Toy Fight


Quand est-ce que vous avez décidé de devenir un « vrai groupe » ?

Maxime Chamoux : Quand il a fallu enregistrer l’album.

Sébastien Broca : Autant raconter comment City Slang nous a contactés. Comme on te l’a expliqué, on avait enregistré un album de démos, qu’on vendait sur notre MySpace. David avait démarché des blogs en France et aux États-Unis. Certains ont eu la gentillesse de faire des petits posts sur nous. C’est par ce biais que City Slang est tombé sur nos chansons, et nous a contactés un beau matin sur MySpace pour nous demander si on cherchait un label. À cette époque là, on avait quasiment mis Toy Fight en stand-by. Du coup, c’est l’intérêt de City Slang qui nous a poussés à nous y remettre. Et pour enregistrer l’album, on s’est mis en quête d’un batteur et d’un bassiste.

Ca a été votre décision de prendre un batteur et un bassiste ?

David Simonetta : Oui, ça, on y a pensé nous-mêmes !

Sébastien : C’est vrai que City Slang nous ont toujours laissés libres de faire ce qu’on voulait…

Comment s’est fait le recrutement ?

David : Bertrand, le bassiste, était l’ami d’un très bon ami à moi. Je le connaissais déjà avant, mais je ne savais pas du tout qu’il était bassiste. C’est au moment où nous recherchions de nouveaux membres pour Toy Fight que je l’ai appris. Bertrand était dans un groupe, pas mal du tout d’ailleurs : Hold Your Horses. Quant à Jean, c’est un batteur qui est très demandé, parce qu’il est très fort. Un soir, on était allé voir un concert de Laurent, le guitariste de Maxime dans (Please) Don’t Blame Mexico. Il donnait un concert solo au Franc Pinot. Il avait demandé à Jean de faire la batterie pour lui. J’avais trouvé Jean incroyable, et donc je lui ai envoyé un message sur MySpace en lui demandant s’il voulait être notre batteur. Maxime m’avait averti que c’était très compliqué, qu’il était très demandé, et qu’il avait beaucoup de groupes. Il se trouve qu’à ce moment-là, par un heureux hasard, il était en tournée en Indonésie avec Fugu. L’ingé son de Fugu, Raphaël Ankierman, était aussi notre ingé son. Donc quand Jean a reçu ce message, il était entouré par l’ingé son et les membres de Fugu, qui venaient de découvrir notre musique et qui nous avaient envoyé des messages très élogieux sur MySpace. Jean avait une connexion pourrie en Indonésie. Il nous a dit : « je ne peux pas écouter, mais je suis entouré de personnes qui me disent que c’est très bien, donc OK ». On a eu de la chance, parce qu’après, il n’a quasiment plus accepté d’autres groupes.

Les premières répéts ?

Sébastien : On s’est tout de suite mis dans la perspective d’enregistrer l’album, donc on a tout de suite appris à Jean et à Bertrand les morceaux. On a commencé à répéter en septembre et en octobre, on enregistrait déjà les batteries.

Y a-t-il eu des difficultés à intégrer ces deux nouveaux membres ?

Maxime : Il n’y a rien eu d’anormal. On était comme un groupe qui commençait à jouer ensemble. On jouait pour faire un album chez City Slang, ce qui peut poser quelques problèmes. Donc, il y a eu des interrogations, on s’est demandé comment jouer tel et tel morceaux…

Sébastien : C’est plus pour David et moi que ça a été difficile, parce que Maxime avait joué dans un groupe entre temps et fait des concerts. Pour jouer correctement en groupe, il a fallu bosser un peu. On a vu tout ce qu’il nous manquait en termes de dynamique. On a du retravailler quelques morceaux d’une part, parce que certains étaient très anciens et qu’on ne voulait pas refaire la même chose. Ne serait-ce que pour nous, pour préserver l’intérêt de la chose, on ressentait le besoin de les retravailler un peu. Et puis aussi, bien sûr, pour les adapter à un jeu avec un bassiste et un vrai batteur, plutôt qu’une boîte à rythmes.

