chant est venu après le temps où je faisais de la musique électronique. A l’époque, je samplais des voix. J’écoutais Ariel Pink, et il m’a donné envie de chanter. Certaines de ces chansons seraient incroyables si elles étaient mieux produites. Au début, j’avais tendance à chanter des trucs avec beaucoup de réverbération, par peur. On entendait à peine ma voix, je la masquais avec des effets. Le texte était totalement secondaire, mais maintenant je vais de plus en plus vers l’écriture, ça me prend énormément de temps, même si j’écris des trucs très simples, compréhensibles… je ne suis pas écrivain.

Et justement, s’il fallait parler du contenu des textes ?

Au début j’étais très imagé, un peu surréalistes et abstrait. Maintenant, j’essaye d’exprimer des choses plus personnelles même si ça reste encore très imagé.

Tu chantes en anglais, pourquoi ce choix ?

C’est naturel, c’est tout. Les disques que j’adore sont principalement anglo-saxons. Chanter en français, pourquoi pas, mais j’ai récemment écrit un texte en français et je ne suis pas arrivé à le mettre en musique encore. C’est venu comme ça, naturellement, mais en revanche, mettre ce texte en musique n’est pas facile. De manière générale, je ne me suis jamais posé de questions, ça sonnait bien et voilà. « Little spark », si je le disais en français, les gens rigoleraient.

C’est de la pudeur de chanter en anglais ?

Probablement. Il y a des chansons que je chante en anglais et que je ne chanterais pas en français. Ça donne une forme de recul par rapport au texte. Parfois en français, il suffit de le dire et pas de le chanter, et ça paraît moins ringard.

Parfois, certains groupes font le choix de chanter en français, mais les paroles servent plus la mélodie.  Je n’aime avoir l’impression qu’un groupe met des mots pour en mettre.

La scène ?

J’ai quelques expériences avec des groupes, j’étais plus jeune. Sur mon projet actuel, ça n’est pas encore mon ambition. Je veux d’abord enregistrer, faire des chansons. Mais à terme, j’espère pouvoir monter un groupe. Pour l’instant, j’enregistre seul, piste par piste, et je n’ai donc pas cette espèce d’énergie globale dégagée par un groupe. Sur scène, j’imagine bien mes composition avec cette énergie. Ça serait intéressant de leur donner une autre tournure, ça pourrait leur apporter autre chose. Little spark, par exemple, il y aurait des arrangements qu’il faudrait simplifier. A voir donc !

Par Fabien Hellier

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