Luminocolor


Je voudrais vous poser trois questions à propos de votre « patte » musicale. D’abord : vous faites une musique du matin, de l’après-midi, de la nuit… ?

Olivier : Ca dépend des morceaux ! Pour moi, c’est de la musique de bagnole, Luminocolor. De la musique que tu mets quand tu pars en week-end. Ou peut-être après le boulot. En tout cas, en voiture !

Benoît : Effectivement, je pense que ça dépend des morceaux… Peut-être plutôt du soir ou de la nuit, parce que c’est la nuit que je bosse sur nos morceaux. Mais « musique de bagnole », je suis assez d’accord. Il y a ce défilement des choses…

Quelle serait la température de votre musique ?

Benoît : « 33 Hertz ! »

(rires)

Benoît : Allez, je l’explique ! Gauthier, notre ingé son, nous a rapporté une légende urbaine là-dessus. Il paraît que le 33 Hertz fait vibrer le clitoris !

Olivier : En même temps, il n’y a pas de basse dans Luminocolor…

Benoît : Mais une température… ?

C’est chaud, c’est froid ?

Olivier : C’est chaud.

Benoît : Ouais.

Olivier : Le premier album est plus froid que ce qu’on fait maintenant.

C’est le son que vous vouliez à l’époque ?

Olivier : Oui, c’est ce qu’on voulait. Mais je le trouve un peu froid.

Benoît : Le son, peut-être, mais les compos n’étaient pas froides…

Olivier : Aujourd’hui, on a tendance à ajouter beaucoup de fioritures, de petits arrangements. À l’époque, c’était beaucoup plus sec. Je crois que c’est pour ça que je dis « c’est plus chaud aujourd’hui ». Et aussi parce qu’on fait un tout petit peu plus attention aux basses maintenant.

Benoît : Moi je ne saurais pas te répondre…

Olivier : Toi tu vois des couleurs, plutôt ?

C’était ma troisième question !

Benoît : Non, je ne vois pas forcément une couleur spécifique pour Luminocolor. Là encore, chaque morceau a sa teinte. Maintenant, en termes de sentiment, je dirais que c’est relativement sombre la plupart du temps, mais avec une touche d’espoir. C’est comme ça que je peux le mieux décrire notre musique.

Olivier : Oui, je suis d’accord.

Et en termes de couleurs… ?

Olivier : On était bleu nuit sur le premier album, et on est en train de virer jaune pâle.

Benoît : « Jaune pâle » ?

Olivier : Bon allez, beige. Ou ocre.

Benoît : Ah, ocre ! Le fameux ocre !

Le fameux ocre ?

Benoît : On fait des essais de couleurs avec les modules lumineux qu’on utilise sur scène. Et il y avait une espèce de blanc chaud, jaune, qu’on n’arrivait pas à décrire… qu’on a fini par appeler « ocre ». Un truc un peu plus chaud, justement !

Comment avez-vous fait pour adapter à la scène votre musique, qui est très « produite » ?

Olivier : On a toujours eu cette volonté « éthique » de ne mettre dans nos morceaux que des sons enregistrés par nous-mêmes. Des sons qui ont une histoire, une espèce de « patte ». En fin de compte, tout cela finit par être cohérent. C’est bordélique mais cohérent, parce que tout est fait suivant le même processus de fabrication. Quand on a cherché à transposer ça en live, on ne voulait pas du tout être derrière une table à balancer du bounce — des séquences pré-enregistrées…

Benoît : … mais on n’avait pas le choix parce qu’on ne savait pas comment faire autrement !

Donc vous ne jouez pas du tout ?

Benoît : Si, si ! On joue ! Mais tout est dans la transition, le passage d’un ordi à l’autre, ou d’un ordi aux pédales d’effets… Pour que ce soit vivant, on crée des morceaux spécifiques pour le live — des morceaux qu’on n’envisage pas du tout d’enregistrer à l’heure actuelle. Et puis on a arrêté de jouer derrière une table ! Pour les trois quarts des concerts electro, les mecs sont derrière leur table, avec leurs ordis, et tu ne les vois pas. En fait, tu as une espèce de mur qui est créé naturellement entre l’artiste et le spectateur par la table et l’électronique. Le public ne sait pas ce que tu fais, le public ne voit pas…

Olivier : Notre démarche actuelle vient du refus de faire ce qu’on voyait dans certaines soirées électroniques. Les mecs sont derrière leurs ordis, avec leur casque, et il ne se passe pas grand chose. Tu te demandes pourquoi t’es venu voir ça… Mais je ne pense pas qu’on puisse dire que, même à la base, Lumino c’était comme ça. On ne s’est jamais contenté de balancer du bounce ! Dès le départ, il y avait de vrais instrus !

