MileStone


Est-ce que le groupe a des rituels ? Pour commencer, les rituels de répét ?

(En choeur) : Le café !

Philippe : En général, à un moment donné, il y en a un qui dit : « y’en a mare, je vais y aller ». À ce moment là je réponds que je vais prendre un dernier café ! (rires) On a une notion très particulière de la rentabilité du temps. Comme on a cet outil (le studio) à portée de main, j’aime qu’on prenne notre temps.

Donc je suppose que les rituels de studio sont les mêmes ?

Matthieu : On est un peu long à l’allumage, mais une fois qu’on est lancé, ça va. On fait 6 ou 7 heures par jour, avec une pause au milieu pour déjeuner. Pas réellement de rituels dans le sens de « procédure ».

Philippe : On a un côté rituel, mais plus dans le sens… on a un côté croyance, on a notre vaudou. Avec Zorito par exemple. C’est notre dernier prêtre vaudou intronisé. On en a d’autres. On avait un chartrain qui s’est fait virer. Il commençait à nous faire peur. On a un mouton, le Maître Barnier. C’est lui qui protège. Il est en rapport avec tous les rubans en plastique, tous les scotches. Il fait aussi office de critique. S’il y a une très mauvaise prise, il se suicide. Mais il a la capacité de renaitre à chaque fois. Zorito est le vengeur masqué. Barbator, c’est un être un peu fantasmagorique : lorsqu’il voit une session de studio un peu en fragilité, en déperdition, il entre dans le studio et défonce la session à coups de reverse. C’est sa passion… Ces derniers temps, Barbator n’a pas eu que des succès, donc on se moque beaucoup de lui. Il a tenté 2-3 reverse pas très efficaces. On a PH (Patrick Henry). C’est notre ballon qu’on emmène partout avec nous. Il est recouvert de feutrine…

Léonce : Tu tires dedans, il part dans une direction aléatoire.

Philippe : On a des petits personnages sur nos instruments aussi.

Matthieu : Le mien est assez vilain, je l’ai gagné pendant une fête foraine, à coup de fléchettes. Du coup, il a une histoire.

Philippe : Moi j’ai un chat qui chasse les souris. Il a une souris entre les pattes. Il est collé en haut de mon ampli, sous la poignée.

Mais ce sont… des peluches ?

(En choeur) : Oui, des peluches !

Philippe : Et là, maintenant, tout le monde sait que nous sommes super puériles. (rires) Le masque tombe. Pour aller jusqu’au bout, puisque nous sommes ridicules, Léonce a un chat noir qui fait de la randonnée. C’est un chat Saint-Bernard, qui a une super gourde, plus grosse que lui.

Mathieu : Moi j’ai un truc jaune fluo affreux. Je ne sais même pas pourquoi. Il est là, il fait partie de la famille.

Philippe : Notre côté rituel, il est plus là-dedans. Plein de petits personnages. Et Zorito, le dernier venu, vole en hurlant.

Léonce : C’est un singe qui a une cape.

Philippe : Plus sérieusement, on ne fait pas de la musique juste pour faire « poum tchak ». Je pense que chacun l’exprime à sa manière et chacun le vit comme il veut, mais on a quelque chose de profond, une espèce de foi dans ce qu’on fait, et on veut essayer de faire quelque chose qui nous transporte. C’est de l’ordre du mystique, du quasi religieux. On se sert de la musique comme d’un outil pour aller quelque part. Le concept de transcendance est très important pour nous. Personnellement, je crois en Dieu. C’est important pour moi. Je n’aime pas la messe ; ma manière de vivre ma foi c’est de faire cette musique.

C’est sans doute un peu tôt pour vous demander quels sont vos rituels de concerts, puisque vous n’avez joué qu’une seule fois à quatre.

Pierre : Il ne peut pas y avoir de rituel, parce que pendant les balances, on a tellement peu de temps ! (rires) On a trois milliards de trucs à faire.

