Moloko Velocet


Il y a un deuxième EP en préparation ?

Adrien : En fait, on ne sait pas exactement quel format on veut sortir. On enregistre des nouveaux morceaux, au fur et à mesure. À un moment donné, quand on estimera qu’il y a assez de nouveaux morceaux, on sortira ce qui sera peut-être un EP, ou un mini-album, ou un album…

Comment se passent les enregistrements ?

Adrien : Quand on se voit, deux fois par semaine, on en profite pour enregistrer. Mais de façon moins intensive et…

Aurélien : …moins dangereuse pour la santé.

Adrien : Et aussi de façon plus réfléchie, parce que quand tu passes dix heures à enregistrer au milieu de la nuit… À la fin tu ne sais même plus si ce que tu fais est bien ou pas. Tu n’arrives plus à entendre.

Aurélien : Et puis cette fois, on part de morceaux qui sont déjà bien rôdés en live.

Mary : Les enregistrements qu’on est en train de faire vont être beaucoup plus aboutis. Le nouvel EP nous ressemblera beaucoup plus.

Raphael : Parce que les nouvelles compositions sont peut-être plus…

Mary : … cohérentes. Je trouve que « Blind Horse », « Last Stand »… ça forme une suite logique. Pour moi, ça coule de source.

Aurélien : On a gagné en homogénéité à force de jouer ensemble.

Adrien : Et puis on a un son qui est plus caractéristique, plus personnel.

Justement, comment est-ce que tu qualifierais ce son ? Comment tu décrirais Moloko Velocet à quelqu’un qui ne connaîtrait pas ?

Aurélien : C’est un groupe qui répète dans une cave à Tourcoing !

Adrien : Des paysages sonores…

Mary : C’est « psyché » !

Il y avait une citation sur votre page myspace, qui parlait du « rôle ingrat » d’être « la relève du rock pyschédélique ». Vous êtes d’accord avec ça : c’est un rôle ingrat ?

Adrien : Bah, c’est ingrat de faire de la musique à Tourcoing…

Vous pensez être « la relève de la musique psychédélique » ?

Aurélien : Moi, je n’ai jamais écouté de musique psychédélique.

Pierre : Et puis qu’est-ce que vous appelez « rock psychédélique » ?

Pour toi, ça ne veut rien dire ?

Pierre : Si, ça voulait dire quelque chose dans les années 60, mais aujourd’hui ça ne veut plus rien dire du tout. Ce qu’on retire de la musique psychédélique des années 60, ce sont des outils qui sont réutilisables à loisir. Mais la musique psyychédélique, ça n’existe plus, c’est terminé.

De quels outils parles-tu ?

Pierre : Je ne sais pas… L’accélération ou le ralentissement du tempo, par exemple. Des trucs qui sonnent bizarre à l’oreille, qui donnent des impressions spécifiques. Le psychédélisme, c’est la tentative de retranscrire dans la musique ou dans les arts des délires qui sont propres à la drogue. Ce sont desdéformations — de l’espace, du temps…

Raphael : C’est une expérience sensorielle plus directe qu’il faut ré-intellectualiser en musique. C’est ça, le psychédélisme.

Adrien : Mais ce qui est intéressant, c’est de le faire version 2010.

Aurélien : Au final, on fait quand même des chansons avec des couplets et des refrains. On pourrait se dire : « je balance le looper, on lâche la reverb, le drone, le batteur va faire une jam de trois quarts d’heure… » Mais on n’est pas dans cette optique-là. Après, il est clair que l’écriture des morceaux, les thèmes abordés, le traitement du son, l’instrumentation… Tout ça fait forcément référence à des trucs qui appartiennent à cette mouvance des années 60 et 70, et même 80 et 90 (tous ces groupes shoegaze…).

Pierre : Par exemple, dire que le Brian Jonestown Massacre fait du rock psychédélique… Sur certains morceaux, OK, mais de façon générale non !

Aurélien : C’est surtout un bon groupe, avec un mec qui a envie de faire plein de trucs. Ils peuvent te faire un album qui ressemblent à du Suicide, ou sortir une jam de dub en single…

Donc pour toi, Pierre, vous ne vous situez pas dans un héritage particulier ?

Pierre : On essaie de faire de la musique vintage. Je pense.

Adrien : De la musique actuelle. Avec un héritage.

Pierre : Les guitares des années 60, on ne les a pas inventées, tu vois ? Les riffs sixties, on les a pas inventés non plus. Il y a un héritage qu’on doit assumer. C’est dur de l’assumer, mais il faut l’assumer.

