Nicolas Paugam : passage souterrain


Une chronique dithyrambique de l’Aqua Mostlae débute sur une interrogation à la Pierre Vassiliu : « Qui c’est celui-là » ? Nicolas Paugam traficote une drôle de musique : elle nous a d’abord laissés sceptiques puis pantois. Tropicaliste pour les influences brésiliennes qui caractérisent la structure de ses morceaux, manouche pour la construction des soli ou de certains arrangements, et définitivement « chanson française » pour les textes et les thèmes abordés avec un surréalisme déconcertant, sa musique est aussi riche qu’inclassable. Et pour épaissir le mystère, cette affaire n’est pas récente : bientôt dix ans que Nicolas Paugam accumule les pépites sans faire trop de vagues. Dommage qu’il reste dans l’ombre et ne puisse pas jouir de la réputation qu’il mérite.

Fort heureusement, quelques âmes bien intentionnées se donnent l’objectif de lutter contre l’enfouissement des trésors perdus. C’est par l’entremise de La Souterraine que nous avons découvert les meilleurs titres de Nicolas Paugam, collectif dont le principe fondateur est de donner plus de voix à des artistes francophones trop peu médiatisés. Le « combat » de La Souterraine ressemble donc à celui de Subjective : contribuer à l’émergence d’artistes qui en valent la peine, participer à créer des médias variés et de qualité pour mieux renseigner des univers qui – à nos yeux – gagnent à être découverts. C’est pourquoi les lignes qui suivent sont signées par un des fondateurs de La Souterraine : quand l’occasion fait le larron, nous choisissons parfois de donner la parole aux acteurs qui – tout comme nous – contribuent à animer les scènes musicales de l’hexagone ; nous l’avions donnée à Charly Lazer ou encore à Agnès Gayraud. Nous la donnons aujourd’hui à Laurent Bajon, cofondateur de La Souterraine, qui retrace sa découverte de Nicolas Paugam.

Par Laurent Bajon

Vous le savez peut-être, Nicolas Paugam a une vie avant l’Aqua Mostlae. Avec son frère Alexandre, il a fondé Da Capo au début des années 90. Leurs premiers singles et le premier album sont sortis entre 1995 et 1997 sur le cultissime label de Vincent Chauvier, Lithium Records. Da Capo a aussi signé un split single avec The Married Monk chez Acuarela, pour la série The Affection (les autres sorties de cette série sont signées Dominique A, Will Oldham, Hefner, Sr. Chinarro et Los Planetas). Deux autres albums sont ensuite parus, dont un chez les non moins cultes Poplane. Le groupe s’exprime en anglais, Nicolas n’y chantait pas. Nicolas Paugam a aussi joué et sorti quelques albums instrumentaux de jazz manouche (il en a fait un documentaire avec James Verhille). Voilà pour le pedigree…

À mes débuts dans Planet Claire, en 1996, j’ai le souvenir qu’on avait beaucoup passé Da Capo, comme on passait beaucoup les sorties Lithium qui enthousiasmaient, voire révolutionnaient le paysage indie pop en France. Pendant de nombreuses années, Nicolas a continué à nous envoyer ses productions et nous les diffusions dans l’émission. Dès les débuts de La Souterraine, début 2014, ça nous a semblé une évidence – à Benjamin Caschera (ndlr : le cofondateur du label Almost Musique) et moi – que Nicolas avait le profil pour être de l’aventure souterraine. La Souterraine, c’est exactement pour des artistes comme lui : invisible et prolifique, à l’opposé de la coolitude – oui, Nicolas profite d’un peu de lumière à quarante ans passés -. Un peu loser, à part et donc excitant, incarnant une certaine idée de la chanson populaire française, loin des modes. Nous avons donc proposé à Nicolas de faire une « Mostla Tape », c’est à dire une compilation de ses titres du passé, du présent et du futur, pour mettre en valeur tout ce travail invisible. Il a joué le jeu à fond, retouchant les arrangements, re-mixant et re-masterisant les morceaux, faisant faire une très belle pochette. L’Aqua Mostlae était née ! Et à l’écoute du résultat final, nous avons conseillé à Nicolas de graver quelques CDs à vendre via Bandcamp.

La première chanson qui nous a accroché l’oreille : « C’est Facile ». Et on s’est dit que rien que pour celle-ci, ça valait la peine de tout écouter. Une pop song évidente avec la voix de David Thomas, le gros chanteur de Pere Ubu, mais en français. On a ensuite grimpés « Le Col du Galibier », « Connus une colombe », rencontré « Les Serpents de l’Arkansas »… Nicolas Paugam a le mérite (ou le culot) de mélanger le tropicalisme, le folk américain et la chanson française, faisant ainsi se rencontrer Tom Zé et Michel Legrand.

L’ambition de la Souterraine, c’est aussi d’apporter à ces artistes invisibles une présence médiatique. Le disque de Nicolas est ainsi la première Mostla Tape à être chroniquée dans Télérama. Une révolution copernicienne à notre échelle : imaginez donc que la modeste Aqua Mostlae – avec son tirage à cent copies et sa distribution branlante – a reçu une meilleure note que l’album de Christine & the Queens, soit la quintessence du consensus médiatique en France (à juste titre, probablement).

Depuis, la compilation a été téléchargée mille fois, a connu un second tirage en CD (ils s’en est vendu près de deux-cents) et Nicolas Paugam a fait son premier concert sous son nom dans une Fête souterraine en septembre : il a désormais un espace, restreint mais qui existe bien. Voilà notre joie, celle de donner un peu de confiance à ceux qui n’ont pas tout à fait encore renoncé, en mettant en valeur un répertoire totalement négligé.

Nicolas prépare désormais l’enregistrement d’un album en studio et en groupe qui reprendra quelques chansons de l’Aqua Mostlae, d’autres plus anciennes que nous n’avions pas sélectionnées ainsi que des nouvelles chansons jamais enregistrées.

Par Laurent Bajon

Texte introductif : Nicolas Fait

Crédit photos : Alexandre Morin

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