textes



Binoculars


C’est la musique de mes seize ans. Pas celle que j’écoutais, mais celle qui tapissait ma boîte crânienne quand elle se laissait posséder par l’imagination. Pour un gamin, tout au loin semble facile. Nul besoin de gonfler les poumons ni de bander les biceps. Le simple fantasme d’une expédition créative accouche d’images assez nettes et de sons diffus. Le background musical de ma puberté, je l’éprouvais sans vraiment l’entendre.

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Dès que j’ai découvert « Here Comes », j’ai su que Binoculars jouait cette musique mentale. Une pop qui imprègne le cerveau, directement, sans traverser l’air. Ces sons ne naviguent pas sur des ondes. Les objets dans la pièce restent sans mouvement. Rien ne vibre. Comme si vous écoutiez de la musique au casque, mais sans le casque, ou plutôt comme si le casque était un greffon.

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Your Happy End


« On peut aussi faire un set acoustique. » Lorsqu’un groupe de musique amplifiée se désape de bon coeur, réjouis toi. Sauf manque inconséquent de pudeur, ils dévoileront de vraies chansons sous leurs fringues électr(on)iques. Telle cette jeune fille qui t’a montré son nombril sans prévenir et… Dieu que la surprise fut belle ! Chantant nus sur des guitares débranchées, les gars de Your Happy End te disent vraiment qui ils sont : des songwriters. Peut-être suis-je ignorant, mais le songwriting n’est pas la première chose qui me vient à l’esprit lorsqu’on me parle de trip hop. Je pense aux emprunts, aux ambiances, aux couches (justement), mais pas aux chansons.

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Your Happy End ne privilégie pas la texture musicale aux dépends du contenu verbal. Il faut par exemple écouter les quatre minutes trente de « Page 7 ». Quatre minutes trente ? À la première écoute, la chanson semble durer le double. Elle ressemble à ces récits humblement épiques que racontent les chanteurs de folk. Le tapis de trois accords est familier et les mots s’y posent relax. C’est un bon tapis folk, confortable… mais qui gratte un peu. Quant au récit, il déploie avec une clarté inhabituelle le thème qui traverse tout l’album : celui de la femme qui part ou, plus exactement, de la femme qui s’en va, qui dérive. À la verticale. L’amoureux désespéré est un nain qui lève les yeux toujours plus haut. Ce cauchemar, Aurélien Bortoluzzi et Guillaume Zolnierowski le racontent comme un doux rêve.

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Sexual Earthquake In Kobe


Je voulais aborder avec eux le mystère eighties. Le mystère eighties, pour moi, c’est la question du revival, de la ré-évaluation. Je ne parle pas des émissions de Foucault qu’on retrouvait sur TF1, chaque vendredi, il y a une dizaine d’années. « Les cinquante plus grands tubes de tous les temps » — tous enregistrés entre 81 et 89 ! C’étaient les « Démons De Minuit », les « Trois Nuits Par Semaine », les « Sunlights Des Tropiques », et l’hymne crypto-gay « Born To Be Alive ». De la nostalgie pour quarantenaire — au mieux, une nostalgie communicative. Et puis, Émile et Images, s’agissait-il vraiment d’un retour ? La musique de variété eighties avait-elle jamais quitté la télévision ? Avait-elle jamais quitté les bacs à compiles ?

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Qu’un téléspectateur bedonnant souhaite retrouver le vieil Émile et le vieux Gilbert, fort bien. Mais qu’un post-adolescent chébran se mette à sonner eighties, c’est un autre genre de truc. Pendant la même année 2003, les Strokes sortent «12:51», les Dandy Warhols, « We Used To Be Friends », Franz Ferdinand, « Darts Of Pleasure ». En quelques mois, sans qu’on comprenne bien comment ni pourquoi, on passe du revival seventies (psyché, glam, garage) au revival eighties — même si l’instrumentation n’a pas encore changé. Par la suite reviennent boîtes à rythmes, synthétiseurs, et couleurs vives. Côté critique, on réhabilite, on réhabilite… même Depeche Mode ! Aujourd’hui, on a Ladyhawke en couverture de Magic. Le mauvais goût devient le bon goût. Et tous ceux qui ont été élevés dans la détestation des années 80 s’adaptent, autant que la musique nouvelle s’adapte à eux. Pourquoi les eighties revisitées sonnent-elles tellement mieux que les eighties authentiques ?