C’est pour ça qu’on vous demandait si c’était ingrat.

Pierre : C’est peut-être ingrat, ouais.

Aurélien : C’est une situation très particulière. On est en 2010. On a bien soixante ans de rock’n’roll derrière nous. Donc soit tu pars dans de la musique atonale, spectrale, concrète, et alors bon courage. Ou bien tu pars de ce que tu as écouté, tu te bases là-dessus, tu vas chercher un peu autre chose… Quoi qu’il arrive, il y aura toujours un mec pour te dire : « mon voisin faisait la même chose il y a quinze ans. » Bon, dans le groupe, on a tous une base commune…

Vous écoutez tous la même chose ?

Pierre : Non, pas vraiment. On a une base commune, mais on écoute chacun des choses différentes.

La base commune, c’est quoi ?

Pierre : Les Beatles, le Velvet…

Adrien : Les Nuggets !

Aurélien : Après, individuellement…

Pierre : Moi j’ai écouté du metal, j’ai écouté Slayer… même si je n’ai pas du tout intégré ça dans mon jeu.

Aurélien : Tu joues quand même les solos de guitare ! Moi j’écoute presque uniquement de la pop. C’est clair que quand je parle d’Elton John à Adrien, ça crée des frictions ! Je précise que je parle de l’Elton John des années 70 — qui est vraiment parfait.

Pierre : On doit vous dire que Raphaël nous étonne à chaque session ! Il switche d’une référence à l’autre, de Jack Johnson à Air…

Raphael, tu fais un peu de musique électronique de ton côté… Tu es le seul dans le groupe à avoir ce penchant-là ?

Raphael : Je sais pas. Chacun dans le groupe a sa particularité, et la mienne serait peut-être d’avoir été choqué par Air, par certains albums de Pink Floyd, ou pas la musique expérimentale électronique… C’est ce qui m’a amené à utiliser les instruments que j’utilise.

Aurélien : Tu fais de la musique électronique, mais tu utilises quand même des vieux synthés analogiques…

Raphael : Oui, parce que c’est une matière qui est plus sensuelle dans l’interface. Avec les synthés analogiques, tu as des boutons, tu crées ton son petit à petit, tu testes… Tu es surpris, parce que ce sont des machines qui ne sont pas constantes dans le temps, elles ont des composants peu fiables. Tout ça amène à avoir une vision un peu romantique du son. C’est ce qui m’a intéressé. Mais puisque j’ai moi aussi écouté les Nuggets, j’ai pu intégrer ces deux aspects quand j’ai rejoint Moloko Velocet : donc je joue ce genre de musique avec des instruments qui, à la base, ne sont pas faits pour.

Pierre : D’ailleurs, on peut écouter les productions personnelles de Raph sur son myspace. Je le dis parce qu’il n’en aurait pas parlé de lui-même !

Tu parlais de sensualité, Raph. Les vieux synthès, les vieilles guitares… De façon générale, je trouve qu’il y a dans votre musique ce rapport intime aux sens…

Pierre : Oui, et il y a aussi un certain rapport au temps… Un élément de nostalgie sous-jacente, qui n’est pas négligeable à mon avis.

Adrien : Non !

Raphael : Tu es nostalgique de quand ?

Pierre : Nostalgique de certaines utopies. (Je ne parle pas de communisme.) De certaines façons de penser.

Aurélien : Tu aurais aimé te mettre à poil dans les champs ?

Pierre : Non, peut-être pas. Mais il y a une époque où tout était encore possible… Bref, je pense que dans notre son, il y a un certain rapport au temps.

Aurélien : Je crois que c’est quelque chose qu’on retrouve dans plein de groupes : cet espèce d’amalgame (plus ou moins atypique) de différents genres de musique. Tout le monde s’est servi d’eMule. Tu as 16 ans, tu écoutes les Beatles, Nirvana, de la techno, du metal, les Nuggets… et tu te prends vraiment tout ça dans la gueule ! Après, chacun recrache ce qu’il a assimilé d’une façon différente. On n’est peut-être plus à un stade où il est possible d’inventer. Le garage, ça a déjà été fait, le psychédélisme expérimental aussi, les sons froids (type années 80) aussi, le grunge, etc. Donc on est beaucoup plus dans la ré-interprétation, dans le ré-emboîtage.

Adrien : Disons que la musique à guitares, on en a fait le tour !

Tu penses ?

