Studio Paradise


Laurent Gueirard : À l’époque où j’ai rejoint Studio Paradise, j’ai commencé un autre groupe qui s’appelait Pink Noise Party…

Francè Vivarelli : Il faut écouter Pink Noise !

C’est un groupe de… ?

Laurent : Pareil, de rock électro, mais plus électronique que Studio Paradise.

Francè : Moi, j’ai été très surpris par la culture musicale de Laurent : je ne l’attendais pas du tout dans l’électro perchée, avant-gardiste.

Laurent : J’ai une culture de musique improvisée. Donc pas de pédales d’effets, uniquement des effets manuels… Et quand j’arrive à ma première répét’ pour Studio Paradise, je vois trois pédaliers énormes. Ma première impression, c’est « bon, ils ont ces grosses pédales d’effets, mais je voudrais bien voir ce que ça donne ! » Donc ma première impression a été un tout petit peu mitigée. J’avais l’habitude de ne traîner qu’avec des premiers prix de conservatoire… Et ce que j’ai vraiment appris avec Studio Paradise, c’est que la virtuosité sur l’instrument importe peu. Le plus important, c’est de savoir jouer la musique que l’on crée. Ce n’est pas important de savoir tout jouer, mais c’est important de savoir bien jouer sa musique ! C’est pour ça que je me sens hyper à l’aise aujourd’hui avec Studio Paradise, et que je ne regrette absolument pas d’avoir tiré un trait définitif sur ce que je faisais avant.

Cette nouvelle attitude que tu as par rapport à la musique, ça n’était pas possible dans le jazz ?

Laurent : En fait, j’avais un groupe de musique improvisée avec lequel on a pas mal tournée, on avait fait un disque. Mais moi, j’attendais autre chose, j’avais envie de toucher un plus grand public. Notre musique était parfois un peu élitiste.

Pour revenir à la question la question d’origine : est-ce que tout le monde dans le groupe était d’accord avec le nom « Studio Paradise » ?

Laurent : Ah non !

Francè : En tant que communiste stalinien… (rires) Depuis dix ans, il y avait ce « groupe » (qui n’en était pas vraiment un), et qui s’appelait comme ça, « Studio Paradise ». Et un jour, Laurent me fait (ça devait être sa deuxième répét’) : « bon, par contre, le nom, ça ne va pas ! » Et là, tout le monde s’est lâché : « ouais, t’as raison Laurent ! » C’était le cri du coeur. J’ai senti le peuple se révolter ! (rires)Mais finalement, on a eu beaucoup de compliments sur le nom du groupe. C’est un nom qui se retient bien, qui ne laisse pas indifférent.

Tu ne l’assumes toujours pas, Laurent ?

Laurent : Si, si ! Je l’ai assumé le jour où Francè m’a expliqué pourquoi « Paradise », avec l’histoire de la rue du Paradis. Cette idée d’un truc qui est né là-bas, et qui a grandi par la suite…

Francè : Et puis c’est un studio, c’est une expérimentation. Parce qu’en fait, les morceaux que vous entendez aujourd’hui sur myspace et qu’on joue en live, ce sont les morceaux les plus rock, les plus dancefloor. Mais on a aussi une énorme quantité de morceaux qui sont plus calmes, plus perchés…

Laurent : Puisqu’on a plus de 600 morceaux, on va réserver nos morceaux expérimentaux pour plus tard, quand on aura cinquante ans, comme ça le monde sera enfin prêt ! (rires)

Francè : Mais même nos morceaux plus « perchés » ont toujours une accroche. Parce que j’attache beaucoup d’importance au fait d’apporter quelque chose en plus dans un morceau, quelque chose de nouveau, d’original. Donc Studio Paradise, c’est un petit laboratoire où on teste des choses.

Francè, sur les 600 morceaux que tu as écrits avec Seb, tes quatre comparses en connaissent combien ?

Greg Seidel : On en a travaillé dix, et on en connaît peut-être une cinquantaine.

Et les dix que vous jouez ensemble, ce sont quoi… ? Les dix meilleurs ?

Laurent : On essaie de monter un set cohérent, et ce sont les dix morceaux du set.