Léonce : Quand on commence les balances, la concentration l’emporte.

Philippe : Après, on se réconforte un peu sur scène… On est assez tactiles quand même. Avant de jouer on se prend beaucoup dans les bras. Notre rituel, il est là. On se motive mutuellement.

Matthieu : On se trouve une petite bulle.

Philippe : Certains vont plus loin… certains se touchent plus que d’autres.

(rires)

Pierre : La cohésion basse/batterie est très importante. On les appelle « super basse-batt ».

MILESTONE18_LD« Tactiles »

« Super basse-batt » ?

Philippe : Avant de faire les concerts on a l’habitude de se prendre dans les bras pour s’encourager. Et à Nantes, au moment de se faire un hug, Matthieu et Léonce se sont embrassés sans le faire exprès, en mettant la tête du même côté…

Léonce : Du coup, depuis, on cherche un nouveau concert…

Parlons du groupe aujourd’hui. Vous avez un EP sorti il y a deux ans. Vous en jouez encore des morceaux ?

Philippe : En partie, oui.

Ils ont été modifiés avec la formation actuelle ?

Philippe : Oui, un petit peu. Un morceau surtout, « Comes As You Are ».

Matthieu : On était moins en phase avec le morceau. Du coup on l’a réarrangé, et ils nous plaît beaucoup maintenant.

Philippe : Matthieu aime bien cette chanson. Il avait envie qu’on la joue. Moi, je ne voulais plus la jouer parce que je la trouvais trop cliché. Donc on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose.

Matthieu : Mais ça a été vite finalement. Quelques heures et c’était fait.

Vous êtes en train d’enregistrer un deuxième EP. Vous avez commencé avant l’arrivée de Pierre ?

Pierre : Oui, ça a commencé un peu avant que j’arrive.

Philippe : On va mettre quelques morceaux qu’on a faits avant d’être avec Pierre. C’est histoire de les mettre sur un disque, sinon ils ne termineront nulle part. En fait, entre notre premier EP et celui qui va bientôt sortir, on a enregistré un pseudo-disque. On ne l’a jamais sorti parce que l’équipe a périclité, nos partenariats ont volé en éclats… En plus on n’était pas content de ce qu’on avait fait — ce qui était d’ailleurs l’objet du litige entre nous. Avec ce deuxième EP, c’est l’occasion de sortir quelques titres de ce « disque ». On ressort quelques vieilles sessions, sur lesquelles Pierre rajoute parfois juste une guitare. C’est ce qu’on a fait hier : on a pris un vieux morceau et Pierre y a refait une partie de guitare, histoire de poser son petit coup de pinceau !

MILESTONE07_LD« Histoire de poser son petit coup de pinceau ! »

Et il y a aussi de nouveaux morceaux ?

Philippe : Euh… ouais. Et puis même les anciens sont des morceaux qu’on ne jouait pas en concert jusqu’ici. Donc quelque part ils vont devenir des nouveaux morceaux quand on les jouera sur scène.

Je trouve que votre artwork est vraiment bien. C’est l’un de vous qui s’en occupe ?

Léonce : Oui. Bon, c’est un truc qu’on développe aussi tous ensemble. Ce sont des idées qui tournent, on discute beaucoup, chacun met son grain de sel. Je peux être à l’origine du truc, mais l’idée peut aussi venir de Philippe…

Philippe : Léonce et moi, on bosse beaucoup l’aspect créatif. Ensuite, Léonce prend vraiment en charge la réalisation technique.

Donc en gros, si je comprends bien…

Matthieu : On est totalement autonome ! (rires)

Voilà ! Vous écrivez tous les morceaux, vous produisez, vous mixez, vous faites votre artwork… !

Léonce : La transcendance !

Il n’y a rien que vous déléguez ?

Philippe : Bah, on cherche des partenaires !

(rires)

Léonce : Pour tout l’aspect créatif et artistique, on a du mal à déléguer.

