Karaocake


La légende dit qu’un gâteau à la carotte est à l’origine de Karaocake…

Camille Chambon : La légende a raison. J’avais très envie de faire de la musique avec Stéphane (alias Domotic). Je ne le connaissais pas personnellement, même si on avait des amis en commun. C’était il y a cinq, six ans… J’avais déjà vu Domotic en concert ; il jouait de la batterie avec Pokett. Et je connaissais aussi l’autre Stéphane de Pokett. Un jour, on s’est vu au festival d’été Sous La Plage, dans le quinzième arrondissement. Le principe, c’était pique-nique l’après midi, et concerts le soir. Et j’avais fait un karaocake… euh, un carrot cake ! J’en ai donné aux deux Stéphane en leur disant : « j’aimerais bien faire de la musique avec vous ». Et Stéphane, avec un bout de gâteau dans la bouche, m’a répondu : « Oui, oui ! En plus j’aimerais bien me mettre un peu moins en avant… » Tu as dit un truc genre : « plus dans l’ombre ». Et puis il ne s’est rien passé pendant un temps…

Stéphane Laporte : J’étais dans l’ombre !

Camille : Vous étiez très occupé et, surtout, je n’avais pas encore de morceaux ! J’avais envie, mais je ne sais même pas si j’avais commencé à composer le moindre truc. Il s’est passé comme ça trois, quatre ans : j’ai fait mes morceaux, une petite tournée… Et un jour j’ai joué pour une release party de François Virot. Ce soir-là, j’avais fait un bon concert, j’étais contente ! Non, mais c’est vrai, parce que d’habitude… Là j’étais toute seule, j’avais une angine, en plus j’étais complètement en décalage horaire (je rentrais d’une tournée aux Etats-Unis… ça fait glamour, mais c’était un truc très Do It Yourself !)… Mais enfin le concert était cool, et Julien m’a dit : « vous devriez travailler avec Stéphane, voir ce que ça peut donner sur tes morceaux. » Donc c’est aussi Julien qui a introduit tout ça. Et puis il faut dire qu’entre temps, Stéphane et moi, on était devenus vraiment amis. On a donc commencé à travailler ensemble en 2009… Mais le carrot cake, il date de 2005 ! Et c’est toujours ma spécialité, je n’ai absolument pas progressé en pâtisserie ! Le nom, je ne sais plus de quand ça date…

Stéphane : … on n’en avait pas parlé justement à ce moment-là ? Carrot cake, Karaocake…

Camille : Oui, on a aussi un amour des jeux de mots débiles…

Tu as donc commencé à tout faire toute seule, et on parle beaucoup du côté Do It Yourself de votre musique…

Camille : Oui, parce que j’enregistrais tout sur Garage Band. Donc j’ai littéralement commencé dans ma chambre ! Même si je faisais du montage radio, le mix musique m’était étranger — et l’est toujours, d’ailleurs ! J’enregistrais hyper spontanément, je ne notais rien… Dès que j’avais une idée de mélodie ou de chanson, je l’enregistrais. Garage Band me servait un peu de journal…

Il y a quand même un ami qui m’a aidé en me montrant les bases de Garage Band ; ça m’a encouragé. J’ai donc enregistré mes morceaux comme ça, sans mix, sans rien. Et après, un peu par accident, on m’a proposé un premier concert…

Par accident ?

Camille : Par accident… Par des copains ! C’était la clique du Club des Chats, qui font plein de trucs très drôles à Paris. L’un d’eux, un copain qui se faisait appeler « Ton Ami » m’a proposé de faire un concert. Je n’avais que deux morceaux, donc j’en ai fait cinq ou six nouveaux en une semaine, pour pouvoir jouer le concert. C’était dans un bar juste à côté d’ici, le Saphir 21, dans une cave… Donc, parce qu’on m’a demandé un concert, j’ai écrit des nouveaux de morceaux… et c’est sorti très vite.