Francè : Il y a une ligne directrice dans tous les morceaux.

Laurent : Ce sont des morceaux assez pêchus, assez enjoués. Dans l’évolution de notre groupe, il y a d’abord eu un long travail de répétition en studio, puis un travail d’adaptation pour la scène. On a fait pas mal de concerts cette année.

Francè : J’apprends énormément concernant la scène. Là, on essaie de surmonter des défis technologiques.

Thomas Pégorier : Les morceaux qui sont sur myspace ont été faits avec Q Base et Reason. Tu as 50 000 pistes, 50 000 machines. Et nous, on est cinq. Comment fait-on pour jouer ça en live ?

Francè : Quand je disais que l’idée d’avoir un groupe me faisait flipper, c’est parce que j’avais peur de devoir tout faire. C’était insurmontable ! Être leader d’un groupe, c’est une horreur ! Mais là, les mecs ont commencé à prendre des problématiques en charge. Par exemple : comment utiliser l’ordinateur ? Thomas a fait le geek pour comprendre ce qu’on pouvait faire avec l’ordi, et il a résolu le problème. À partir du moment où les mecs se sont mis à résoudre nos problèmes, ça a été une bulle d’oxygène pour moi. Un régal. Et maintenant, ça commence à rouler, on a trouvé les automatismes, chacun a trouvé sa place. Au début, on n’avait que des instruments acoustiques. Ensuite s’est greffé l’ordinateur. Puis il a fallu qu’on se débrouille pour que Laurent entende le clic, etc. C’était un énorme travail, très lourd. Et maintenant, il est peut-être temps de passer à la vitesse supérieure : avoir un MPC pour balancer des séquences en live, pour pouvoir se débarrasser de ce clic dictatorial…

Laurent : Le clic, on ne peut pas s’en débarrasser.

Francè : C’est assez difficile à mettre en place. Mais on essaie d’être le plus libre possible.

Peut-on revenir sur l’arrivée de Greg et de David dans le groupe ? C’était sur petite annonce également ?

David Cabannes : J’étais en Australie pour mes études pour encore un mois et demi, mais je préparais déjà mon retour à paris et j’étais tellement impatient de me remettre à la musique que j’ai mis une annonce sur Internet pour trouver des musiciens intéressés pour composer et adapter mes compos. Mon annonce a plu à Francè parce qu’elle devait sortir un peu du lot. Je me souviens du titre : « multi-instrumentiste cherche partenaires pour expérimentations musicales ». Apparemment il aimait bien ce que j’avais composé… Je n’étais pas specialement un bon musicien, mais ça c’était secondaire par rapport a la composition et à la passion pour la musique.

Francè : David fait des ondes Theremin. Il faut aller voir sur myspace, il a un projet qui s’appelle Swann (dans notre top friends). C’est vachement expérimental, et hyper intéressant. On sort vraiment des sentiers battus. Je me suis dit : un mec comme ça va nous apporter énormément. C’est un peu le Jonny Greenwood du groupe ! D’ailleurs, il est difficile à cadrer, parce qu’il est très libre dans sa tête. Moi, je le considère comme un génie, un vrai surdoué. Il a une facilité déconcertante à appréhender les concepts, à les digérer.

Greg ?

Greg : Je suis arrivé sur Paris il y a un peu plus d’un an. J’avais posté une annonce « guitariste cherche groupe » qui a traîné deux mois sur Internet. J’ai eu quelques réponses, j’ai rencontré des gens. Et un beau jour je reçois un mail de Francè : « j’ai vu ton annonce… »

Francè : « … elle me plaît à outrance ! »

(rires)

Francè : Ce que j’aime aussi, ce sont les sons. À Marseille, avec Seb, on passait des heures à tripper en bricolant les pédales, en écoutant les sons… Avec Greg, j’ai retrouvé ce plaisir-là.

Et Seb n’est pas là…

Francè : Seb n’est pas là…

Laurent : Il est un peu en retrait parce qu’il est en Corse. Mais quand on s’échange des mails, il est toujours dans la boucle.

Il fait quand même partie du groupe.

