Lilt


Alors, Camille, qu’est ce que ça fait de passer de l’autre côté du micro ?

Camille Hardouin : Ca fait peur ! Je comprends mieux les tics de visage des gens qu’on a interviewés…

Aude W. : C’est VRAI ?

Camille : Mais non !

Camille, tu faisais déjà de la chanson avant Lilt. Qu’est ce qui t’a amenée à chanter ?

Camille : Ma mère a ramené une guitare d’une vente aux enchères. J’ai pris des cours avec un prof qui essayait de m’apprendre le jazz, ça ne marchait pas du tout.

Tu étais allergique au jazz, ou au prof ?

Camille : J’étais allergique à la notion d’effort, je crois. Le solfège, tout ça… Le jour où j’ai voulu lui annoncer que j’arrêtais, il m’a dit qu’il y avait une autre prof qui arrivait, une espèce de hippie. Alors j’ai persévéré avec la guitare. Ensuite j’ai commencé à improviser des petites chansons, à jouer dans les fêtes, près du feu. Et après un pari, j’ai commencé à jouer dans le groupe de rock du lycée.

Tu as chanté dans un groupe de rock !? Ça s’appelait comment ?

Camille : Ouais, un groupe de rock de lycée, quoi. J’ai massacré quelques trucs… Ça s’appelait Frénésie.

(rires)

Camille : C’est moi qui avais trouvé le nom. Mais je l’assume ! Même si je mets des guillemets à « assume » !

Et tu écrivais déjà des morceaux pour Frénésie ?

Camille : J’ai écrit quelques chansons, en français. Les mecs composaient la musique. Pendant les concerts, on faisait souvent une petite pause acoustique, et je faisais une chanson toute seule avec ma guitare.

Tu te sers encore de ce que tu composais à l’époque ?

Camille : Ça arrive que des copains me le re-demandent. Pour moi, ce sont vraiment des chansons d’ado, donc je les joue plus.

Aude : Mais c’était des bonnes chansons d’ado ! Chante, chante !

Camille : Non, je peux pas faire ça !

Aude : Il y en avait des bonnes, c’était des tubes ! Ça marchait même à l’extérieur du lycée…

Vous étiez dans le même lycée ?

Aude : Oui.

Et tu étais allée les voir en concert ?

Aude : Pas avant qu’on se connaisse. Ah si ! A la salle polyvalente de l’hôpital ! (rires)

Camille : La salle polyvalente de l’hôpital ! C’était bien. J’espérais faire sortir des gens du coma en jouant leur reprise préférée ; ça n’a pas marché.

Aude : Il y avait quelques handicapés. Et principalement des lycéens… bourrés. Ils étaient bourrés sur le parking de l’hôpital, et ils faisaient des pogos à dix.

Camille : Après on a décidé de faire un truc plus ambitieux, on a décidé d’intégrer d’autres genres artistiques dans nos concerts, mais ça, il faut en parler avec Aude. La première fois qu’on s’est parlé, tu m’a dit que ce serait bien de mettre de la danse. C’est ça ?

Aude : Non, c’est toi qui as eu l’idée, et moi j’ai dit oui parce que je faisais de la danse.

Camille : On a fait un concert avec six danseuses…

Aude : On était une troupe, on avait même un nom : Laekka. Un nom islandais qui veut dire « la chute !  » On l’a trouvé dans un dictionnaire d’islandais, parce qu’on aimait bien Sigur Rös, Björk, et tout… (rires).

Camille : Et après ce premier concert accompagné par des danseuses, on a fait l’inverse. On a commencé par créer un spectacle de danse, sur lequel mon groupe a ajouté la musique. Donc le spotlight était sur la danse ! On discutait beaucoup du spectacle avec Aude, parce qu’on s’entendait bien et qu’elle avait des facultés créatrices intéressantes. (rires)

Aude : On faisait un peu le spectacle à deux, on l’écrivait. Camille faisait des chansons, et moi, en gros, je disais si je les trouvais bien, ou pas.

Donc Aude, tu étais la juge.

Aude : Un peu.

Sévère ?

Aude : Non. Mais quand je n’aimais pas, je disais gentiment qu’il faudrait peut être revoir certaines choses.