Benoît : Oui, on avait déjà cette volonté de prendre un saxo, un Farfisa…

Olivier : Mais on s’est toujours chagriné à l’idée de balancer des séquences d’ordi toutes prêtes.

Benoît : Moi, je ne l’ai longtemps pas assumé.

Un petit sentiment de culpabilité…

Olivier : Ouais. Mais en même temps, il y a toujours eu de la bidouille sur table de mixage, sur pédales d’effets, et du bricolage comme on le fait chez nous quand on enregistre. Parce qu’il faut quand même que je nuance ce qu’on disait, sur le fait qu’on ne passe pas beaucoup de temps à bosser tous les deux. On le fait moins en ce moment, mais on a quand même passé beaucoup de temps à bricoler ensemble ! Aux débuts de Luminocolor, on enregistrait des batteries sur 4-pistes cassette, on les coupait à tel ou tel moment, on les copiait-collait sur bande… Pareil pour le sax et les guitares : on faisait déjà du sample, mais avec un matériel qui n’y était pas du tout adapté. Ensuite on a complètement arrêté de faire de la musique. Et puis Benoît s’est mis à faire de la musique sur informatique de son côté….

Benoît : J’ai eu mon premier ordi en 2002 ou 2003, ça faisait un ou deux ans qu’on ne faisait plus de son. On ne répétait plus, on n’avait plus de local. Je me suis mis à Fruity Loops de mon côté, et je me suis dit : « Incroyable ! Je peux superposer autant de mélodies que je veux ! » Donc les premiers morceaux que j’ai faits sur ordinateur étaient hyper chargés — c’était n’importe quoi ! (rires) À l’époque, j’avais vraiment envie d’apprendre ! Peut-être qu’aujourd’hui, ça me ferait un peu chier de me confronter à un nouveau logiciel, parce que j’ai déjà toutes mes bases sur Fruity Loops. Bref, j’ai créé une quinzaine de morceaux comme ça. Et il y a un morceau qui a marqué Damien (un vieux pote à nous, du label Pilotti). Il l’a placé sur une compile. Et puis il a créé un festival à partir de sa compile, et il m’a appelé : « on aimerait trop que tu fasses un live ». Je lui réponds : « non, je peux pas ! Tout ce que je saurais faire, c’est appuyer sur Play ! Je ne sais faire que composer ! » Et deux jours après, je l’ai rappelé, et je lui ai dit « OK, je le fais ». J’ai composé trois morceaux — pour un concert d’environ 20 minutes. Et pendant que je composais, j’ai rappelé Olivier pour lui demander s’il voulait bien venir jouer avec moi.

Olivier : « Est-ce que tu veux bien venir jouer du Farfisa avec moi ? Parce que je n’arriverai pas à gérer l’orgue et l’ordi en même temps ! » (rires) Bref, c’est vraiment l’informatique qui a tout débloqué pour nous. Parce que c’est le média qu’il nous fallait.

Vous dites que vous avez arrêté de « jouer derrière une table ». À quoi ressemble un concert de Luminocolor aujourd’hui ?

Benoît : Pour t’expliquer, il faut qu’on te parle du réseau RAOUL…

Olivier : L’an dernier, on reçoit un coup de fil de Julien Guillaume, le programmateur du Grand Mix, qui nous explique : « il y a un réseau des salles de concert de la région et, tous les ans, chaque salle du réseau désigne un groupe pour qu’il puisse bénéficier d’un accompagnement. Est-ce que ça vous dit ? » Ce qu’ils proposent, ce n’est pas de la subvention, c’est juste de l’accompagnement, du conseil. Ils nous ont demandé ce qu’on voulait, ce qu’ils pouvaient nous apporter. On leur a répondu que tout ce qui était enregistrement, mixage, mastering, production… on savait faire. Et puis qu’on n’avait pas d’ambition particulière concernant la promo — peut-être à tort, mais on gère ça nous-mêmes. Donc on s’est dit : il y a les live, on a envie de bosser sur ça. De là sont venues (grâce au RAOUL) des résidences à la Cave aux Poètes, au Nautylis…

Benoît : Bon, c’était quand même au départ une forme d’accompagnement qui était plutôt tournée vers le live. La logique, c’était : « on est des salles, on promeut des groupes du Nord, la promotion des groupes passe par le live. Donc si on vous assiste, il faut que vous assuriez pour le live ».

Olivier : Les gens du RAOUL nous on quand même dit que si notre truc, c’était la promotion d’album, ils pourraient nous conseiller…

Benoît : Ils l’ont dit après !

Olivier : Ils l’ont dit après, ouais. Mais ça s’est fait petit à petit. D’ailleurs au départ, ça a été assez laborieux avec le réseau RAOUL. Mais au final, ça nous a vraiment permis de bosser les concerts. On a cogité là-dessus, on a pris consciences des problèmes qu’avait Lumino. On a commencé à penser lumières, à penser ambiance, vidéo…

Souvent les groupes qui utilisent des machines et de l’électronique sur scène ont du mal à faire le spectacle…

Olivier : Oui, voilà.