Philippe : Pour nous, c’est important de maîtriser tout ça.

Léonce : Philippe, qui écrit tous les morceaux, a aussi des envies en termes de graphisme. Donc on en parle…

Philippe : On fait des photos… Tous ensemble, on creuse un peu dans tout ces domaines qui entourent la musique : l’art graphique, le visuel… On le fait ensemble, parce qu’on considère que tout ça fait partie de la même salade, de la même tambouille.

Pierre : Parce qu’on aime faire ça, aussi.

Philippe : Moi, j’avais pas envie qu’un mec de l’extérieur nous colle des visuels qui ne nous ressemblent pas.

Pierre : Ce côté là, je trouve bien qu’on le prenne en charge. Ce qu’on aimerait déléguer, c’est tout ce qui est recherche de dates — toutes ces démarches que, pour l’instant, on fait tout seuls.

Philippe : On aimerait bien trouver une maison de disque, un tourneur, un distributeur, un éditeur… Des gens qui prendraient le relai pour tout ce qui concerne l’extension de la musique. Mais pour ce qui est de la création elle-même, ce sont des choses qu’on a envie de maîtriser et de faire nous-mêmes. Sauf si, je sais pas, on fait une super rencontre demain, si on tombe sur un gars qui a des idées de réalisation musicale énormes. Dans ce cas là, je le laisserai bosser. Ou bien un graphiste…

Léonce : … un artiste fou…

Philippe : … qui ferait des collages ou des dessins de ouf, dont on pourrait se dire : « wah ! c’est ce qu’on cherche depuis longtemps ! »

Et pour la partie « extension de la musique », pour l’instant vous ne faites partie d’aucune structure ?

Philippe : Non. On a été dans une assoce qui s’occupait un peu de nous, qui nous bookait, qui nous a mis en contact avec des maisons de disque. Mais rien qui soit allé assez loin, ou qui nous ait suffisamment intéressé pour qu’on concrétise quelque chose. Donc pour le moment on cherche, mais on a envie de faire ça avec des partenaires vraiment sérieux et intéressants. Vu qu’on a cette capacité à être un peu autonome, on préfère avancer tout seul jusqu’à pouvoir faire un truc vraiment bien construit, plutôt que de signer un contrat avec le premier petit label qui se présente, sans que ça ne nous permette de véritablement nous développer. Ce n’est pas par prétention, mais juste par envie de bien faire les choses.

Et le fait que vous n’enregistriez pour l’instant que des EPs et pas d’album, c’est simplement parce que vous n’avez pas assez de morceaux, ou… ?

Philippe : Non. C’est dans la lignée de ce que je disais à l’instant. On fait ça à plein temps, on en fait notre vie, mais on veut attendre d’avoir un partenaire sérieux, solide, avec des vrais moyens, avant de sortir notre premier album. Je pense qu’on est tous contents d’être autonomes, mais on n’a pas la prétention d’être capables de faire notre carrière tout seuls. C’est un truc dont on n’a pas parlé ensemble, mais je crois qu’on attend d’avoir une vraie maison de disque pour sortir notre premier album. En attendant, on fait ce qu’on appelle des EPs…

Pierre : C’est plus facile pour nous de faire des EPs. On pourraitfaire un album, mais si c’est pour en presser et que ça reste dans nos tiroirs…

Philippe : Je ne suis pas attiré par l’idée d’un « premier album autoproduit ». Un EP, ça a un côté démo. C’est aussi une manière de se protéger d’erreurs de jeunesse ! « Oui, il y a ça et ça, mais ça n’est qu’un EP, ça n’est qu’une démo ! » On veut que ça ait de la gueule, quoi ! Donc le jour où MileStone sortira son premier album, on veut que ce soit… « pam ! » Un truc qui ait de la tronche, quoi ! (rires) On va pas non plus faire des duos avec Britney Spears, tu vois, ni faire la BO de High School Musical XII

(rires)

Léonce : On a conscience des limites liées au fait de tout faire comme ça, entre nous.

