La Féline


Quel est votre passage préféré du film La Féline ?

Agnès : La scène de la piscine, sans aucun doute.

Xavier : Tout le monde est à peu près d’accord

Agnès : Cette scène est superbe parce que tout est suggéré. C’est une scène où le personnage se transforme en panthère, elle déchiquette le pantalon d’une fille dont elle est visiblement jalouse… mais tout ça n’est pas montré. On voit seulement les conséquences, et l’ambiance qui règne. On voit des ombres, on entend des rugissements. Pour nous, c’est très important, l’idée de suggestion, l’idée d’effleurer certaines choses et de ne pas trop être bourrin sur les sentiments.

Vous aimez d’autres films d’horreur ? Même si vous en avez honte… ?

Xavier : Ah, si je dois parler de trucs honteux : les Scream. Je les aime tout les trois. Par contre, j’ai détesté Cannibal Holocaust… un truc de voyeur, pour le coup bien bourrin.

Agnès : On aime beaucoup le cinéma de Carpenter. Et aussi la musique de ses films, qu’il fait lui-même, presque uniquement avec des synthés. Ca m’influence énormément. Zombie Zombie en a fait un album de reprises [Zombie Zombie Plays John Carpenter, ndlr]

Xavier : On a un goût de la série B… un film comme The Thingde Carpenter, où les effets spéciaux sont faits à la main, les monstres sont en latex, c’est génial.

Agnès : Romero, Cronenberg avec La Mouche, et bien sûr les premiers David Lynch. Ce que je trouve fort dans les films d’horreur, c’est que ce sont des films de genre. C’est-à-dire qu’il y a des codes hyper serrés, on sait qu’il faut que ça saigne à un moment, que ça soit gore, ou qu’il y ait des zombies. Il y a un code fermé, mais ça parle de tout. Chez Romero par exemple il y a une critique sociale forte. Et la pop c’est pareil en un sens, il y a des codes et des limites, tu dois convaincre sur un titre en trois, quatre minutes. Il y a ce coté « art mineur » dans lequel tu mets tout un monde, tout un univers, une complexité, et de vrais problèmes.

Stéphane : Il y a un désir de séduction aussi.

Dans les films d’horreur ?

Stéphane : Mais oui, il faut que ce soit impressionnant, qu’il y ait des trucs qui t’en foutent plein la tête… et en même temps c’est fait — pas toujours mais parfois — pour sensibiliser le public sur un sujet, faire passer des idées.

Agnès : Oui, les deux aspects coexistent.

Stéphane : Le coté « pute » et le coté « auteur ».

Agnès : Le coté « pute », c’est ce que le public va aimer : « tiens je te donne ce que tu vas aimer… Mais je te donne aussi autre chose, ça c’est vraiment moi, et peut-être que tu vas aimer aussi. »

Stéphane : Donc nous aussi on a un coté « pute »…

Qu’est ce qui vous fait peur ?

Agnès : (long silence) Le fait que certaines personnes ne supportent pas la complexité ou l’ambiguïté. Ca conduit à des positions et à des réactions qui me font flipper.

Xavier : Je ne voudrais pas être clivant… Je vais tenir des propos de gauchiste, là ! On ne peut pas perdre la moitié de notre public !

Agnès : Mais est-ce que le public de La Féline est de droite ?

Vas-y, lâche-toi.

Xavier : OK, j’y vais. Finalement ça corrobore le propos d’Agnès. Par exemple dans Invasion Los Angeles, de Carpenter, les Yuppies (c’est-à-dire les traders et autres financiers) sont des aliens dont tu ne peux voir le visage qu’avec des lunettes spéciales. Il y a une catégorie de gens comme ça, qui me font flipper.

Maintenant, une question qui nous est chère : comment se déroule le processus de composition ?

Agnès : C’est très variable. Au départ, il y avait un fonds de répertoire, des chansons que j’avais écrites. On les a arrangées ensemble et elles se sont beaucoup transformées, au point qu’elles sont devenues des compos communes. Et puis il y a les morceaux dont on a trouvé la base lors des répétitions, tous ensemble. Pour les textes, c’est moi, mais pour les arrangements, c’est lié au climat qu’il y a dans le groupe et les garçons y font beaucoup. Ils ont un talent pour ça.

Concernant les textes, comment choisissez-vous la langue ?

Agnès : Ca dépend de l’inspiration. J’ai assez envie d’écrire en français maintenant…

Stéphane : C’est plus stimulant. Il y a un espace à prendre qui a été abandonné, déserté.

Pourtant il y a une scène française…

Agnès : C’est vrai…

… mais cette scène est très différente de ce que vous faites ! J’ouvre le débat !

