Lilt


En revanche, peut-on dire que Lilt est et restera un duo ? C’est une part de votre identité ?

Aude : On a plusieurs fois essayé de jouer avec d’autres personnes. On se demandait si ce qu’on faisait, ce n’était pas un peu trop simple, un peu trop nu.

Camille : Mais comme les chansons étaient écrites au préalable, c’était très compliqué pour les musiciens de se trouver une place, et pour nous de leur en faire une.

Aude : Même si nos compos sont minimalistes, il y a plein d’harmonies vocales qui font que tu ne peux pas surcharger, ça ne marche pas. On a mis un peu de temps à le comprendre ! Mais on aimerait quand même travailler avec d’autres musiciens. Comme on fonctionne beaucoup à deux, ce n’était pas facile de changer de fonctionnement. On faisait un peu bloc. On a une manière de travailler qui est fort personnelle.

Qu’est ce qui peut être déroutant dans votre façon de travailler ?

Camille : On est extrêmement communistes ! Je ne sais pas comment on peut dire ça, mais on discute de tout. Il faut qu’on soit à cent pour cent d’accord sur tout. Pour nous, c’est très important. Si on tente ça avec d’autres personnes, elles peuvent avoir l’impression que tu es chiant, ou pinailleur, alors que tu essayes simplement de discuter jusqu’à ce que tout le monde soit vraiment d’accord.

Aude : Et en plus, on se repère de manière particulière dans la chanson. On n’a pas de partition, on ne dit pas “à la sixième mesure”. On dit : “tu vois, dans ton toutotuuum ?” (rires) On a notre langage musical à nous ! Ce n’est pas évident pour communiquer.

Camille : Le fait de ne pas avoir de formation musicale, de ne pas réfléchir dans ces termes-là, fait qu’on a des structures, et même des rythmes, assez bizarres. Ca ne pourrait pas être couplet/refrain/couplet/refrain/pont. C’est plutôt : couplet/couplet de Aude qui reprend ce que Camille a fait et qui dérive vers un refrain, qu’ensuite Camille va reprendre, ensuite petit machin à la guitare qui sert à rien mais qu’on aime bien quand même… puis refrain qui reprend les paroles du couplet avec l’air de l’autre truc. C’est vraiment comme ça ! Donc quand tu essaies d’en parler à quelqu’un d’extérieur, ça donne : « est-ce que tu vois le deuxième refrain où je reprends les paroles de Aude ?  » « Quoi !?  » (rires) Pour ça aussi, c’était compliqué.

Donc tu ne regrettes pas de ne pas avoir suivi de façon sérieuse les cours de ton prof de jazz ? Est-ce que tu es contente, en d’autres termes, de ne pas avoir de formation musicale académique, ou est-ce que tu le regrettes ?

Camille : Ni l’un ni l’autre, ce n’est pas aussi réfléchi que ça. Ça ne m’allait pas à ce moment-là, et dans cette forme-là. Mais hier soir on a vu des mecs qui jouaient super bien de la guitare, ça m’a beaucoup complexée, donc j’ai pris la ferme résolution de prendre des cours de guitare ! Je pense que, maintenant, ça ne pourrait que nous apporter.

Aude : Maintenant, oui, parce qu’on y a aussi réfléchi, et on sait ce qu’on veut.

Camille : On ne peut pas savoir comment ça aurait été si on avait eu cette formation. Mais maintenant, on sait ce qu’on veut. Par exemple, les premières fois qu’on a bossé avec des ingés son, ils nous ont dit qu’on ne pouvait pas faire les choses comme on les faisait. Et on a mis longtemps à comprendre que si, en fait, on pouvait ! Qu’il fallait qu’on trouve une manière.

Aude : Pour d’autres musiciens, ou pour un ingé son, ce n’était pas carré. Et en plus notre musique est assez minimaliste, assez simple. Maintenant on assume vraiment ça, mais au début, on a vraiment cherché, on se demandait s’il fallait qu’on rajoute d’autres instruments. On nous a dit : « Là, ça ne va pas, le rythme de la chanson fluctue trop, et en plus c’est vraiment super simple, ce que vous faites ». On s’est demandé s’il ne fallait pas qu’on change ça, qu’on travaille là-dessus pour faire des chansons bien carrées, pourquoi pas avec une basse et une batterie…

Camille : Pour l’enregistrement qu’on vient de faire, il y a un mois, on a beaucoup, beaucoup réfléchi pour les tempos… Avec une conclusion du genre : « on joue toute cette partie là à un tempo un peu lent, ensuite on accélère un peu sur ce passage là, un peu plus sur celui là, on revient un peu plus lentement là, et on va très vite à la fin ! »

Aude : Et on a pu faire ça au clic !