Maxime : D’ailleurs, c’est pour ça que le morceau un peu « phare » de l’album démo, « Hidden Second », qui était symptomatique de la manière dont on pouvait composer nos morceaux, guidé par les arrangements…

Sébastien : … et super long. Il faisait 7 minutes avec trois parties…

Maxime : … on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas le réenregistrer. On a dû essayer trois, quatre fois d’affilé. Et on s’est rendu compte que ce n’était pas possible, qu’on n’y arriverait pas. Par souci d’intégrer ces nouveaux éléments rythmiques, on a décidé de ne pas le rejouer.

Sébastien : C’est pour ça qu’au final, on n’a que des morceaux de deux minutes. On a voulu simplifier au maximum.

Maxime : À un moment, on était sur le point d’intégrer une version de « Hidden Second » de deux minutes au ukulélé. On n’y a pas pensé trop longtemps !

TF16_LD« On a voulu simplifier au maximum »

Est-ce l’arrivée de Bertrand et de Jean qui vous a poussés à réenregistrer des morceaux de Anagram Dances ?

David : C’est difficile de répondre dans l’abstrait, il faudrait quasiment comparer les premières versions avec celles d’après. Quand tu as affaire à des machines, tu leur fais faire à peu près tout ce que tu veux. Tu peux anticiper ce qu’elles vont faire. Mais quand tu joues avec de bons musiciens, ce qui est le cas avec notre section rythmique, ils ont un jeu et un style à eux. Le problème, ce n’est pas le rythme en tant que tel. Le problème, c’est que tu intègres des musiciens, ce qui suppose une forme de complémentarité entre les styles de chacun. Jean et Bertrand ont l’habitude d’avoir des jeux très riches, Bertrand avec beaucoup de notes et Jean beaucoup de petits trucs – il se sert des cercles de la batterie, il tape un peu partout. Donc on a chacun des jeux très riches. C’est ça qui est très compliqué. C’est très bien quand tu as un élément qui est très riche, parce que ça met le reste en valeur, mais quand chacun dit « non, non, moi, je continue à en foutre des tonnes », c’est difficile à gérer. Donc il y a eu un travail dégressif. Sur certains morceaux, on a eu énormément de mal à rajouter les arrangements qu’on avait en tête sur les parties rythmiques qu’on avait, parce qu’on se disait que ça foutait le bordel. Quand on a commencé la musique, c’était plutôt un processus accumulatif… Et c’est donc devenu un processus dégressif : on avait des idées d’arrangements en tête, et on en a coupé de plus en plus.

Sébastien : La partie rythmique, c’est la seule qu’on a enregistrée en studio. Le reste, on l’a enregistré à la maison. Ensuite, on a essayé de réenregistrer les arrangements qu’on avait faits sur les versions démo et parfois, on s’est aperçu qu’on ne pouvait plus garder les mêmes arrangements. Notamment, la fin de « Golden Make Up ». C’est une de nos vieilles chansons qu’on avait enregistrées à trois… On a dû complètement repenser la chose pour s’adapter à la section rythmique.

Maxime : On s’est un peu fait violence en essayant d’être moins mélodique – on l’est toujours à l’excès – et essayer d’utiliser l’aspect dynamique de chacun de nos instruments. Pendant notre période de hiatus, nos trois chemins musicaux nous ont amenés dans des directions différentes. Du coup, ça s’entend sur Peplum. Ce n’est pas le même son, pas la même dynamique que sur Anagram Dances.

David : Je ne suis pas sûr que ce qu’on écoute soit si différent que ça… Ce qui a vraiment changé, pour moi, entre Anagram Dances et Peplum, c’est la découverte que tu ne peux pas faire un morceau si tu ne penses pas le groove qu’il y a derrière, le groove qui naît d’une dynamique de groupe. Le problème, c’est que nous, on avait des trucs extrêmement écrits au début, parce qu’on n’avait aucune contrainte d’épure liée au rythme. Donc, on pouvait en foutre des tonnes dans les arrangements et faire un travail très minutieux à ce niveau là. Les meilleurs morceaux qu’on a faits à cette époque étaient justement liés à ça, ce côté hyper-maniaque. Mais tu ne peux pas avoir un groove extrêmement tight et une application maximale dans l’arrangement et dans la mélodie.

Maxime : Il fallait choisir entre les Magnetic Fields et Marvin Gaye !

