Karaocake


On peut parler un peu de ce paradoxe de votre musique, qui est à la fois très triste, notamment dans les paroles, et très lumineuse dans les arrangements, avec quelque chose d’en même temps apaisant et sautillant ?

Camille : C’est parce que là, tu as deux lumières [elle montre Tom et Stéphane] et la fille qui écrit les paroles…

Tu penses que sans eux, tes morceaux sont très tristes ?

Camille : Pas tout le temps, mais quand même, fondamentalement, mes morceaux sont tristes… Le travail en commun, c’était aussi l’idée de faire un contre-équilibre.

Stéphane : Pour moi, ça fait partie des paradoxes esthétiques de l’indie. Tu aimes bien les mélodies joyeuses et les paroles tristes, tu aimes bien les jolies mélodies mais tu aimes aussi les choses dissonantes à la Sonic Youth… Aller dans une seule direction, ça ne nous correspond pas. Faire un morceau triste avec des paroles tristes, et un clip en noir et blanc avec une fille qui pleure…

Et des feuilles d’arbres qui tombent !

Stéphane : Oui, c’est un peu codifié ! C’est plus intéressant quand on brouille les pistes.

Est-ce que ça veut dire que ce ne sont pas forcément les paroles qui sont primordiales ?

Camille : A la base, quand je compose les morceaux, je trouve une petite mélodie, et les paroles se plaquent sur la mélodie… Elles font partie de la même spontanéité.

Elles font partie de la mélodie ?

Camille : Elles font complètement partie de la mélodie. Je crois qu’il n’y a pas eu un seul morceau pour lequel j’ai d’abord fait la mélodie, et ensuite seulement les paroles. Non, c’est vraiment un tout. Après, les chansons prennent une autre ampleur grâce au travail avec Stéphane et Tom.

Stéphane : Mais on n’est pas intervenu sur ça. On n’a jamais dit : « Ta mélodie elle est en mineur, et c’est trop triste avec les paroles, donc on va passer en majeur… »

Camille : De toute façon je n’aurais pas tellement compris ce que tu voulais dire ! Je le sais maintenant, mais Stéphane m’a appris du vocabulaire !

Stéphane : Nous on a juste fait des arrangements, des choses en plus. Mais les lignes de chants et les accords, c’est toi qui les as écrits.

Camille : Quand Clapping a annoncé qu’ils allaient sortir le disque de Karaocake produit par Domotic, quelqu’un a posté un commentaire : « Ah, bah elle va peut être enfin faire des morceaux au clic ! » Avant, je savais ce qu’était un métronome, mais je n’avais jamais pensé qu’il fallait enregistrer avec ! J’enregistrais mes morceaux dans ma chambre, on entendait mon chat qui grattait dans sa litière… Mais c’était mon processus – faire autrement, ça m’aurait bloquée !

Stéphane : C’est pour ça que c’était bien de faire les choses en deux étapes pour le disque. Toi, tu écrivais les morceaux hyper spontanément, et puis quand on les travaillait ensemble, on rationalisait certains trucs, on retravaillait éventuellement les structures. Mais au final, c’est fidèle à la base.

Pour l’enregistrement, vous avez procédé de la même manière, en enregistrant d’abord la partie de Camille, et ensuite le reste par-dessus ?

Stéphane : Non non, on a tout fait ensemble, on a fonctionné par tâtonnements. Je lui disais : « joue moi le morceau », et on tâtonnait.

Camille : Il a fait des suggestions d’instruments, des choses auxquelles je n’aurais jamais pu penser… Il y a peut-être eu une fois où je lui ai dit « non », mais c’était très ouvert… Alors, je m’étais dit : « même si personne n’aime ce disque, je m’en fous ! » Parce que l’expérience du disque, la collaboration à trois ont été extrêmement apaisantes. Je n’avais pas du tout confiance en moi à ce moment-là…

On peut parler aussi de la prédominance du monde enfantin dans votre musique… Camille, j’ai lu quelque part que tu étais influencée par Caroline, le personnage pour enfant ! D’ailleurs, en préparant les questions, on blaguait avec ça : pourquoi Caroline et pas Martine ?

Camille : Oui, « Caroline », je l’avais marqué sur le myspace…

Stéphane : Moi, Caroline, je n’ai rien contre, mais je ne vois pas en quoi Karaocake c’est enfantin… Les paroles, ce sont des histoires d’adultes… C’est pour le côté autarcique ?

Ben oui, il y a un côté « rester à la maison et s’inventer des histoires »…

Stéphane : Oui, on est tous comme ça… Si tu me dis « on va dans un bar », je dis « non » ! On préfère rester entre nous… Ca fait super ouvert d’esprit, n’est-ce pas ? (rires)

Camille : La difficulté à quitter l’enfance, ça doit vraiment être là… Je n’ai pas l’impression d’avoir l’âge que j’ai.