Camille : Et pour nous c’est logique, parce que la chanson est vraiment écrite comme ça. On était vraiment contentes de trouver comment Lilt pouvait garder ses chansons intactes tout en rentrant dans la case du studio.

Aude : Et de pouvoir les jouer au métronome sans problème !

Camille : C’est vraiment comme ça qu’on fonctionne, on fait la chanson d’abord, et après on y réfléchit. Comme tu fais le bébé d’abord, et après tu le regardes !

Aude : Mais là, on a quand même fait le chemin qui nous permet d’assumer ça. On sait que c’est vraiment ça qu’on veut. C’est pour ça que si maintenant on avait une formation musicale un peu plus sérieuse, on n’y perdrait rien. Parce qu’on sait qu’il y a des choses qui ne sont pas académiques, qui ne sont pas classiques, qu’on va nous dire de ne pas faire, mais qu’on aime bien ! Il y en a qui font le chemin à l’envers, pour créer. Nous on le fait dans ce sens-là.

Qui est-ce qui compose le plus ?

Camille : C’est vraiment nous deux. Mais souvent c’est Aude qui dit [elle prend une voix aigüe] : « Eh, on fait une nouvelle chanson ? « 

Aude : Camille essaye des trucs, jusqu’à que je dise : « ça c’était bien !  » Et là on s’y met.

Camille : Presque tout le temps, chacune chante ce qu’elle a composé, mélodie et paroles. Parfois ça arrive qu’on reprenne les parties l’une de l’autre pour que ça se cale mieux ; ou on aime bien aussi reprendre la mélodie ou les paroles de l’autre pour que ça se mélange vraiment… Mais sinon on chante ce qu’on a composé. C’est bizarre comme fonctionnement ? Un peu ? Je ne sais pas.

Je ne sais pas.

Camille : C’est comme ça.

Comment est-ce que vous gérez, ou que vous ne gérez pas, le fait d’être à deux, d’être un peu statiques sur scène ?

Aude : On ne gère pas trop !

Camille : C’est vraiment une question qu’on se pose en ce moment. On aimerait bien intégrer plus d’éléments sur scène. Il faut qu’on trouve une manière Liltienne de le faire.

Des objets ?

Camille : On va y réfléchir beaucoup ensemble. Mais par exemple on fait déjà des “Projets Pyjama” pendant lesquels on transforme la scène en chambre et la salle en matelas géant. Le public doit venir au concert en pyjama et on leur joue des berceuses. Une fois, on a projeté une vidéo réalisée par une amie, qui s’appelle Tamaris Borelly. Elle avait filmé une forêt de cire, de bois et de coton en train de brûler et de fondre lentement, pendant des heures, c’était très poétique. On ne l’a jamais fait, mais on a aussi pensé à faire venir des gens qui danseraient sur scène, ou qui installeraient un décor.

Pas de grande annonce exclusive, alors ?

Camille : La grande annonce c’est déjà qu’on s’en occupe !(rires)

Aude : Oui, on va peut-être faire quelque chose ! Mais c’est vrai que sans ça, c’est statique. Moi, je ne fais même pas de gestes avec les mains quand je chante, et je n’ai pas envie de faire semblant de faire des gestes avec les mains.

Qu’est ce que tu fais ?

Aude : Rien ! Je garde mes mains dans le dos. (rires) Ou sur le micro.

Assise ?

Aude : Debout ! Au début on chantait plutôt allongées.

Camille : Avachies dans des canapés.

Il y a un épisode des Simpson où Homer découvre qu’il a une voix incroyable quand il chante allongé. Debout, il chante comme un pied, mais allongé, il a une incroyable voix de ténor, alors il va faire des opéras allongé.

Camille : Mais c’est génial ! C’est exactement le genre de truc qu’on pourrait faire ! Si on trouvait qu’on chantait vraiment mieux allongées, on trouverait une solution pour chanter sur scène allongées. Le Projet Pyjama, par exemple, tu sais comment c’est venu ? Je sais plus qui m’a dit que ce qu’on faisait, c’était trop lent. Ça m’a énervée, je me suis dit, faisons tout un truc pour s’endormir, à la fois une performance et une installation. Comme on répétait toujours dans des pieux, ça nous était naturel.

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