TF32_LD« On s’est un peu fait violence en essayant d’être moins mélodique »

David : Et je disais qu’on n’était pas si différent que ça les uns des autres dans nos goûts… C’est surtout que — du moins pour Maxime et moi — on a toujours apprécié les gens qui arrivaient à créer une dynamique très forte, comme chez Spoon ou dans le hip hop… ce qui va avec une économie dans les arrangements…

Maxime : … une intelligence des arrangements…

David : … et je pense que l’album n’est pas tant le résultat d’un apprentissage qu’un apprentissage en cours. Un des défauts de l’album, c’est qu’on a appris tout cela en l’enregistrant.

Sébastien : Il faut dire aussi qu’on a fait le disque alors qu’on venait tout juste de commencer à jouer avec notre bassiste et notre batteur, donc on n’avait pas du tout l’expérience du jeu à cinq.

Vous avez enregistré en studio pour la partie rythmique, mais pas pour les arrangements ?

Sébastien : Pour cadrer, on a fait deux sessions en studio. Une première session aux Microbe Studios, où on a juste fait batterie/basse. Et une deuxième session quelques mois après : on a fait les morceaux qui nous restaient et là, on a réussi à enregistrer ensemble batterie, basse, guitare rythmique et piano.

David : Le moment qui a été le plus chouette, c’est à la fin quand on a voulu enregistrer trois morceaux live.

Sébastien : Sur ces trois derniers morceaux, on était assez content, parce qu’il y avait une dynamique de groupe.

Maxime : C’était l’enfer pour l’ingé son. Comme on a joué tous ensemble, les micros sur les pianos, tu entends aussi bien le piano que la batterie. Mais c’est vrai que dans l’immédiat, on s’en foutait, parce que pour la première fois dans Toy Fight, sur bandes, tu avais une vie. Ces morceaux font partie de nos préférés sur l’album.

David : C’est là qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait réunir quelque chose de mélodique avec une dynamique. On l’a fait spontanément en jouant dans l’optique d’enregistrer de la manière la plus live possible.

Mais pourquoi alors ne pas avoir tout ré-enregistré en studio ?

David : Pour des raisons budgétaires. On a eu un budget misérable. Avec le recul, je trouve que le parti pris du label était bon. C’est vrai que notre budget était ridicule pour un groupe signé chez City Slang, mais c’était le but du jeu. Dés le départ, ils nous ont dit : « on accepte toutes les contraintes qui vont avec le fait de vous signer, à savoir que vous avez splitté, que vous n’êtes plus un groupe, que vous ne faites pas de concert. » (rires) Le patron de City Slang, Christof Ellinghaus, a notamment été le tour manager de Nirvana et il nous a dit : « le premier Nirvana, ils l’ont fait avec la moitié du budget que vous avez, et ils y sont allés les petits ! Donc on va voir ce que vous valez. » Je ne trouve pas ça si mal. Après, je ne ferai pas un deuxième album comme ça, parce qu’il y a des moments très contraignants, mais c’est intéressant comme challenge à relever.

Sébastien : Quand tu es en studio, ça coûte cher, donc tu es pressé par le temps et tu n’as pas forcément le temps d’expérimenter. Du coup, le fait d’enregistrer à la maison, ça nous a permis de prendre notre temps. On a mis beaucoup de temps à enregistrer, mais on a pu faire nos arrangements.

Maxime : En plus, comme on n’est pas sûr de nos capacités techniques, c’est plus rassurant de ne pas avoir la pression de l’heure qui défile. On a toujours mélangé le processus d’enregistrement avec celui d’écriture et d’arrangements, ce qui n’est pas vraiment possible en studio, parce que tu es censé avoir fait ta maquette et savoir exactement ce que tu veux faire. En enregistrant l’album, on a compris pourquoi les groupes maquettaient avant de faire un album. C’est quelque chose qui me paraissait toujours un peu ridicule, parce que je me disais : « ils vont enregistrer, il n’y a pas besoin de l’enregistrer deux fois ». Si on fait un deuxième album, c’est quelque chose qu’on aurait intérêt à faire, parce que l’enregistrement s’est quand même étalé sur 8 mois !

David : C’est vrai que la méthode que nous avons choisie permet des résultats originaux… mais tu comprends pourquoi les gens en général font différemment. Ca te fait comprendre le bon sens qu’il y a chez les autres !

