textes



La Féline


J’ai toujours été mauvais pour classer les musiques dans les genres. Il y a pourtant des spécialistes de l’exercice, des gens qui identifieront dès la cinquième mesure un anarcho-punk racé aux accents new wave ou sauront démasquer même dans le noir un subtil garage rock psychédélique. Sans doute parce que je suis mauvais à ça, je me méfie de ces connaisseurs ; ils me rappellent trop ces gens impossibles qui viennent vous déranger au bar pendant un changement de set et glissent à votre oreille avec un petit haussement de sourcil érudit : « étonnante cette indie pop new age à tendance post punk ». Ils aiment tellement emprisonner les sons dans des mots.

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Devant la Féline, les pros de la mise en cage sont désemparés. « Folk ambivalente » disent-il, le regard sombre, quand on les pousse à bout sur leur terrain favori. Qu’il est vexant pour un expert d’être tenu en échec à domicile… Car les panthères n’aiment pas les zoos ; et la Féline c’est d’abord des images, plein d’images. Des images subjectives, suggestives, des bizarres projectiles de lumière lancés comme des balises dans la grisaille du quotidien, qui dévoilent sur son sol dur et las des fêlures ouvertes comme d’inquiétants sourires, d’inquiétants soupirs, d’inquiétants souvenirs. Ils s’amusent à nous faire peur et leurs rêveries résonnent au petit matin comme des prémonitions.

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(Please) Don’t Blame Mexico


Vous rentriez d’un lieu familier. Vous aviez encore votre cravate. Qu’est ce qui vous a pris, ce soir, de prendre un détour inconnu, de vous arrêter sur cette route déserte ? Est-ce la fatigue ou bien cette chanson des Smashing Pumpkins vissée dans votre tête, qui vous a fait entendre ces notes, étranges, festives ? Vous baissez la fenêtre. La folie mélodique des Smash est soudain prise dans les vapeurs d’octobre et d’opium. Vous croyez les voir, alanguis sur leurs citrouilles, oubliant de les pulvériser, ciselant leurs contours pendant des heures, au bord de leurs pupilles dilatées. Vous coupez le courant.

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En vous approchant, vous distinguez trois musiciens. Ils disent s’appeler (Please) Don’t Blame Mexico. S’affairant à les changer en carosse, ce sont des chansons qu’ils tiennent entre les mains. Vous les interrompez dans leur recherche minutieuse : ils ne savent plus s’ils ont passé des heures ou des années à dessiner leurs lignes d’arrangements. Ils ne connaissent plus que le temps de la musique.

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Lepolair


Ca t’a pris il y a une semaine, peut-être deux. Une tempête intérieure, un remords qui te serre la gorge toute la journée. Une envie de hurler.

Tu ne peux pas t’empêcher de penser à ce roman russe, lu il y a quelques années. Il y a ce passage où un magicien monte sur scène, et provoque une hallucination collective, où les dames échangent leurs pauvres robes contre des parures somptueuses. Toi, tu es là, appuyé contre un mur, et tu penses que tu échangerais bien ta robe de ruminations sombres contre un habit plus léger.

Le magicien qu’il te faut s’appelle Lepolair.

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Il arrive, timide comme un petit garçon. On se doute qu’il y a quelques années, il se tenait sage dans un coin de la classe, et retournait chez lui en n’ayant pas dit trois mots de la journée. Là, il fermait sagement la porte de sa chambre, et s’animait enfin. Debout, un stylo à la main en guise de baguette magique, il orchestrait muettement l’apparition progressive de tout un monde imaginaire.

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Studio Paradise


Tu t’es plaint tout Juillet : pas assez beau, pas assez chaud. Ben tiens, clique sur le petit lecteur à ta gauche et enfile tes chaussettes à paillettes. La vague de chaleur, bébé, c’est pour maintenant.

Mais Achtung, darling, faut que je te dise à quoi tu t’exposes. Tu vas te mettre dans des crazy situations. Voir le paradis depuis ton studio. Dès que quelqu’un dira le mot « Cool », tu répliqueras par un « AAAAAaaah » de serial lover. Tu ne vas pas danser jusqu’à l’aube, tu danseras seulement à l’aube. Fou, survitaminé. Une lumière floue, la fatigue, les meilleures heures de la fête.