Xavier : Il y a une scène, elle existe. Il y a plein de trucs géniaux, mais on ne se sent pas écrasé. Il y a de très bons artistes qui chantent en français, mais on a tout de même l’impression qu’on peut encore inventer quelque chose. En anglais, j’ai l’impression qu’on va être considéré plus rapidement comme du déjà-vu. Enfin tu sais, tout ça est très subjectif !

(rires)

Merci ! Pour revenir aux compositions, vous pourriez choisir un exemple, nous parler d’une chanson… ?

Agnès : Allons-y avec « Cœur Bizarre ». Je voulais faire une belle chanson française. J’adore les chansons des années soixante de Michel Polnareff, comme « Sous Quelle Etoile Suis-Je Né ? ». Et j’aime le mot « bizarre ». L’idée me vient de Baudelaire, pour être honnête. Donc je suis arrivée en répétition avec ça et quelques accords, et on a travaillé l’idée à trois. Les garçons regardent d’abord si c’est du solide, et ensuite on passe aux arrangements.

Xavier : Pour « Cœur Bizarre », il a fallu y revenir plusieurs fois.

Agnès : Le texte était prêt.

Xavier : Mais ça a beaucoup changé en cours de route. Le morceau existait sous forme de motif, deux ou trois accords. Ensuite, pour créer les arrangements à partir de ce qu’apporte Agnès, on a un fonctionnement triangulaire…

Agnès : Ils sont un peu « juges ».

Stéphane : L’impulsion doit venir d’Agnès. Elle est l’interprète et le porte-parole. Après, soit elle arrive à nous convaincre, à nous contaminer par le propos et alors on y va… soit ça ne fonctionne pas.

Agnès : Parfois vous ne voyez pas que c’est super ! (rires)

Stéphane : Pas toujours immédiatement, c’est vrai. On a besoin d’y revenir un certain nombre de fois. On n’a pas toujours cette clairvoyance dès le début.

Quels sont vos projets ?

Agnès : D’abord, la sortie de notre nouveau maxi, Wolf & Wheel[le 22 novembre, ndlr]. Maintenant, ce que l’on aimerait vraiment faire, c’est tourner.

Xavier : Oui, et surtout sortir de Paris.

Agnès : Avoir un tourneur, avoir un cadre qui nous permette de cumuler les dates et d’acquérir une expérience plus sérieuse du live.

Stéphane : On aimerait que le travail ne se fasse pas que dans la gestation mais aussi dans l’action. Ne pas être trop cérébral. On aimerait être dans une dynamique où les dates s’enchaînent. Bon, et puis il faut se confronter à un public ! Tout se que l’on fait dans notre coin, il faut le montrer, voir si ça peut plaire à d’autres que nous. Parce qu’à un moment donné, « tripper » tout seul ça devient pathétique.

(rires)

Un souvenir de concert ?

Agnès : On a adoré jouer au Cercle Pan !. C’était un squat rue du Temple à Paris, tenu pas des gens sympas, qui se sont fait virer depuis. Il y avait une ambiance fantastique et un public varié allant du punk à l’intello-bobo.

Vous avez joué en première partie d’Elvis Perkins : la classe !

Agnès : Oui, à la Maroquinerie. C’était génial. Malheureusement ça date…

Une envie de jouer dans un endroit particulier ?

Stéphane : J’aimerais bien jouer dans une maternité, pour accompagner des naissances. Je délire un peu, là, mais « naître en musique » me paraît être une idée intéressante.

Quelle musique ?

Stéphane : Équinoxe de Jean-Michel Jarre ! (rires)

On voudrait maintenant vous poser des questions plus personnelles…

Stéphane : Tu veux connaître mon sushi bar préféré ?

Non…

Stéphane : J’ai deux pots de moutarde dans mon frigo ! Non, je délire, c’est dans le dernier Serge Magazine, le nouveau magazine avec Camélia Jordana en couverture. Il y font un « portrait frigo » de Jeanne Cherhal. À la fin, tu apprends ce qu’il y a dans son frigo…

Et qu’est ce qu’on trouve dans le vôtre ?

Xavier : Jeanne Cherhal !

Stéphane : Jeanne Charal !

(rires)

Vous vouliez déjà être musiciens pendant votre enfance ?

Agnès : Depuis toute petite, je compose — à la voix essentiellement. L’idée m’est toujours restée. Je ne peux pas la dater, mais j’ai l’impression d’avoir toujours eu envie de créer.

Stéphane : Mon père était mélomane et il m’a embarqué là-dedans très jeune. Mais au fond je ne pense pas que ça donne une quelconque légitimité. Je n’aime pas le coté prophétique qu’il y a dans cette idée : « j’ai toujours aimé faire de la musique ». Tu pourrais t’y mettre à trente ans et être très bon !

Xavier : Van Gogh n’a commencé à peindre que vers trente ans…

Interview par Nicolas Fait et Camille Hardouin


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