Aurélien : Il y aura toujours des mecs pour t’inventer de nouvelles techniques de tapping…

Adrien : Même ça, ça a été fait ! Ce qui est intéressant, c’est la façon dont on interprète tout l’héritage. Je préfères parler d’héritage que de nostalgie !

Aurélien : On n’est pas une bande de guitar heroes qui bossent des plans de Satriani et de Gary Moore dans leur chambre ! On essaie d’écrire de bonnes chansons, et on a une identité, un son qui se dégage au fur et à mesure.

À ce propos, est-ce que vous avez une vision de ce que vous pourriez devenir, collectivement ?

Mary : Riches ! (rires)

Adrien : Non, je pense qu’on ne sera jamais riches et célèbres grâce à ce groupe ! L’important, c’est surtout d’apprécier ce qu’on fait.

Aurélien : Je pense aussi que, d’un point de vue artistique, les bases du projet ont été bien posées depuis le début. On s’est dit : « voilà ce qu’on va faire comme musique. » On est en train de découvrir notre potentiel.

Pierre : On a un répertoire de douze chansons ! Pourquoi se poser ce genre de question ?

Adrien, est-ce qu’il y a des leçons que tu tires de ton expérience avec Osni, qui est un groupe plus « gros », plus connu ?

Adrien : Ouais ! Les musiciens d’Osni ont plus d’expérience, plus de bouteille. Ils ont fait des tas de tournées, ils ont tout vu. C’est vraiment enrichissant.

Aurélien : Faire de la musique avec d’autres gens, c’est forcément différent à chaque fois. Ca, c’est un truc vraiment incroyable. Les ambiances de répét’ dépendent totalement des personnes qui font partie du projet.

Adrien : Avec Osni, en l’occurence, c’est plus pro. On est concentré pendant trois heures, on est plus efficace. Ici, avec Moloko, c’est plus relax !

Vous estimez que ça marche bien pour vous, en ce moment ?

Aurélien : Oui, carrément ! Par rapport au temps de vie du groupe, je trouve qu’on fait pas mal de concerts dans des bons endroits, on a eu pas mal d’opportunités. On a joué pas mal de fois à Paris. Pas tant que ça à Lille… Tourner sans arrêt dans tous les rades de la ville, ça peut être formateur. Mais puisqu’on avait déjà de l’expérience avant Moloko, on n’avait pas forcément besoin de se rôder en faisant cinquante concerts dans des conditions merdiques.

Adrien : On a un peu brûlé cette étape. On a aussi eu l’occasion de faire une mini-tournée en janvier au Danemark et en Allemagne. Ca a été lancé par une amie qui est venue nous voir un jour à Paris, et qui nous a dit à la fin du concert : « c’est super ce que vous faites, je vais vous trouver des plans ! » Bon, des gens qui disent ça, t’en as cinq à la fin de chaque concert ! Mais il se trouve qu’elle nous a booké une date à Berlin, et qu’elle nous a filé un contact qui était motivé pour nous faire jouer à Coppenhaghe sur la même période. Du coup, je me suis démerdé pour trouver deux autres dates, et on a joué quatre soirs de suite, histoire de rentabiliser.

Et le public était comment ?

Mary : Très jeune.

Aurélien : Très cool. On a vraiment halluciné…

Mary : La gentillesse des gens !

Aurélien : Déjà, on était à chaque fois acceuilli comme des princes. Tu fais ta balance, les mecs viennent t’apporter une caisse de boissons, te demandent si tu n’as pas faim… On a dormi chez un mec. Il s’est même pas levé le matin pour vérifier qu’on ne se barrait pas avec sa télé ! Le lendemain, un mec nous accueille tous ensemble dans sa colloc de huit personnes, il part le matin pour bosser, il fait gaffe à rien, il nous dit juste « bon, vous claquez la porte en partant ! »

Adrien : C’est-à-dire que moi, pour trouver les dates, j’ai vendu du rêve ! (rires)

Aurélien : Ah ouais ?

Adrien : Ouais, je nous ai décrit comme le truc à faire venir chez vous ! Sinon ça ne marche pas !

Aurélien : J’ai vraiment halluciné à Aalborg en voyant ce groupe de meufs…

Mary : Oui, Underlegur !

Aurélien : Ils avaient 17 ans. Voir ces gens qui faisaient une musique expérimentale aussi aboutie, aussi mûre… C’était plein de bonnes idées, ça chantait trop bien !

Adrien : Au Danemark, ils ont des programmes au lycée qui donnent la possibilité de faire des tournées tout en continuant à aller en cours…

Interview par Nico Calibre et Nicolas Fait


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