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Revival Kensuke


Kensuke pour le catcheur jap ? L’animateur jap ? Ou le joueur de rugby… jap ? Toujours est-il qu’à l’écoute de26, leur premier né, de vingt-six minutes pile, on est assuré que si l’intention première était de ressusciter un dénommé Kensuke, il doit être en ce moment même devant une bouteille de saké. D’où l’expression (vous l’avez deviné) : une musique à réveiller un mort. Réveiller… non pas à grand renfort d’hard-core qui hurlerait par tous les pores, mais par la seule cohérence de leurs compositions. Déjà pas de chant : il faut raconter des histoires avec les seules mélodies.

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Et Revival Kensuke nous raconte quelque chose en sept titres qui, à la manière d’épisodes, ne forment qu’une seule pièce, une mini symphonie. Ce parallèle n’est pas fantasmatique : un même thème, tout le long, est malaxé, complexifié, transposé dans diverses ambiances, à la façon d’un leitmotiv beethovénien. On pourrait aussi penser à un Bach en perfecto qui écrirait des formes contrapuntiques pour guitares électriques. C’est cette parenté avec les Grands qui donne une dimension balaise à leur essai.

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Toy Fight


Paris. Du bruit. Des gens se chamaillent. C’est comme ça depuis pas mal de temps maintenant. Ils se battraient autour d’un jouet. Un joujou qui fait du bruit.

La créativité du sextet tient du joyeux vol de plumes. Ils règlent des problèmes qu’ils n’auraient jamais eu en solo, et c’est justement cela, le fond de leur inspiration. Ainsi la bataille navale porte ses fruits.

Toy Fight semble avoir depuis un bail déterminé une règle du jeu qui tourne rond. Pour imager la chose, on pourrait portraiturer Brian Eno, se concoctant ses fameuses « Oblic Strategies » avec un jeu des 7 familles. C’est chiadé dans les manières, mais tout en préservant un humour d’Epinal.

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Ce qui se fait sentir en premier lieu, c’est leur amour pour la mélodie. C’est la mélodie qui est en jeu. Ca peut sembler bateau (voire porte avion) comme précision, mais lorsqu’on les écoute, on se rappelle que dans le rock, les grands mélodistes ne font pas foule.

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The White Loose Woman


Le concert a lieu au centre culturel libertaire de Lille. Repère de keupons ou de waches, je ne sais pas trop, mais vous voyez un peu le genre. À mettre des seringues sous plastiques et du lubrifiant anal en libre service, sur les murs des discours antisionistes et des slogans de résistance. Un petit eden de liberté, l’enfer quoi. Beaucoup de ces anars ont l’esprit aussi fermé que les pires réacs. Mais bon, ils nous accueillent, et les bières sont à un euro, surtout on peut fumer à l’intérieur : c’est agréable, bien que ça pue.

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On est tous là, les subjectivistes. Lorène et Thomas, de chaque côté de la scène, pogotent malgré eux en chopant ci et là quelques photos, ils tombent à moitié et on a très peur pour leurs jolis appareils. Jérôme au fond avec la caméra, moi à ses côtés avec le micro. Je ne peux pas bouger — sacrifice nécessaire pour une prise de son irréprochable — mais j’ai très envie. Vivien écoute assez sagement, je le regarde au début du set et, gloup, on a tous les deux les goosebumps — ces frissons qui te remontent, selon les personnes, de l’estomac à la gorge, de la colonne vertébrale à la nuque, ou bien le long des bras en faisant dresser les poils. Au même moment, on comprend qu’on ne s’est pas trompé.

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