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Et vingt quatre sur vingt quatre, les yeux écarquillés à force de ne pas vouloir dormir, la démarche trahissant une envie désespérée de dancefloor, résonnera dans ta tête l’étrange musique de ces Travolta rêveurs.

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Clint Is Gone


On avait passé le mois dernier à sautiller dans la cuisine sur le « Faster » de The Yolks, et nous voilà avec l’envie de retirer nos chaussures et d’aller s’allonger dans les champs de blé. C’est l’été, Clint is Gone et on se sent un brin mélancolique.

Une cigarette au bec, façon lonely cowboy, ou un épi de blé, pour être plus clean, on a envie d’être le héros d’un road-movie, les cheveux au vent, la fenêtre ouverte. Il y avait bien cette fille dans la dernière ville. On s’est attaché un moment, elle nous a supplié de rester, on est parti quand même. On ne va pas précisément quelque part. On sentait simplement qu’il ne fallait pas trop qu’on s’attache, ni à la fille, ni à l’endroit. Pas vraiment de raison pour partir. Juste l’appel de la route.

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Vous savez, ces films où le héros prend la route, pas vraiment pour chercher quelqu’un, mais plus pour comprendre quelque chose. On voit bien Antoine prendre sa guitare et sa voiture pour partir sur les traces de celle qu’il a aimée. Parti d’un coup, plein de rage et bien décidé à en découdre avec ce truc incompréhensible qu’est une histoire d’amour qui se termine. Fabio, croisé en stop, est monté en route, et Julie, qui chantait déjà dans l’une des villes, s’est laissée embarquer. On les voit bien tous les trois dans la voiture, dans ces films attachants où il ne se passe pourtant pas grand chose de spectaculaire. Juste la vie, les doutes.

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The Yolks


The Yolks, c’est ce moment de la journée où, sorti de la douche, tout juste séché, je fonce dans ma chambre prendre mes dernières affaires en finissant de m’habiller. Une douche qui dure 13 minutes 05 secondes car même si on est pressé par le temps, l’eau chaude sur la peau est un pur délire, quand j’y pense.

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Dire adieu à toutes les obligations. Cette tentation qui surgit n’importe quand dans la journée. Bien sûr qu’y résister serait probable preuve de maturité, mais à quoi bon renoncer à la jeunesse ? The Yolks est un groupe très juvénile. Pourtant c’est rigolo, ma rencontre avec eux fut calme et douce. Ils n’avaient pas l’air de foncer tête baissée, et paraissaient très posés, peut-être par excès de timidité.

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Moloko Velocet


Quand j’étais plus jeune, j’imaginais un rescapé de la Troisième Guerre Mondiale, une silhouette finissante, un vieux visage stoïque au milieu des heures. La barbe en dit long sur l’homme qui la porte. Celle de mon rescapé était une barbe-puzzle, à la fois résignée et volontaire, mélancolique, un peu nonchalante. Au lendemain de l’Apocalypse, Nikolaï Peterov était la toile de fond insondable d’un nouveau monde. Il y a des génies qui se placent derrière, permettent au peuple de s’agiter en façade. De façon très curieuse, Adrien d’Haese me rappelle ce portrait jadis entr’aperçu. Frontman théorique, il demeure à tout instant un créateur d’arrière-scène qui, par pudeur, s’enveloppe dans une musique encore plus grande que lui. Sa voix réverbérée n’affleure qu’aux instants les plus stratégiques, tandis que du regard il perce à moitié le monde qui bruit.

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À moitié ? Parce que l’innocence refuse d’ôter au monde tous ses mystères. Jamais blasé ! Dans les yeux perçants d’Adrien, on reconnaît parfois l’émerveillement d’un gamin devant une suite d’accords, devant l’enchaînement presque évident des sons… Le sentiment que tout peut être simple et beau. Les règles fondamentales de l’harmonie sont source d’extase, il les découvre à chaque fois qu’il s’y soumet (volontiers). Les chansons de Moloko Velocet évoquent la « perte de l’innocence », peut-on lire. Mais d’où ces jeunes gens parlent-ils ? Est-ce l’avenir qu’ils redoutent ou le passé qu’ils regrettent ?

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