Pierre : Et puis il y a aussi une volonté stratégique de faire plein de EPs. Des petits machins à distribuer : « tiens, voilà le nouvel EP, il y a cinq titres… » Et puis un autre six mois après…

Philippe : Au-delà d’une discographie, ce sont des outils pour démarcher. Des petits snapshots de ce qu’on fait, tous les six mois ou tous les ans… (Bon, en l’occurrence ça va faire plus de deux ans, à cause des changements d’équipes…) Voilà, ce sont des petites cacahuètes qui nous permettent d’aller plus loin. Quelque part, on ne se considère pas encore « lancés » parce qu’on ne tourne pas encore… On continue de faire des choses de façon ponctuelle. On a encore besoin de construire notre petite maison avant de se dire : « ça y est, on existe, on est des professionnels… » Comme on n’y est pas, on y va petit à petit.

MILESTONE05_LD« Comme on n’y est pas, on y va petit à petit »

J’ai une dernière question, que je pose habituellement : pourquoi le choix de l’anglais pour le chant ?

Philippe : Parce que c’est notre culture. Un peu moins pour Léonce… Je crois que si Léonce avait été chanteur, peut-être qu’on aurait fait un autre choix…

Léonce : On en a pas mal discuté au début, parce que c’est une question…

Philippe : On nous pose toujours cette question là ! Je pense que c’est une question imparable pour tous les groupes français qui chantent en anglais.

Les réponses divergent… C’est souvent intéressant.

Philippe : Moi, c’est assez simple : je ne sais pas chanter en français. Je n’ai pas la culture, je n’ai pas la technique. Pour moi le français ça se parle. Je ne dis pas que ça ne se chante pas, parce que certains le font très bien. J’adore Bertrand Cantat, et pas mal d’artistes que Léonce écoute. J’aime plutôt les anciens, parce que j’ai un peu de mal avec les Cali, Bénabar et tout ça… Mais ça n’est vraiment pas ma culture. Je n’ai écouté que des trucs anglais. J’ai grandi avec les Doors, avec les Beatles, donc quand je prends une guitare c’est tout de suite en anglais.

Léonce : Et puis, écrire en français, ça demande tellement de travail… C’est une foutue langue à mettre en musique.

Philippe : C’est une conception. Ça ne s’improvise pas. Ça prend racine loin.

Pierre : Après, c’est pas qu’on n’aime pas le français. Par exemple j’adore la poésie française. Je suis vraiment touché par cette langue. Mais il y a de telles exigences, parce qu’on a justement de telles références…

Philippe : La langue française permet de faire une musique avant tout basée sur l’écriture des mots, donc sur le sens du texte. À côté de ça, la musique a pour ainsi dire une moindre importance. Elle accompagne, elle sert le texte. C’est comme un petit écrin pour un poème. Alors que, dans la musique anglo-saxonne, la voix et les paroles sont considérées comme un instrument à part entière. D’ailleurs, dans un mix à l’anglaise, la voix est rentrée dans la musique, comme si elle était un instrument. En France, on met toujours les voix beaucoup plus fort : le texte vient en premier. Même si ça chante, en fait le mec te parle, il te raconte une histoire. Et donc ça n’est pas la même musique. Ce ne sont pas les mêmes codes non plus. J’ai du mal avec les gens qui font de la chanson française avec de la musique anglo-saxonne derrière. Je trouve que c’est souvent raté. Noir Désir y arrive. SurDes Visages, Des Figues, c’est une prod à l’anglaise, qui déboîte — mais c’est hyper rare que ça marche. Sinon c’est Calogero. Calogero, c’est l’horreur. Il prend des trucs à la Coldplay, mais avec du texte en français par dessus, qui vaut ce qu’il vaut — y’a pire — mais c’est pas intéressant. Nous on fait de la pop, donc ça ne se prête pas à ce genre d’approche dans l’écriture.

Pages : 1 2 3 4

</