Est-ce que pour vous, la vidéo était une manière de remédier à cette difficulté ?

Benoît : Ah, oui !

Olivier : Oui, mais on ne voulait pas que ce soit comme du live électronique, avec la vidéo à côté. On essaie de faire en sorte que la musique et la vidéo soient en cohérence.

Qui s’occupe de la vidéo ?

Olivier : C’est Korby et Gauthier (Deework).

Benoît : Gauthier, on ne t’en a pas encore parlé… C’est lui qui a fait le mastering de l’album. Il est ingé son de formation. Geek….incroyable, qui sait aussi bien faire de la vidéo que de la musique… Tout ce qu’il sort est d’une qualité hallucinante…Quand il sort les trucs, parce qu’il est très, très exigeant. Bref, on l’a rappelé l’année dernière, après avoir obtenu l’aide du réseau RAOUL. Ce que les gens du RAOUL nous on dit, c’est que si on voulait faire des résidences, il nous faudrait un ingé son. Ils nous ont proposé une résidence à la Cave aux Poètes, et on voulait que Gauthier gère nos problèmes de son : jusque là, on avait un son pourrave quand on balançait nos séquences Fruity Loops sur une sono de salle de concert. À la base, Gauthier nous a diagnostiqué là-dessus. La « contrepartie » au fait qu’il s’occupe gratuitement de notre son, c’était qu’il puisse s’occuper des lights, s’amuser un peu, apprendre… Lui avait envie de bosser ça. Il l’avait déjà fait un peu pour une troupe de théâtre. Et c’est comme ça que, petit à petit, il s’est intégré au projet…. Il devient un « membre de Luminocolor », en quelque sorte, même si pour la composition musicale, Lumino, ça reste Olivier et moi.

Olivier : Avec Gauthier, on a développé un vrai projet scénographique. À tel point que Ben a créé des modules lumineux pour les concerts. Le but étant d’avoir une ambiance lumineuse globale et locale. Gauthier peut à la fois contrôler le plan de feu de la salle et une ambiance lumineuse propre à Luminocolor, que l’on peut exporter partout, aussi bien dans une toute petite salle que dans une grande. On aime bien cette idée d’être complètement indépendant. Le but est quand même d’installer un peu de magie, de mettre les gens dans une ambiance particulière. Et en fait, dramatiquement, Luminocolor, ça devient ça : on passe presque autant de temps à réfléchir sur les lumières que sur le set musical. C’est super excitant, ça nous met dans une configuration spectacle qui est vachement intéressante, même si ça nous éloigne un peu de la musique.

Vous me disiez que vous aviez du mal à assumer vos premiers concerts. Et aujourd’hui, vous assumez… ?

(en choeur) : … plus qu’avant !

Benoît : Personnellement, je commence à assumer, parce qu’on se prend réellement la tête pour faire du live quelque chose devivant et d’agréable à regarder. Maintenant, ça dépendra toujours de l’état d’esprit dans lequel je suis au moment où je joue. Parce qu’il y a aussi une part d’impro pour moi, au saxo. À force de voir comment se déroulent les concerts, je sais qu’en général, on s’en sort sur les passages « écrits ». Tandis que les passages improvisés, ça dépend complètement de le façon dont je me sens. Après, je ne sais pas si le public se rend compte de ça ou pas. Je ne me rends pas bien compte de mon niveau de saxo, parce que j’ai toujours été autodidacte.

Comment se comporte le public à un concert de Luminocolor ?

Olivier : Eh bien, depuis qu’on a rajouté les 33 Hertz, les filles sont beaucoup plus gentilles après les concerts !

(rires)

Olivier : Sérieusement, on est content quand quelqu’un vient nous dire « j’ai fait une belle rencontre » après un concert.

Benoît : En général, il n’y a pas de gens déchaînés, personne ne danse. Je suis content, quand je joue et que je vois que les gens sont attentifs, les yeux écarquillés… Finalement, le meilleur concert qu’on ait joué, c’était à la Malterie il y a assez longtemps. On ne sait pas bien pourquoi ça a si bien marché. On était en costumes d’oiseaux, avec une amie, Héloïse, qui jouait sur trois morceaux, en costume de chat ailé. Et tout le public était assis, hyper attentif, il n’y avait pas un bruit dans la salle. Et ça, ça fait super plaisir ! C’était sans doute le bon moment, un dimanche après-midi…

Olivier : Donc voilà, Luminocolor, c’est une musique du dimanche après-midi !

