NIGHT RIDERS – Partie II – WELCOME TO THE MACHINE


Comme promis, la suite de l’interview fleuve de Night Riders (lire la première partie). Au programme : machines et  futur.

Le groupe Kraftwerk prédisait un monde où l’homme fusionnerait avec la machine mais sans pour autant se prononcer sur le bien ou le mal de cette perspective. Comment vous sentez-vous avec les machines au sein de Night Riders? Est-ce que vous les aimez ? Est-ce qu’elles vous font peur ? Que vous apportent-elles? Vous sentez vous aliénés ?

Jim Morrison le prédisait aussi :

Tout le monde utilise des « machines » à notre époque, les smart phones, nanotechnologie, mao etc et de façon de plus en plus instinctive, de telle manière que nous ne nous en rendons plus vraiment compte. Elle est bien loin l’époque du 8 bits, nous avons déjà fusionné avec les machines d’une certaine façon. Nous sommes d’une génération qui a vécue les gros chamboulements et révolutions technologiques de ces 30 dernières années et l’émergence de la musique « électronique » le Krautrock, la Techno, la New Wave, le Hip-Hop. Tout cela fait donc partie intégrante de nous, et c’est très naturel tout comme les mp3 et la 4g pour les plus jeunes.

Oui, nous adorons nos machines, plutôt désuètes pour le coup ; elles typent nos compositions et leurs apportent une certaine profondeur, nous nous efforçons d’ailleurs de les laisser faire leur job… pour autant, s’en servir est très fastidieux par rapport à des outils plus modernes.

Bien entendu, nous en avons un peu peur, peur de la panne, peur de l’accident de transport ou de la grosse plantade live, elles peuvent aussi être un peu capricieuse. C’est très stressant d’écrire une séquence en plein live mais très formateur. Elles nous ont vraiment ouvert les yeux sur un champ des possibles considérable, et nous ont permis d’adapter et de murir un système stable, fiable et analogique. Depuis nous nous servons de ce même système à l’enregistrement, ça nous permet des captations live de plusieurs bécanes à la fois dans un même groove et nous évite de composer devant un ordinateur. Nous ne nous sentons pas du tout aliénés mais très concentrés.

Voyez-vous une différence de nature entre machines et instruments classiques/organiques ?

De moins en moins dirons nous, nous nous sentons vraiment plus mélomanes qu’instrumentistes, techniquement parlant, donc jouer une note en la chantant, en tapant sur de la taule, sur une guitare ou au synthé est strictement pareil même si la sonorité diffère.

Votre musique est parfois mystérieuse, crépusculaire et tout à la fois dansante. Night Riders c’est peut-être à écouter la nuit sur des périphériques déserts, mais bien plus dans un club. Pour vous c’est fondamental de faire danser ? Ou vous voyez-vous à l’avenir faire des titres plus contemplatifs, loin de la fête et des remixes ?

Notre but n’est pas tant de faire bouger que de rendre notre musique addictive, nous travaillons beaucoup sur les répétitions et le rythme des mots, nos titres sont de plus en plus vicieux, et quand une personne nous dit que telle ou telle mélodie ou parole lui est restée deux jours dans la tête après une seule écoute, c’est un peu le plus beau compliment.

L’aspect « Dance » est très relatif, et je te défie de passer « Sombre Danse » au Social Club à 2h30 entre un Gesaffelstein et Get Lucky, je te promets que ça serait l’échec assuré. Je suis assez d’accord sur l’aspect mystérieux et vaporeux de notre musique, mais l’utilisation d’un kick sur tout les temps n’est pas pour autant synonyme de « fête ». Le clubbing est une culture très spéciale, d’autant plus en France. À nos début nous avons enchainé quelques clubs, Le Baron, le Social Club, Chez Moune… et à l’unanimité nous nous sommes rendu compte que notre musique n’était pas du tout adaptée a ce défouloir pour jeunes gens aisés qu’est le club.

Tu découvriras l’album par toi même, mais aucun titre ne se ressemble vraiment, l’unité se fait par l’atmosphère générale des thèmes abordés, et chaque titre prend le contre-pied du précédent. Notre dernier Ep Sombre Danse en est l’illustration, mise à part les remixes, les deux titres originaux sont à des années lumières l’un de l’autre, mais cohabitent grâce à une trame de fond. Enfin, « Future Noir » titre éponyme, est un instrumental « contemplatif », hommage au genre SF. Nous ne nous fixons aucunes limites.

