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LOW / The Great Destroyer (2005)


low the great destroyer

Il est de ces disques où le producteur sublime l’artiste. Bien qu’éculée, cette phrase prend ici tout son sens.

Jusque là, Low était connu pour ses douces balades, ses comptines introverties pour adulte mélancolique. Ces tristes chansons lentes et langoureuses qui s’effacent au loin dans le blizzard des alentours de Duluth, Minnesota, ville dont sont originaires Alan Sparhawk et Mimi Parker, couple fondateur du groupe. Le groupe avait peaufiné son style au fil des années, précisé son écriture minimaliste, fait de la sobriété son cheval de bataille, aux côtés de producteurs comme Steve Albini.

Seulement, au milieu des années 2000, Low décide de travailler avec Dave Fridmann. Ils trouvent alors une personne qui comprend et mène à bien leurs nouvelles aspirations. Qu’aurait été The Great Destroyer sans la contribution de Fridmann ? Une répétition du raté Trust, album précédent où les envies se font sentir mais dont on ne comprend le véritable propos qu’à l’écoute de son successeur ?

Pour la première fois, le groupe laisse éclater avec grâce et pertinence la violence sous-jacente de sa musique, la hargne qu’insinue son songwriting. The Great Destroyer bouillonne là où les albums précédents marchaient dans la neige. Et la production est la première ambassadrice de ce virement de bord : sur des chansons à l’abord plutôt froid, Fridmann apporte la chaleur des machines analogiques poussées à l’extrême. Les gains sont tournés au maximum, les compresseurs marchent à plein régime et chaque son en ressort avec un grain unique. Saturés, distordus, les instruments se retrouvent embarqués dans la salle des machines d’un brise-glace lancé à toute vapeur (il n’y a qu’à écouter l’intro de « Monkey », première chanson de l’ album, pour s’en rendre compte). Le groupe se découvre un penchant Noise où les larsens se font plus tranchants que jamais. Les doux tambours de Mimi Parker deviennent une véritable batterie abrasive (la chanson « The Great Destroyer »).

Ceci résulte en un album âpre et granuleux, aux compositions plus virulentes, voire vindicatrices (« Everyday they torture us, they torture us and say : nothing stays together. Breaking everybody’s heart, taking everyone appart » sur « Everybody’ s Song »). Et là où l’on avait l’habitude d’entendre Low utiliser le silence et les espaces vides, on se fait surprendre par l’ampleur sonore, on se fait réveiller par le souffle et les crachotements des amplis à lampes allumés depuis des heures.

Ce disque, et surtout cette production, aurait pu faire école tant ils repoussent les limites du « beau » son. Jamais rien n’a autant grouillé et râpé en même temps, et cela, tout en laissant la beauté s’échapper des mélodies limpides du trio. Car la force du groupe est toujours là : ses mélodies, ses harmonies à tomber par-dessus le bastingage, ses prises d’otage de nos cœurs sont tout simplement propulsées à l’étage supérieur. L’impact n’en est que plus sidérant. (Et certains ne s’y sont pas trompés, puisque le festival Primavera Sound de Barcelone, grand messe indé européenne, a programmé cette année une performance exceptionnelle du groupe jouant The Great Destroyer dans son intégralité.)

Dans sa dynamique de remise en question, Low s’interroge non seulement sur sa musique, mais également sur la musique en tant que nécessité pour un musicien (« Death Of A Salesman ») et ses conséquences (« When I Go Deaf »). Une chose est certaine après cela : les bourdonnements et autres acouphènes seront à jamais mélodieux et emplis d’humanité.

par Thomas Pirot

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