Niveau production et mixage, il n’y a que vous… ?

Sébastien : A la base, notre idée, c’était de le mixer nous-mêmes avec notre ingé son. On a mixé tout notre album chez lui, sauf que le résultat n’a pas été jugé complètement probant par City Slang, qui du coup a décidé de le faire remixer par Patrik Majer en Allemagne. Donc tout l’album a été remixé là-bas, sauf « High Noon » qui a été mixée par Julien Trimoreau.

Maxime : Ca aussi, au niveau de l’apprentissage, ça nous a fait du bien, parce qu’on a appris les contraintes d’être sur un label. Personnellement, je suis celui qui a le plus mal réagi quand on nous a dit que notre mix était refusé. Je me disais que de Berlin, ils ne comprenaient pas comment on avait fonctionné. Au bout d’un moment, tu es obligé de lâcher les rênes. Le mix va à quelqu’un que tu n’as jamais vu de ta vie, qui va t’envoyer les mixes en mp3 tous les soirs, donc ce n’était pas facile à digérer pour moi. Bon, il se trouve que son mix est fort bien !

Sébastien : Avec le recul, on s’est aperçu de ce que ça apportait, notamment par rapport à notre manière très démocratique de fonctionner, tous les trois. On avait chacun tendance à en mettre des tonnes et à tout garder, donc au mix, on n’arrivait pas à faire des choix très clairs sur ce qu’on mettait plus devant ou plus derrière. Du coup, le fait d’avoir quelqu’un d’extérieur, qui ne connaissait pas les morceaux et qui a pu faire ses choix de mix sans nous avoir à ses côtés, c’était pas mal. Ca a permis de hiérarchiser les éléments et de faire quelque chose de plus lisible.

David : Le truc dommage, c’est qu’on n’a pas bossé la prod pendant qu’on enregistrait. Maintenant, il y a un truc qui est très important et qu’on a compris, c’est que tu dois bosser un son en même temps que tu travailles un morceau, c’est-à-dire que la puissance que tu vas donner à un son ou à un arrangement dépend aussi de la manière dont tu vas le faire sonner, et de l’endroit où tu le vois, derrière ou devant. Ce n’est pas quelque chose qu’on a suffisamment intégré quand on faisait les morceaux. Nos prises de son étaient toutes équivalentes, ce n’était pas du tout bossé. On s’était dit : « bon, on verra au mix ». C’est dommage, parce qu’on ne l’a pas vu au mix !

Maxime : On attendaitt tout du mix de Raph, genre : « allez, ça, il faut que tu nous le fasses sonner comme ça », et il nous disait : « je suis désolé, mais le son de votre prise n’est pas bon ». Il nous disait, à fort juste titre, que ça ne sonnait pas suffisamment comme on le voulait au départ pour espérer obtenir ce qu’on voulait à la fin. Pour la prochaine fois, on saura par exemple qu’il faut une reverb dès la prise de guitare…

TF03_LD« Notre budget était ridicule pour un groupe signé chez City Slang, mais c’était le but du jeu »

Mais alors si déjà vous débattiez de tous les petits détails, ça sera encore pire lorsque vous devrez réfléchir à la production pendant l’enregistrement…

David : Je ne pense pas…

Maxime : C’est la thématique du choix. Au milieu de l’enregistrement, comme on discutait de tout, tout le temps, on a décidé de voter à la majorité. Du coup, même si quelqu’un se sentait un peu lésé, ce n’était pas grave, parce qu’il y en avait deux contre un, et qu’il fallait avancer. Ce pourquoi on a perdu du temps et on s’est retrouvé avec des prises de son quelque peu timorées, c’est que les prises n’étaient pas faites dans une dynamique de choix très définie à la base.

Sébastien : On avait tendance à rechercher le consensus entre nous trois pour tout, alors que parfois c’est pas mal qu’il y en ait un qui impose sa vision, et que les autres lui fassent un peu confiance.

Maxime : On est tous les trois très content de cet album, mais pour un prochain album, techniquement, les prises de son seront vachement plus franches et personnelles. C’est aussi ce qu’on aime dans la musique qu’on écoute : ce sont des albums où chaque son a une identité ultra marquée, que ce soit du beau son ou pas.

TF21_LD« On avait tendance à rechercher le consensus »

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