Est-ce que la distinction synthèse numérique/synthèse analogique a un sens pour vous? Êtes-vous plus à exploiter les possibilités des derniers plugins ou rêvez-vous de produire vos sons sur des machines vintages légendaires mais quasi inaccessibles en raison de leur prix?

Oui beaucoup de sens, et la seconde option sans hésitation… Nous ne sommes vraiment pas anti plug-in ou pro analo, tout cela forme un ensemble indispensable. Il faut garder à l’esprit que tout le panel d’outils mis à la disposition d’un musicien à l’heure actuelle est impressionnant et que la mao a révolutionné la musique. À chacun d’orienter ses méthodes par rapport à ses envies, sa vision de l’esthétique ; pour notre part nous préférons utiliser de vrais instruments plutôt que leurs émulateurs.

Pour être franc, le hardware n’est pas si inabordable que ça, pas tout, tout du moins… il y a des modes, des périodes et des machines plus ou moins rares car produites à très peu d’exemplaires. Pour acquérir certains modèles, il faut parfois s’armer de patience, faire le geek, et avoir un peu de chance. Par exemple nous nous refusons d’acheter du matériel au dessus de l’argus, et quand l’argus est trop élevé, on attend encore 3 ans… sachant que nos synthétiseurs ne sont pas non plus de la marque Oberheim (Bras X2 + Jambes X3) mais surtout des Roland, Sequencial Circuit, Yamaha et autre Korg, soit ce qui se faisait de plus cheap à la grande époque des synthétiseurs.

Concernant le son vintage, tu n’es pas obligé d’acheter la légendaire ssl 4000 ou une grosse console Neve hors de prix pour avoir le son, il existe des produits très abordables et beaucoup plus modernes. Un Dave Smith, Malcolm Toft, Leo Fender, ou encore Roger Linn précurseurs et constructeurs, créent actuellement des modèles en utilisant leur savoir faire mythique, et proposent des produits neufs très abordables, stables et beaucoup plus polyvalents que leurs aînés. Alors certes, ça ne sonne pas comme un Thriller, mais quand ta musique se retrouve sur le net en version mp3 après s’être fait massacrée par un mastering beaucoup trop compressé, qui se rend compte de ton fabuleux mixe sur du matos vintage ?

Nous faisons vraiment la part des choses entre l’utilisation de l’analogique et du numérique. Les plug nous servent essentiellement pour avoir une lecture rapide de certains aspects. Tels que les taux de compression, les effets ou la stéréo, nous utilisons aussi un spectromètre numérique, essentiel quand on a les oreilles flingués, mais nous ne les utilisons en aucun cas pour imiter un rendu.

L’analogique nous sert à texturer correctement nos signaux électriques car l’impédance, les composants électriques, les dynamiques, les pré-amplification (les lampes), le magnétisme, les compressions, etc… sont les seuls outils capable de le faire, c’est d’autant plus flagrant dans la musique électronique ou quand tu as pour projet d’enregistrer une vraie batterie, un violon ou un cuivre…

Est-ce que la distinction rythmes digitaux/rythmes humains a un sens pour vous? Pensez-vous que le rythme doit être pensé et conçu en laboratoire comme n’importe quel objet industriel performant ou préférez-vous laisser un percussionniste humain composer malgré toutes les imperfections inhérentes à cette espèce ?

Nous sommes deux batteurs de formation et programmateurs au sein du groupe, je ne pourrai donc jamais te répondre qu’un rythme «qui groove » est une suite d’intervalles réguliers et égaux entre des temps fort dans une division prédéfinie. C’est bien connu : jouer au « fond du temps » assoit une rythmique et la dynamise, le résultat est souvent bien mieux que parfaitement sur le temps. Selon le choix du tempo d’un titre, le rythme a plus ou moins besoin d’être marqué et les accents, ghosts notes, la retenue et autres subtilités humaines sont inimitables.

