Revival Kensuke


La première compo, c’était quoi ?

Hadrien : Je dirais que la première compo de Revival — donc Hugo et moi — c’est un morceau qu’on ne joue plus, et je crois que quasiment personne ici ne la connaît. La dernière fois, on a esssayé de la rejouer avec Hug, mais moi je suis complètement à l’ouest !

Hugo : C’est pas la première, celle dont tu parles !

Hadrien : C’est pas la première ? Bon ce doit être la deuxième… Ah oui, la première, bizarrement je m’en souviens ! (Il la fredonne) C’est une compo qui était…. À l’époque je me souviens qu’on était un peu parti dans un trip Muse… Donc ça c’est la première compo, mais on ne l’a quasiment jamais sortie de la chambre. On a fait un ou deux essais avec Clém à la batterie, mais très vite on l’a laissée tomber. Et donc la vraie première compo de Rev Ken, avec le line up complet, c’est la 26. C’est un titre de 26 minutes où chacun a sa partie, chacun a son truc, et c’est vraiment le premier morceau de Rev Ken.

Et comment est née l’idée de ce mastodonte de 26 minutes ?

Hadrien : En fait on avait plein de compos, plein de bouts de riffs, plein de choses… Et un beau jour on s’est dit : après tout, pourquoi on n’essayerait pas de les assembler ? On a vu que quand on mettait tous les riffs ensemble, grosso modo, on arrivait à quelque chose qui faisait quatorze minutes. Alors on s’est dit : pourquoi ne pas pousser le truc encore plus loin, et essayer de construire un énorme morceau, mais qui serait logique et cohérent. Je me souviens que c’était une époque où j’écoutais vachement « Atom Heart Mother », « Echoes »… Enfin tous les grands morceaux de Pink Floyd, de vingt-cinq minutes chacun ! Et je me posais vraiment la question… C’était un peu un défi. J’avais plein de riffs qui me plaisaient, et je me demandais si ça pourrait aboutir à une compo. Et finalement, un riff, si tu l’amènes au bon moment, après un autre riff, qui vient après un autre… Un petit riff qui, tout seul, ne vaut pas grand chose, prend tout son sens lorsqu’il est amené au milieu d’autre chose… Tu construis un truc comme ça, tu arrives à créer une histoire, un morceau avec un peu de relief, avec un peu de vie.

Clément : Je me rappelle qu’on travaillait les riffs séparément à l’époque. Bout par bout. Et puis au fur et à mesure, on a vu le truc qui se construisait. C’était un peu comme un puzzle. Et en six mois, on y est arrivé. Je me rappelle que la première fois qu’on l’a joué complètement… Vingt-six minutes en entier, ça fait quelque chose ! On avait mis tellement de temps à aboutir…

Hadrien : Quand tu penses qu’il faut faire 26 minutes, qu’il faut retenir les riffs, les enchaînements à la batterie, les changements d’instrument… Au départ, tu as le riff nu, et après tu te demandes quel effet va être pertinent. « Qu’est-ce que je vais rajouter là-dessus ? » C’est un taff énorme. L’enregistrement a été vachement bénéfique pour ça aussi, justement parce que Pasch (Olivier) nous a beaucoup drivé là-dessus. Il nous a dit « utilise ci, utilise ça… plutôt ce micro là… » Aujourd’hui, on fait gaffe à tout ça. Et au final, quand on le joue sur scène, à chaque fois on se dit : « putain, ça y est ? C’est déjà la fin des vingt-six minutes ? » Alors que ça a été une montagne à gravir pour faire ce morceau ! Je pense que c’est pour cette raison qu’on est revenu, ensuite, à des morceaux plus courts, de six à dix minutes. Mais on a envie quand même envie d’utiliser à nouveau ce format très long, qui permet de s’exprimer davantage, qui permet de vivre plus de choses. On a une compo à venir qui va faire dix-neuf minutes, un truc comme ça.

Olivier : Enfin, on ne sait pas jusqu’où ça va aller !

Hadrien : J’ai déjà la trame principale… Après, on finira peut-être avec quarante-six minutes, j’en sais rien !

REVKEN25_AJ« Un peu comme un puzzle »

Clément : En tout cas, le fait de travailler à une compo longue comme ça, j’ai l’impression que ça nous facilite la tâche maintenant.