Francè : Pour moi, c’est quelqu’un qui est primordial dans les conseils qu’il peut nous apporter. Je lui dis : « ne lâche pas ! », parce qu’il déprime ne pas pouvoir être sur Paris pour vivre tout ça avec nous. Il est orthoptiste, installé dans un cabinet qui lui a demandé des investissements énormes. Moi, j’ai eu la chance que mes études m’amènent à Paris…

C’est compliqué d’avoir un métier et de gérer le groupe à côté ?

Francè : Ah oui, c’est hard. C’est très, très fatigant.

Thomas : Les trois derniers mois (avril, mai, juin), c’était un concert et deux répétitions par semaine, plus le boulot, plus les femmes, la famille, les conversations gmail interminables, le myspace à gérer, le facebook, la com…

Trouver des concerts, aussi ?

Thomas : Ca, ça n’a pas été le plus dur, tout compte fait. C’était plus difficile d’assurer les dates que de les trouver ! On a quand même démarché, on a envoyé quelques mails, mais on n’a pas été hargneux, on n’a pas harcelé les salles !

Francè : On a monté le groupe, et on a décidé qu’il nous fallait un petit challenge, donc on s’est inscrit à Emergenza.

Thomas : Pour Emergenza, tu t’inscris et tu joues, sans avoir à te poser de question. Après, tu découvres le business qu’ils font, et tu te dis « merde ». Puis ils te font jouer dans de belles salles parisiennes, tu te dis « bon, OK ». Puis ils augmentent les tarifs, tu te dis à nouveau « merde ! » Et puis ils te font jouer dans des conditions pourries… Au final, c’est mitigé, Ermergenza.

Francè : Il y a du très bon, mais leur business model ne nous plaît pas du tout.

David : C’était quand même une belle aventure, même si beaucoup de choses nous ont déçus. Je pense quand même que c’est grâce aux concerts réguliers d’Emergenza, à l’enjeu qui nous a à chaque fois plus stimulé, que nous en sommes arrivés là en si peu de temps… C’est dur de se motiver à travailler avec acharnement, régulièrement, sans des deadline proches, des objectifs à court terme, des challenges comme celui d’etre selectionné pour l’étape suivante, afin de jouer dans des salles encore plus folles, de se perfectionner. En s’inscrivant à ce tremplin, Studio Paradise était encore bébé, on y voyait une occasion de faire nos premiers pas sur le terrain, un premier live dans une salle sympa, et de se booster pour évoluer plus vite.

Laurent : Ca nous a permis de jouer sur des très grandes scènes auxquelles on n’aurait « théoriquement » pas accès. On a joué à l’Alhambra et à l’Élysée Montmartre.

Ca fait joli sur le CV, aussi…

Thomas : Sur le CV, tu vois un groupe qui a joué dans des petites salles, et qui d’un seul coup joue à l’Elysée et à l’Alhambra, tu te dis qu’il y a un truc ! Mais ce qui est bien, c’est que ça nous permet de faire un « book ». Par exemple, à l’Alhambra, on avait une équipe vidéo (grâce à Laurent), on avait des enregistrements live… Ensuite, tu as des choses à montrer quand tu veux démarcher. Et puis il y a un autre truc qui nous a énormément aidé pour trouver des dates, c’est le fait d’avoir été « découverte de la semaine » sur le site des Inrocks, CQFD.

Francè : Emergenza, ça nous a aussi aidé à nous structurer sur scène. On a une formation très lourde à monter, c’est assez pénalisant.

Thomas : Clairement, Emergenza, ça n’est pas fait pour nous. Cinq minutes d’installation ! Nous, quand on fait une répét’, on en a pour une demi-heure, trois quarts d’heure d’installation. Du coup, à l’Elysée, on a commencé notre concert avec un des guitaristes qui n’avait pas de son, moi qui n’avait pas de micro, les claviers qui ne marchaient pas. Résultat : une finale moisie.

David : Mais parmi le millier de groupes qui s’inscrivent à ce tremplin, nous sommes arrivé à la deuxième place. Aucun de nous ne l’aurait imaginé à l’époque. C’est beaucoup d’émotions tout ça…

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