La Féline : « Adieu l’Enfance » (2014)


« Si tu associes des images à la musique, ça donne une nécessité à tes notes, ça projette une atmosphère », nous confiait Agnès Gayraud – chanteuse du groupe La Féline – dans une interview.

À l’origine du titre « Adieu l’Enfance », une photographie d’Agnès lorsqu’elle était enfant. Souriante, cheveux courts, elle porte en elle les secrets de l’enfance et sur elle un manteau bleu pastel. Dans ce tableau en contre plongée, l’enfant « debout sur [son] rocher » surplombe sans le savoir un public déjà conquis, le regard timide et rieur tourné vers un hors champ qui l’anime. Et c’est comme si Agnès Gayraud avait durant toutes ces années emmené avec elle ce mystérieux hors champ, comme un monde rien qu’à elle, devenu depuis espace musical qu’elle explore sans cesse sans trop en dévoiler le secret. Faute de pouvoir le voir, on peut l’écouter, le deviner. Depuis le premier morceau du premier EP. Il est sensible cet endroit, il est sensuel et suave, sombre parfois, lumineux souvent. Et puis depuis peu, il y a cette phrase taguée sur les murs. « Adieu l’enfance ». A-t-on affaire à un règlement de compte ? Une revendication ? Ça ne peut pas être ça, personne n’aime les adieux.

Au cinéma, le titre anglais du film La Féline est Cat People. L’expression anglo-saxonne symbolise une créature étrange et imaginaire. En musique, le projet de La Féline est tout aussi curieux. Pas dans le mauvais sens, pas le curieux que l’on utilise lorsque, un sourcil relevé qui exprime le dédain, on regarde une chose et on dit « tiens, c’est curieux ». L’autre sens, celui qui raconte l’envie de s’approcher un peu plus près, non sans crainte mais avec beaucoup d’envie. S’approcher encore jusqu’à presque toucher. Toucher cette matière, cette forme nouvelle, que l’on croit avoir déjà vue il y a longtemps et puis non, peut-être pas.

On garde de ses précédentes compositions un souvenir multilingue. Les EP Echo et Wolf & Wheel offraient une variation des langues, portée avec aisance par la voix de La Féline. Aujourd’hui pas d’envolée anglophone ou hispanophone, juste le français. D’habitude, on peut penser qu’il est risqué de s’essayer à d’autres langues que celle que l’on parle depuis la naissance. Mais dans le cas de La Féline, c’est l’inverse : ici la difficulté serait de revenir à des textes exclusivement écrits en français, après avoir créé l’émoi avec des titres comme « Johnny Remember Me » ou « Piropos« . Mais avec ce premier album de 12 titres « tout-en-français », le défi est remporté pour celle qui avait justement écrit « La Peur et le Courage« . Et les amoureux de son phrasé pop à l’anglaise ne seront pas en reste : la langue change mais sa verve demeure.

Côté instru, les synthé et boîte à rythme (aux commandes du fidèle compère Xavier Thiry) sont presque omniprésents et nous emmènent ainsi volontiers vers un genre électro-indie-pop (des titres comme « Zone » ou « Midnight »), frôlant de près des sonorités new wave voire cold wave, de quoi s’offrir un aller retour dans les années 80 qui me fait dire que décidément, cet album ressemble plus à un hommage qu’à un adieu aux années passées. En fait, à quoi bon essayer de la figer dans une temporalité définitive ? La Féline cristallise les mots mais pourrait se métamorphoser à l’infini, emportant dans sa mutation les codes rétro pour en faire du neuf – ou serait-ce le contraire ? – pour finalement s’arrêter, juste une minute, le temps de nous dire avec la sagesse d’un philosophe que de toute façon « moderne, c’est déjà vieux ».

Par Caroline Berge

d

VOIR LA PAGE DE LA FELINE

</