Hadrien : Oui, ça nous a filé une méthode, cette 26, parce qu’on était obligé de passer par du ternaire, du binaire, on ralentissait, on accélèrait… Et puis il y a plein de sons différents, donc on a été obligé d’être hyper organisé, de savoir où on allait, d’être capable d’anticiper dix minutes à l’avance ce qu’on allait jouer…

Clément : Tu vois, même pour les nouveaux morceaux, il y a des ratages, mais ça n’est pas horrible. On se reprend deux, trois fois, et puis après c’est assez rapidement en place.

Hadrien : Oui, on arrive à intégrer beaucoup plus facilement.

Clément : Forcément ! C’est un travail sur soi. Je pense que ça nous a pas mal servi.

Hugo : Ca fait un peu tomber le mythe de… « Putain, les groupes qui arrivent à faire des chansons d’une demi heure, comment ils font ?! » Quand tu commences dans la musique, tu vois les mecs qui arrivent à faire des chansons aussi longues, c’est impressionnant… Et le jour où tu y arrives, tu te dis que tu as passé une étape.

Hadrien : C’est surtout du taff !

Hugo : Voilà. C’est difficile, c’est beaucoup de boulot, mais c’est pas inatteignable.

Clément : Après, c’est pas le but ultime non plus … Car c’est difficile de faire une chanson courte, comme ça, efficace.

Hugo : C’est pas la même vision ! C’est pas le même objectif…

Hadrien : On en a discuté hier avec Pasch, et il n’est pas impossible que sur le prochain album il y ait des plages d’une minute trente, une minute quarante. Juste des riffs qu’on ne veut pas développer. Des petits clins d’œil. Quitte à ce qu’ils reviennent après sur un morceau plus long, mais pas dans la même tonalité. Quelque chose comme ça. Il y a quand même des idées à creuser de ce côté-là. C’est difficile de faire un long morceau, mais c’est aussi difficile de faire juste une petite plage d’une minute, qui est mortelle et que les gens vont retenir. On explore de toute façon ! On n’est pas du tout bloqués dans des formats, dans des sons, des instruments… On explore. On ne sait pas encore exactement où tout cela va nous mener, mais on va déjà voir comment le 26 est accueilli. Pour l’instant on bosse pour devenir meilleurs, meilleurs, meilleurs ! On verra bien !

Clément : C’est beau !

Quand j’ai écouté la 26 pour la première fois, je ne savais que c’était une seule chanson. Parce que le truc, c’est qu’elle est séparée en…

Hadrien : Oui, t’es obligé de couper, parce que tu imagines le mec qui veut écouter juste un truc au milieu et qui doit se taper quatorze minutes avant de l’entendre…

Clément : Étant donné que c’étaient à la base des compos distinctes, ça reste cohérent même si tu coupes. Si tu mets la troisième chanson, tu arrives sur le troisième mouvement, et c’est assez indépendant.

Hadrien : Oui, c’était le principe. En effet, on l’a bossé en mouvements. Quand tu prends une chanson comme « Mogwai Fear Satan », c’est un seul riff, tout du long. Donc là, pour le coup, c’est justifié de faire seize minutes non stop. Il y a aussi un autre morceau de Mogwai, « My Father, My King », c’est encore un unique riff qui tourne en boucle. Un côté un peu transe. Et nous, justement, c’est ce qu’on voulait éviter, en créant plein d’ambiances différentes, et avec ce découpage en sept plages. Mais, effectivement, si on te le dit pas, tu te rends pas compte que ça forme un même morceau. En fait, il y a plein de petits trucs redondants que nous, nous connaissons… On reprend des riffs du deuxième mouvement, du quatrième mouvement… Mais je comprends très bien que tu puisses considérer qu’il s’agit de sept morceaux différents.

Le truc, c’est que lorsque tu arrives sur Myspace, tu vois les différents morceaux…

Clément : Oui, et comme ça se lit en random sur Myspace…

Hadrien : C’est un truc marrant à faire ça tiens ! Tu prends ton iPod et tu mets sur shuffle sur l’album… et en fait, c’est nul !

(rires)

Il y a pas mal de groupes qui jouent de longs morceaux de vingt, vingt-cinq minutes, qui sont plutôt planant…

Olivier : Généralement, ça s’étire…

Hugo : Il y a beaucoup de blancs. Tu prends des groupes comme Godspeed You ! Black Emperor, par exemple…

Oui, voilà : Godspeed !

Hadrien : On connaissait ces groupes là, et on les écoutait. Moi, je suis fan de Godspeed, d’Explosions In The Sky. Ils posent vraiment des ambiances… Mais comme tu dis, c’est très rare que ça bourrine et que ce soit intense.