(rires)

Benoît : Mais maintenant, avec la batterie, c’est peut-être moins une musique du dimanche après-midi ! Enfin, je sais pas…

Alors, les oiseaux, les chats ailés… ?

Benoît : Les chats ailés, ça vient d’un pote, Kevin, qui est illustrateur. Il en a dessiné un sur un flyer, un jour. Il a dû me montrer plein de dessins, et j’ai adoré le chat.

Olivier : C’était l’un de ses thèmes récurrents : le chat à une aile, un peu chimérique. Nous, ça nous a beaucoup plu. C’est un peu devenu l’image de Luminocolor, sur toute la période du premier album.

Il est mort, le chat ailé, sur la pochette de l’album ?

Benoît : Non ! Il dort ! Il a une drôle de machine qui lui sort du bide, un peu organique…

Et tout ce qui est visuel, ça vient de Kevin ?

Benoît : Ca venait beaucoup de lui. Nous, on n’est pas graphiste pour un sou, donc on fait beaucoup confiance à des personnes extérieures… La thématique des chats a été reprise par un autre pote, qui fait de la sérigraphie à Cherbourg, et qui s’occupe maintenant de notre profil MySpace et Facebook. Il fait quelque chose d’un peu plus léger, un peu plus fun. Et puis il y a eu toute la période Transverbiages, avec Korby…

Transverbiages, c’est ce film dont vous avez composé la musique… Expliquez-moi comment ça s’est passé.

Benoît : Je crois que ça vient de Korby. Il a entendu lesTransverbiages, les 27 minutes de son qu’on avait enregistrées. Il revenait de voyage, il avait deux années de prises d’images dont il ne savait pas forcément quoi faire, et il les a calées sur notre musique. On était ravi, parce qu’on ne savait pas forcément quoi faire de ce matériau-là.

Olivier : C’est une aventure marrante, Transverbiages. Il faut qu’on dise d’où ça vient.

Benoît : Le nom, c’est celui d’un plugin de son qui s’appelle Transverb et qu’on utilise à titre expérimental dans Luminocolor. Tu passes une note dans le plugin, et ça permet de varier la tonalité et plein d’autres paramètres… Mais on ne contrôle pas tout dans le plugin ! Tu ne peux pas le calibrer exactement comme tu le voudrais.

Et c’est ça qui est bien ? Le côté presque aléatoire ?

Olivier : Ouais ! Tu ne sais pas exactement pourquoi ça produit exactement tel ou tel son, pourquoi quand tu bouges un tout petit peu le temps de latence, ça produit un résultat complètement différent… Ben a commencé à enregistrer plein de sax en passant par le Transverb. J’ai repiqué ce principe de plugger un micro et d’enregistrer des sons pour les passer au Transverb. On a mis tout ça en commun. On s’est dit : « tiens, c’est bien marrant, mais que va-t-on faire de tout ça ? » C’était juste après la sortie de l’album…

… que vous avez découvert le plugin ?

Benoît : Non, on l’utilisait déjà, mais c’est juste après le sortie de l’album qu’on s’est vraiment lâché dessus. Moi, je prenais mon casque le soir, des casseroles avec de l’eau dedans, le micro juste en-dessous, le plugin branché sur le micro, et j’enregistrais plein de trucs en direct comme ça.

Olivier : Mon colloc était en Italie, et il m’a demandé des news de Lumino. Je lui ai fait un CD sur lequel j’ai compilé tous les « Transverbiages », et je lui ai envoyé ça comme cadeau de Noël (et d’anniversaire, puisque ça tombe en même temps). Et c’est sur cette base-là qu’on a ensuite décidé de faire une bidouille complètement expérimentale.

Benoît : On a choisi les « bouts » qui nous semblaient les plus intéressants. On en avait… plein ! Vraiment plein ! On a réfléchi aux transitions, aux enchaînements.

Olivier : Là-dessus, l’aller-retour entre nous était marrant.

Benoît : À chaque fois, il y avait de la surprise !

Olivier : Ca, c’est quelque chose dont n’a pas encore parlé, mais il y a chez nous ce côté : « tiens, je te renvoie le fichier : tu vas voir ! »

Benoît : La fierté !

Olivier : « Tiens, je t’ai fait une petite blague, là ! Est-ce que tu vas la capter… ? » Moi, j’aime bien aussi ce côté-là.

Vous communiquez comme ça !

Olivier : Vu qu’on est super potes, on communique quand même autrement ! (rires) Mais dans la musique, oui, il y a ce côté là. Je ne sais pas pour toi, Ben ?

Benoît : Ouais, un petit truc d’ego… On veut voir ce que l’autre en pense, mais on essaie un peu aussi de « chercher » l’autre…

Olivier : Ou de le provoquer. « T’aimes pas les basses Olivier ? Tiens ! » (rires)

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