Stéphane : 62 ans, déjà !

Camille : Mais oui ! Je n’arrive pas du tout à quitter l’enfance parce qu’il y a des choses qui me rassurent : rester chez moi, voir mes parents, être avec mes chats. Mais en même temps je suis un peu quelqu’un de 62 ans ! J’adore le scrabble, j’adore boire du thé, je tricote comme une folle, et je parle de mes chats ! C’est horrible la phrase que je vais dire mais : j’ai l’incapacité d’être une femme ! Ca me rappelle Mecano ! Non, mais je suis à la fois petite fille et grand-mère. Quelqu’un m’a déjà dit en venant ici, à la maison : « Oh, on dirait un jardin d’enfant ! » . C’est parce que j’adore les illustrations pour enfants, et Tom aussi… Mais regarde-le : il a sa petite tasse avec un cow-boy, et regarde son pull ! (rires)

Stéphane : La tasse et le pull vont super bien ensemble.

Camille : Mais pourquoi Caroline plus que Martine ? Parce que Caroline, d’abord, ce sont les dessins de Pierre Probst, qui sont hyper bien. On a toutes les histoires, le chiens Youpi, le chat Pouf, tout ça… C’est vraiment génial, c’est un illustrateur que j’adore. Martine, toi Tom tu aimes bien, et moi pas vraiment… C’est très lisse. Caroline, c’est moins lisse et ça ressemble à notre musique ! Avec la petite bande d’animaux un peu relous… C’est plus vivant, ils voyagent ! Martine, c’est un peu plan-plan, « je fais le thé avec Maman »…

Stéphane : Mais elle joue du violoncelle.

Est-ce que c’est parce que Caroline a vraiment un côté « fait à la main », très dessiné, alors que chez Martine on a un crayonné très travaillé, un dessin assez parfait ?

(Tom va chercher un livre de Martine et nous montre une image.)

Tom : Le rêve de cow-boy…

(L’image est très belle. On voit trois petites filles dont Martine endormies sur des transats ; un cow-boy surgit du rêve de Martine et semble passer au travers de l’image.)

Il traverse les transats, là ?

Tom : Oui.

Camille : Parce qu’ils sont tous dans un rêve. Regardez aussi la pochette de ce disque (elle montre un vinyle où des enfants tiennent un instrument, Les Instruments De La Classe)

Tom : C’est le fleuron de ma collection ! Sur ce disque, ce sont des enfants qui jouent tout. Ils improvisent n’importe quoi, ils essaient plein de choses : percussions non-accordées, percussions accordées, improvisations sur des instruments à lames ou vibrantes, reconnaissance de musiques populaires. Ils jouent « Fais Dodo, Colas Mon P’tit Frère », « Frère Jacques », « C’est La Mère Michel »… On dirait du John Cage, mais fait par des enfants.

Stéphane : Le bonheur.

Et il y a d’autres œuvres pour enfants qui vous ont marqués quand vous étiez petits ?

Stéphane : Moi j’écoutais de la musique classique quand j’étais petit. Pour m’endormir, il fallait que mes parents mettent des trucs comme « Le Lac Des Cygnes », « La Petite Musique De Nuit », « Pierre Et Le Loup », ou « Le Bal Des Animaux » de Camille Saint-Saëns… J’adorais le classique, à deux ans !

Camille : Tom, son doudou c’était un tourne-disque.

Tom : Un mange-disque. A trois ans.

Un vrai, pas un en peluche ?

Tom : Un vrai. Je dormais avec, on ne pouvait pas me l’enlever des mains chez le docteur.

C’est vrai ça !?

Camille : Sa mère me l’a confirmée, et il y a des photos…

Tom : Il n’y avait plus de piles, au bout d’un moment, mais ça tournait encore… C’était toujours le même disque.

Camille : Tes parents et ta sœur ont supporté ça… T’imagines, le même disque, tout le temps… en ralenti !

Tom : Et je ne loupais jamais le Top 50 !

Camille : Moi, je me souviens des premiers bouquins empruntés à l’école. Il y en avait un que je n’ai jamais rendu ; c’était une espèce de vol. Il y avait l’histoire d’un cheval, d’un chien… Je le lisais toujours le soir avant de m’endormir. Sinon, je dors toujours avec mon nounours… C’est un peu pathétique ! Ma sœur et mon cousin ont le même, sauf qu’eux ont fait comme des enfants normaux : au bout d’un moment, ils s’en sont foutu… Moi, non ! Ce qui fait que le mien, là, il est tout pourri, il a mal vieilli…

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