Mais je pense que se sont deux outils très différents à exploiter selon le rendu, car si la machine ne peut imiter un groove humain, l’inverse est très difficile aussi. Pour en revenir a l’aspect « laboratoire » du rythme, il y a 30 ans, un Roland, un Linn ou un Akai ont beaucoup participé au concept de rythmes digitaux en développant un certain « groove » mécanique basé sur l’imperfection : volume et régularité des frappes aléatoire, des décalages (imperceptible) à la micro seconde etc…, la même logique s’est retrouvée dans bon nombre de séquenceurs de cette génération de machine, dont le cultissime TB303, ou le SH101. Le résultat : les classiques du début de la techno de Détroit à Chicago.

Etienne de Crecy ou Rebotini en France composent et jouent encore avec cette même méthode originale de séquençage et triggage 30 ans après ; l’un n’a jamais arrêté de l’utiliser et l’autre y est revenu après 10 ans d’ordinateur. Un album comme Someone gave me religion illustre bien le fait de revenir à l’origine pour proposer une vision très futuriste de la techno.

Niveaux groove on a jamais rien fait de mieux dans le genre, et surtout rien de comparable depuis l’ordinateur, de nos jours, quand tu quantises avec un enregistreur type Cubase ou Pro tools, le résultat est souvent très moche et très froid parce que perfection et musicalité ne font pas très bon ménage.

Le sample reste l’ultime alternative : une boucle est prédéfinie dans une certaine division et tempo préalablement choisie. Peu importe si ça ne tourne pas tout a fait, à chaque début de mesure le sample retombe sur ses pattes, et ça groove de façon humaine parce que c’est joué par un humain mais la rigidité des mesures est machinale. La French touch / filter house dans les années 1990 se sont énormément servis de cette technique en samplant du disco : Daft Punk entre autres, en ont fait leur marque de fabrique et ont forcément été influencés par les pionniers du genre, à savoir les début du Hip-Hop : Afrika Bambaataa, Grandmaster Flash, puis Run DMC, Public Enemy ou encore les Beastie Boys.

Après l’automatisation des sons et celle du rythme viendra un jour celle de la composition. Pensez-vous qu’en 2030 Night Riders sera une intelligence devenue indépendante capable de composer en quasi autonomie, ne collaborant plus qu’avec la chanteuse en raison des difficultés persistantes à synthétiser la voix humaine ? Cette perspective vous réjouit-elle ?

C’est très Future Noir comme perception de l’avenir, oui ça me plait beaucoup. De mon point de vue nous remontrons le temps pour créer du neuf et repartant de la meilleure base que l’on ai eu. Depuis 4/5 ans c’est « machine arrière toute » chez beaucoup de producteurs et constructeurs et ça va continuer je pense, pour proposer quelque chose de plus en plus qualitatif, une espèce d’offre prémium/discount adaptée à certain consommateurs, dont les plus jeunes. Je n’y croie pas trop au HAL 9000 de la composition ou au Skynet de l’écriture, mais soit, imaginons 2030 :

Le « Night Riders » analyse ses données, 1.Tempo, 0.Tonalité 1.Temps fort…

Après 4 mois de calcules intenses sur la base de nos personnalités névrosés et notre gout prononcé pour l’improvisation, en ressort un algorithme à peu prêt stable. Le Night Riders commence à « imiter » notre comportement… Il était temps, car depuis notre mort en stase durant notre voyage pour notre premier live sur Mars, il a dégoté un très gros contrat avec la nouvelle majeure : Sony-Suez-Sosh Music.

– « Le résultat est vraiment pas mal !» se réjouit Jean-Lou, DA d’une partie du catalogue SSS Music (Earth) ; il s’occupe, entre autres de l’entité Le Pink Floyd et Le Burning Spears.

– « Ça groove, ça joue, même bien mieux que le groupe… mais ça manque d’un peu de folie… », nouvelle valeur ajoutée de l’industrie musicale depuis la musique déshumanisé.

Néanmoins à défaut d’avoir l’original, Le Night Riders et SSS Music se feront un paquet de fric sur les nouveaux disques « un peut mou du cul », compilations « c’était mieux avant », et autre mp5 des défunts Night Riders.

Night Riders est mort, vive Le Night Riders.

Lire la première partie de l’interview

VOIR LA PAGE DE NIGHT RIDERS

</