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Luminocolor


Connaissez-vous l’expérience du vase clos ? À l’intérieur on rit, on baise, on bouffe, on boit, on clope ensemble. Après plusieurs années, les poissons commencent à se ressembler : ils parlent avec la même voix, portent les mêmes chaussures, et s’ils se disputent, c’est parce que leur pensée (au singulier, composite et complexe) s’est dispersée parmi plusieurs cerveaux. Lorsqu’ils se réunissent à l’occasion d’un congrès annuel et qu’aucun ne manque à l’appel, les poissons constatent avec honte l’opacité de leur groupe, mais qu’y peuvent-ils ? Les invités d’honneur, étrangers à cette fraternité incestueuse, ne savent pas où ni comment s’asseoir.

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En théorie, ce qui est vrai de la petite horde l’est a fortiori du duo d’amis. Benoît Farine et Olivier Minne se fréquentent depuis si longtemps qu’ils ne souhaitent plus parler de leur rencontre, craignant de la réciter par coeur et d’ennuyer tout le monde. Conformément à l’expérience, l’interaction prolongée de ces deux esprits sans repos a créé un univers. Subjective vous parle d’univers à tout bout de champ, mais de quoi s’agit-il vraiment ? C’est un espace qui, pour ainsi dire, finit par englober ses propres références, ses propres standards, et qui se valide de lui-même.

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Gulcher


Dans sa quête désespérée de l’émotion originelle, il advient que le musicophage dégote une petite chose méconnue qui lui rappelle ses premiers émois sonores. Le pauvre névrosé retrouve alors quelques instants de bonheur authentique. Voilà ce qu’il est arrivé à celui qui, ayant tendu l’oreille plus loin que les autres, a découvert Gulcher en 2006. Fait rare : après avoir écouté l’album After Nature, les internautes et les journalistes les plus chanceux se sont arrêtés, et ils ont attendu.

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Depuis — tremblez ! — un nouveau chanteur a remplacé l’ancien… et Subjective célèbre aujourd’hui la renaissance de Gulcher. Sans tréma, sans confusion. Avec un nouveau single (à découvrir ici-même) qui donne une idée très enthousiasmante de ce que trame désormais le groupe.

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We Are The Romans!


Ils assument tout, sans bien savoir ce qu’il leur arrive. Nous aussi, nous non plus.

Un tribute band — non merci. Sauf si c’est ma copine qui m’emmène voir « One Night Of Queen » chez Coquatrix. Il est vrai que pour Queen, tout est remis à plat : ce monde-là obéit à d’autres règles… pourquoi pas à celles du théâtre ? Mais enfin, et c’est peu de le dire, les tribute bands font généralement peine à voir : leurs misérables costumes, leur guitariste du dimanche matin, et leur public de comité d’entreprise (comme dit ma copine).

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Je me suis inquiété tardivement des liens intimes qui semblaient unir We Are The Romans! au groupe Botch. La messe était déjà dite, le contrat moralement signé. J’ai donc appelé Vivien pour me rassurer. « Non, ce n’est pas un tribute« , m’a-t-il certifié avec l’assurance de celui qui a potassé. « Musicalement — rien à voir avec Botch ».

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Michael Wookey


Heureuse année ! Pour nous, la saison des Britanniques expatriés continue.

Je m’étonne presque de vous présenter Michael Wookey sur Subjective. Beaucoup d’entre vous le connaissent déjà. Michael habite Paris, au sens fort. Il joue dans tous les bars, dans toutes les salles, tout le temps. Mais il fait la ronde sans se laisser saisir. Il est de ces individus au langage simple et au regard droit, dont les profondeurs paraissent inaccessibles. Aucune réponse n’est à attendre, il n’y a même pas de mystère, aucun artifice de ce genre. Banalement, il a juste l’air blessé — et j’ai le sentiment que je ne pourrai jamais en dire plus.

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Hard Working Boss


Les songwriters reconnus détestent qu’on les prenne pour des paroliers. Même Dylan (surtout Dylan !) s’efforce de convaincre le monde qu’il est un chanteur, un musicien, un compositeur. Ce sont des pointillés qui traversent ses écrits autobiographiques. Il refuse de n’être qu’un poète — même si, dans l’esprit du peuple, ce titre lui est conféré comme une sorte de distinction ultime. On m’a d’abord vanté les talents littéraires de Hard Working Boss mais par chance je ne suis pas briton, la musique me vient tout entière.

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Dans la conversation, Jim Sheppard s’arrête toujours avant la certitude. Ses idées ont beau être passionnantes, il ne les tient jamais d’une main ferme. On entend ses hésitations partout dans sa musique. Une pause, un retard, une corde qui buzze, un maybe, une alternative. Hard Working Boss est l’antithèse du péremptoire. Alors son modus operandi rationaliste peut surprendre. Il parle de logique et peu importe que cette logique soit biscornue. Les règles d’or qu’il découvre ne disent rien de ce que nous avons déjà entendu. C’est un artisanat neuf.

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Minor Sailor


Tu connais cette horripilante variété de migraine, cet espèce de pulse électrique qui te tape le front par décharge. Tic. Tic. Tic. Tic. Tic. Tic. Docteur à temps partiel, tu imagines la circulation de ton sang, étouffée par une artère maigre comme un sphincter. Le sang s’échappe par petits jets, petites fuites en avant. Tic. Tic. Tic. Régulier. Tu as parfois la même sensation avec la musique répétitive. Tu repères une note dans un cycle très court, et à chaque fois que la note revient il y a un peu de sang qui giclasse.

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Ton propre rythme cardiaque pouvait te réveiller quand tu avais cinq ans et que tu souffrais de cauchemars récurrents. Tu te tenais debout en haut d’un escalier sans fin et hop, tu dégringolais. Tous les soirs ! Dans ton sommeil tu crèves de peur, ton cœur bat de plus en plus vite, de plus en plus fort, et tout se termine dans un motif musical rappelant La Quatrième Dimension, crescendo jusqu’à ce que tu te réveilles. Imagine le générique de La Quatrième Dimension en crescendo ininterrompu, imagine que c’est vrai, que c’est ta vie : ça fout une putain de trouille.

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MileStone


Sur la scène d’un cabaret rouge, un crooner miaule dans un anglais maniaque. Au fond des cabarets de Hong Kong, vous savez, il y a toujours le batteur lascif. Qui tape les fûts, sèchement peut-être, sensuel toujours. Le guitariste est Berlinois, il ne s’est pas acclimaté, il regarde le Soleil se lever du mauvais côté, et de temps en temps il joue hors-partoche, comme on joue à Berlin dans les clubs. Petit larsen, le doigt sur la seizième case : ça déconne en fin de morceau.

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Je présume que ce genre de musique, somptueuse pour dire le moins, se joue dans le silence. Qu’on respecte bien à Hache Ka. Leur culture des cabarets est différente de la nôtre. Dans la rue c’est le bordel, mais dans le bordel personne ne l’ouvre. Les prostituées sont discrètes, les gars restent zen, on écoute le crooner miauler. La fumée des cigarettes comme un soupir d’émotion. Une larme vaporisée.

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