Camille : En voyant qu’on s’entendait bien pour ce spectacle, et que parallèlement, quand on improvisait des chansons pendant des soirées, Aude improvisait bien aussi pour faire des conneries, je me suis dit : « et si on le faisait, pas pour des conneries ! »

Vous improvisiez avec quoi ?

Camille : Bah une guitare ! Et puis toutes les deux avec la voix.

Aude : Ah non ! La première fois, on m’a mis une guitare dans les mains ! Tu ne te rappelles pas ?

Camille : Pas du tout.

Aude : Au lycée, j’ai pris des cours de guitare. Je ne suis pas allé très loin dans l’apprentissage, mais j’ai quand même joué sur une scène « Zombie » des Cranberries. La première fois donc, on m’a mis une guitare dans les mains. Mais c’était nul. Je n’arrivais pas à bien chanter et jouer en même temps, donc ce fut la seule et unique fois.

Camille : Dès la première fois qu’on a joué ensemble, ça bien marché. On a fait une chanson qu’on joue encore en concert, « Chocolate ». Je me suis dit : « C’est trop bien ! Je crois qu’on va jouer longtemps ensemble ! » J’étais très enthousiaste.

Tu l’as senti tout de suite ?

Camille : Oui ! [Elle roule les R :] « On va faiRRRe des gRRandes choses ensemble ! » Aude a cru qu’on allait seulement jouer dans une chambre, et être protégées, mais ça n’était pas vrai.

Aude : J’étais contente de le faire, mais je ne me disais pas qu’on jouerait un jour devant un public. Enfin, ce genre de choses que tu as besoin de te dire pour faire de la musique à mon avis, un petit peu.

Mais toi tu avais envie de jouer devant des gens, dans l’absolu ?

Aude : Non ! J’avais envie de jouer, mais pas devant des gens. Il y a encore un an et demi, j’avais envie de faire plein de chansons, je voulais bien les enregistrer à la limite, mais pas les jouer en public.

Quand même, secrètement, quand tu étais devant ton miroir, est-ce que tu prenais ta brosse à cheveux en t’imaginant sur scène ?

Aude : Euh. Oui, quand j’étais petite je voulais faire chanteuse, danseuse, patineuse artistique, et mannequine. (rires) Donc forcément, oui, au fond de moi.

Et tu as fini par le faire. Que s’est-il passé ?

Camille : Je lui ai tendu un piège ! Depuis le début, je savais que c’était comme ça, qu’Aude était un peu plus timide… Ça m’énervait parce que moi, j’avais envie de faire des concerts, et que dès notre deuxième répét’ je trouvais qu’on était prêtes, tu vois ! (rires) Bon, au début, ce n’était pas un projet très sérieux, on s’est vues par intermittence, on n’était pas dans le même pays, tout ça… Mais quand on s’est installées toutes les deux à Paris, j’ai décidé qu’on allait faire un concert. Aude ne voulait pas trop. Du coup j’ai organisé un concert pour moi toute seule, avec des invités. Et parmi les invités, il y avait Aude. On a joué trois ou quatre chansons. Ça s’est bien passé, et Aude n’avait plus peur. Et même maintenant elle a un peu envie ! (rires)

Cette première fois, tu en gardes quel souvenir ?

Aude : En fait, j’avais surtout peur de, comment dire… Tu vois les gens qui font « La Nouvelle Star », qui chantent très mal, et qui sont persuadés que c’est cool ?

(rires)

Aude : Ils arrivent, et ils se prennent une honte phénoménale, moi j’avais trop peur que ce soit ça ! A mes oreilles, quand je chantais, ce n’était pas si mal, mais je ne savais pas ce que les autres allaient en penser. Je n’avais pas envie que les autres me cassent complètement mon trip, parce que j’étais contente de chanter. Je n’avais pas envie de chanter devant des gens, et qu’ils se moquent de moi.

Camille : Ou qu’ils te jettent des trucs.

Aude : Et puis les filles qui chantent, je les trouvais souvent un peu… [Elle prend une voix de Poseuse :] « Oui… Je chante…  » Ça m’énervait. J’ai du mal à assumer.

Encore maintenant ?

Aude : Un petit peu, ouais. Surtout si on me dit : « Et tu joue aussi d’un instrument dans le groupe ? » « Non, non, je ne fais que chanter ».

Tu te sentirais plus légitime si tu avais un autre instrument ?

Aude : Oui ! Je joue du piano, mais je n’aime pas jouer et chanter en même temps.