Clément : Ce qu’il n’y a pas dans ces groupes là, c’est la cassure. Le moment où tu casses le rythme et où tu essaies de provoquer la surprise chez l’auditeur.

Hadrien : Tu vois, Godspeed, ça peut te faire entrer en transe, tu peux l’écouter en t’endormant… Ca te transporte. Notre idée, ce n’était pas de faire ça, même si on a quelques passages qui sont très calmes, très atmosphériques. Mais il y a une chose dont on commence à se rendre compte, c’est que vingt-six minutes avec autant de trucs intensifs, c’est dur, c’est vraiment fatiguant à jouer. Alors que quand tu joues du Pink Floyd ou des choses comme ça, c’est souvent la même nappe qui tourne, qui est jouée super lentement. Tu joues dix fois la nappe, et tu as déjà tenu dix minutes ! Donc forcément, ton morceau, il va faire vingt-cinq minutes à la fin ! Nous, c’est vrai qu’on a des riffs qui sont hyper rapides, hyper soutenus…

Hugo : Une de nos influences majeure sur cette chanson de vingt-six minutes, c’est « Cassandra Gemini » de Mars Volta. Ca fait une demi-heure. C’est toujours le même truc qui revient, mais c’est hyper intense, tu vois ? C’est Mars Volta : il y en a beaucoup, tu en prends plein la gueule… « Cassandra Gemini », c’est ma chanson préférée de Mars Volta, je trouve que c’est une chanson incroyable. Et en parallèle, à l’époque où on bossait sur la 26, j’écoutais vachement une chanson de Yes qui s’appelle « Close To The Edge », qui dure une demi-heure — à cause du vinyle, ils ne pouvaient pas faire pus long à l’époque. Nous, on fait du post-rock parce qu’il se trouve que le style de musique que l’on joue se catégorise là-dedans. Mais on essaie de ne pas trop se dire que l’on fait du post-rock. Donc on cherche à passer par autre chose que la narration d’histoires, les noms compliqués de chansons, pour faire intello, « j’ai des lunettes et je sais hyper bien jouer de la guitare à l’envers » (rires) On essaie de ne pas faire ça, tu vois.

Clément : Parce que c’est pas comme ça que ça a commencé, Revival… On voulait un peu faire du At The Drive-In, et ça, c’est plutôt pêchu !

Olivier : En fait, le parti pris, quand on a commencé à enregistrer, c’était de ne pas avoir un son post-rock conventionnel. Tous les sons lointains, ces batteries assez lointaines…

Clément : On voulait un son pêchu en fait.

Olivier : Pêchu, incisif, précis, et américain, tu vois ?

Hugo : Précis et américain !

Clément : La précision américaine !

Olivier : Oui, ces gros sons fat où tu entends tout, et ça cogne ! Parce que la compo s’y prêtait complètement, de par sa dynamique…

Hugo : Les débuts des morceaux étaient comme ça, assez pêchus, rock plus que post-rock. C’est vrai qu’on est resté là-dedans.

REVKEN03_LD« Ne pas trop se dire que l’on fait du post-rock »

Clément : Et d’ailleurs, ça a été un challenge pour les concerts : tout à coup il a fallu préparer un live de vingt-six minutes comme ça… On s’est rendu compte que c’était du boulot.

Olivier : Ouais, c’est du boulot !

Clément : Et à chaque fois, c’est une prouesse !

Hadrien : Physiquement, physiquement oui ! Surtout la batterie. Parce que pour le reste du groupe, déjà, c’est chaud. C’est super dur de rester concentré pendant vingt-six minutes. Normalement tu joues cinq minutes, tu es concentré, et ensuite tu décroches un peu, avant de retourner dans un autre morceau. Vingt-six minutes non-stop en gratte, je pense que ça demande beaucoup de concentration. Mais à la batterie, c’est physique ! Surtout que sur ce morceau-là, il en envoie, Clément ! Tu as plein de roulements, dans tous les sens, il faut que tu aies les bras très tendus pour faire du touché, et après il faut que tu repartes…

Clément : Au début, sur les concerts Fallenfest, on avait des formats de concerts de vingt minutes Maintenant qu’on est sortis de ce réseau, on fait des sets de quarante minutes.

Hadrien : Voire plus !

Clément : Voire plus… Et là, on doit vraiment jouer la 26 complète, plus d’autres morceaux…

Hugo : On fait des concerts en deux parties. En fait, on enchaîne, on essaie d’avoir le moins de blancs possible. Ce qui n’est pas toujours évident, parce que tu t’accordes, tu te reposes…

Olivier : Même pour le public, en soit, c’est pas…

Hugo : Pour le public aussi, c’est un peu indigeste de se manger une heure non-stop. Sauf s’ils sont au courant et qu’ils voulaient voir ça ! (rires) Sinon, ils décrochent. Soit ils sont dedans, soit ils décrochent… Donc on fait deux parties. On a nos morceaux « courts » qui, mis ensemble (on a plus ou moins bossé les enchaînements), font peut-être vingt minutes. Et ensuite, on joue la « 26 ». On est quand même assez fiers d’avoir réussi ça, je tiens à vous dire !

Clément : Il ne faudrait pas que l’on termine toujours sur la 26.

Hadrien : Non, c’est vrai, mais le set va évoluer… Je me souviens, quand on s’est lancé dans l’idée de faire une longue compo, une partie de nous-mêmes se disait « mais on est complètement stupides ! Pourquoi on fait ça ? » Et en même temps, il y avait ce côté challenge, et on sentait tous qu’il y avait quelque chose à faire. On ne cherchait pas à faire comme les groupes de post-rock ou de progressif. Parce qu’on a jamais eu cette vocation… Au début, on voulait faire un groupe de rock, vraiment rock. Et notre style s’est imposé à nous…

Olivier : C’est venu naturellement, par nos influences…

Hadrien : Ca nous paraissait logique. Et c’était surtout le meilleur moyen pour que cinq personnes puissent s’exprimer, sans pour autant tomber dans le côté jazz, le côté « chacun veut son solo ; tel morceau dure vingt minutes, c’est justifié, parce que chacun veut son solo ! » Ca, c’est juste chiant ! Là, l’idée, c’est que chacun puisse s’exprimer à travers ses riffs…

Clément : Et finalement, chacun s’exprime pour apporter quelque chose au tout.

Comment s’est déroulé l’enregistrement ?

Hugo : Le 26, on l’a enregistré en deux phases. Normalement, avec le Fallenfest, quand tu vends des pré-ventes, tu gagnes des prix, genre tu peux mixer ton live Fallenfest dans le studio avec un assistant. Et nous on s’est dit : « on s’en fout, on récupère les pistes, et on le fait à la maison ». Et comme on s’entendait un peu avec les gens du festival, on leur a demandé : « est-ce qu’au lieu d’avoir deux jours de mix, on ne pourrait pas avoir deux jours de prises dans le studio ? ». Et comme ça, les 13 et 14 juillet 2007, on a fait les prises batterie de la 26. On a passé deux jours à faire ça, et ensuite on s’est retrouvé à Garches, dans la maison des parents de Raph. La chambre de son frère est devenue la cabine de prise, et la chambre de Raph, la régie. On se criait à travers les murs pour se parler ! C’était une petite ambiance… petite lampe, tapis imprimé tigre… (rires)

Hadrien : On se retrouvait tous les dimanches avec un poulet acheté au marché de Versailles. On bouffait comme des porcs jusqu’à 15h. On ne commençait jamais à enregistrer avant 16h. C’était hyper… hyper poétique tout ça !

REVKEN42_TD« Hyper poétique tout ça ! »

Et ça a duré un an !

Hugo : En fait ça marchait par week-end, quand la maison était disponible, quand nous, on était disponibles…

Clément : C’est pour ça que ça a pris du temps.

Olivier : Bon, c’était une fois par mois, en moyenne…

Hadrien : Oui, grosso modo.

Olivier : Sur la fin, on s’est essayé à quelques petits arrangements. Par exemple, au début il y a un harmonium, que les parents de Raphaël ont dans leur salon.

Hadrien : On a pris une mandoline, aussi… C’est vrai qu’on a testé pas mal de trucs. Enfin moi j’ai même tenté des chœurs.

Hugo : C’était marrant !

Hadrien : Mais c’était l’échec total. Mais finalement, les cœurs qui sont présents, à la fin… C’est imperceptible, mais il y a des chœurs sur la fin…

Hugo : En fait, Olivier les avait fait tout seul.

Hadrien : Parce qu’en fait, Olivier est le seul d’entre nous qui chante juste…

Hugo : …sans se marrer !

Hadrien : Sans se marrer, surtout ! C’est le seul qui chante vraiment ! Nous on ne tient pas !

Interview par Vivien Pertusot


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