Camille : Mais ça va venir, ça.

Aude : Non, je crois vraiment que je n’ai pas envie. Enfin…

Comme tu n’avais pas envie de monter sur scène ?

Aude : Voilà, c’est peut-être ça.

Camille : Dans un an ou deux.

Aude : Avec beaucoup d’efforts… de la part de Camille.

Camille, tu lui as tendu un piège, mais de ton côté, tu avais déjà l’habitude ?

Camille : Pas tant que ça. Mais j’aime vraiment bien la scène, j’aime bien les gens, j’aime bien chanter pour des gens ! Je trouve que c’est très naturel, quand on fait des chansons, de les « adresser », je trouve que quand tu fais des chansons tu les adresses un peu imaginairement. Mais Aude fonctionne différemment là-dessus.

Aude : Je pense qu’il y a différentes manières de composer. Certains musiciens, quand ils écrivent des chansons, pensent vraiment à ce que ça va donner quand ils vont les jouer en concert, qu’est ce que ça va transmettre aux gens. Alors que pour Lilt, on est quand même parties d’un truc plus intimiste, plus perso.

Camille : Et puis on défend vraiment le fait de ne pas décider les choses en amont, de laisser la chanson venir comme elle vient. De ne pas essayer de faire un concept, ou de faire quelque chose pour que ça marche. De toute façon, ça n’aurait pas pu être autrement, parce que comme on compose tout à deux, on est toujours en train d’improviser des mélodies, et des paroles, et ça ne marche pas toujours du premier coup, évidemment. Alors on est obligées de ne pas se juger l’une l’autre pour que ça puisse marcher, il faut qu’on puisse se faire confiance. Au début, on aurait peut-être eu envie de se dire l’une à l’autre : « Ah mais non ! Pas comme ça ! »

Aude : Ah bon ? Moi non. Je ne te jugeais vraiment pas. J’étais pure.

Camille : Oui, ça m’est arrivé, sur les premières chansons, de me dire : « Ah tiens, ce passage-là de Aude, mouais… » Et au final, je me disais : « Ah putain, il est super ce passage, quand même ! » Donc pour ça on défend vraiment l’idée de ne pas travailler avec des concepts, de ne pas prendre de décisions.

Aude : En gros ce n’est pas un projet. Souvent les gens posent des questions sur les influences ou le projet, mais nous on a vraiment commencé dans une chambre, comme ça, sans projeter ce qu’on allait en faire après.

Donc vous ne vous interrogez pas sur l’identité de Lilt.

Camille : Maintenant si !

Aude : Maintenant on est obligées, on nous pose la question. L’identité qu’on défend, c’est à peu près ce que Camille vient de dire.

Camille : De la même manière, on défend aussi le fait que nos chansons pourraient être un peu n’importe quoi selon les arrangements. Une chanson, c’est une chanson. Maintenant on dit qu’on fait du folk, mais parce que les chansons sont dans arrangées pour une guitare et deux voix… bon bah c’est du folk. Ça pourrait être de l’electro, ou on pourrait en faire du rock.

Aude : Mais on ne sait pas le faire ! (rires) Comme je n’ai pas de genres musicaux de prédilection, je trouve que l’important c’est que les chansons soient bonnes. Donc on n’a pas de filiation folk, on n’est pas dans une chapelle d’un genre, quel qu’il soit. On fait juste les choses comme ça.

Camille : Et comme on aime aussi faire des blagues nulles, quand on va sur myspace et qu’ils nous demandent de définir notre genre, avec des propositions géniales comme « chansons populaires mélodramatiques », évidemment qu’on met ça !

Aude : Et il y a des gens qui le prennent au sérieux, et ça c’est formidable. (rires)

Camille : On aime bien quand ça arrive : “Vous faites donc de la pop coréenne, est ce que vous pouvez nous chanter de la pop coréenne ?” “Ouaaaais…” .

Aude : Parce que les genres musicaux, c’est une grosse blague en fait. Ce sont des catégories.

Ce ne sont pas seulement des étiquettes…

Aude : Disons que ça sert à se repérer. Mais en soit, ça ne veut pas dire grand chose. On n’a pas décidé de faire du folk, ça ne correspond à rien pour nous, ce n’est pas une identité ou quelque-chose qu’on veut transmettre. On fait juste des chansons avec une guitare et deux voix.

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