Ce sont des morceaux qu’on peut encore écouter aujourd’hui, ou ils t’ont juste servi pour ce concert ?

Camille : Il y a par exemple « Change Of Plans », qui est sur l’album… Et un des premiers titres était une reprise de Grandaddy ! Bref, j’ai fait ce petit concert au Saphir 21 , et le même jour, j’ai pris le train pour aller faire un concert dans un squat à Dijon, invitée par mes copains de Clara Clara…

Ensuite, j’ai continué à faire mes petits morceaux, et j’avais envie de jouer avec François Virot, qui était un ami. Il est venu à la maison, on a enregistré deux, trois trucs… Et il m’a parlé d’un groupe canadien, qu’il avait vu avec Clara Clara quand il avait organisé sa tournée tout seul aux Etats-Unis. Le groupe s’appelait Greenbelt Collective. François m’a dit : « c’est hyper bien, ils sont nombreux sur scène, c’est le bordel ! » J’ai écouté, je trouvais ça cool. L’un des mecs du groupe, Jeff, avait un projet solo qui s’appelait Ok Vancouver Ok. Je lui ai envoyé un commentaire myspace genre : « Quand est ce que tu viens jouer en Europe ? » Il m’a répondu un e-mail ultra précis, genre « je suis libre du 15 au 28 février… » Moi, je sais pas, j’avais toujours quatre morceaux, peut être six… Mais ça a été l’occasion ! On a demandé à un ami qui s’appelle Rémi Laffitte (il s’occupe maintenant du label Atelier Ciseaux) d’organiser notre tournée. Donc c’était notre première tournée en Europe, avec François et Jeff, en 2008. L’été de la même année, j’ai tourné avec Jeff sur la côté Ouest des Etats Unis et après, toujours avec Jeff et The Greenbelt Collective, on a tourné au Canada. Donc voilà ! C’était une année chargée ! Du coup j’ai fait trois mini-albums, avec chacun dix morceaux sur CD-R. Tout ça a été très rapide, et c’est ce qui a donné toutes les bases de morceaux de l’album qu’on connait maintenant, sauf le morceau « Never Sure » qui a été fait juste après.

Mais le côté Do It Yourself est resté présent avec l’arrivée de Tom et de Stéphane ?

Camille : Ah oui, je ne sais pas si j’ai répondu à la question, je suis partie sur l’historique du groupe ! Mais le DIY c’était ça : j’enregistrais, je faisais des CD-R, et je dessinais mes pochettes. Je ne savais pas ce que c’était que répéter, je ne savais pas ce que c’était que se brancher… Pour les concerts, c’était un peu la catastrophe avec les ingés sons ! J’étais avec mon synthé à piles (que j’ai toujours), et voilà ! Alors, est ce que ce côté-là est resté ? On va dire que maintenant, c’est du DIY avec des gens qui savent ce qu’ils font !

Stéphane : Quand on s’est mis à travailler ensemble, on voulait vraiment garder le côté spontané et frais. Donc on est parti sur un truc enregistré à la maison, chez moi, à la campagne… On voulait vraiment ne pas aseptiser le truc, il fallait rester spontanés. On voulait faire gaffe au son mais, en même temps, on aime tous les trucs un peu crados… Ce qui fait que les gens disent que c’est low-fi, alors qu’en fait c’est assez maitrisé. On aime bien, par exemple, la boîte à rythme du synthé. C’est pas un truc à la Justice !

Donc vous n’êtes pas vraiment d’accord avec cette étiquette low-fi ?

Camille : On l’avait mis dans la bio, mais c’était pour le début ! La genèse du projet, c’était totalement ça.

Stéphane : Non, « low-fi », pas vraiment, mais un peu crado ! Après, l’amalgame est compréhensible. Mais ce n’est pas fait dans des conditions low-fi. Ce n’est pas enregistré sur cassette, avec des mauvais micros. On aime cette esthétique un peu crado, du coup c’est presque l’antithèse du low-fi. Le low-fi, c’est : « on s’en fout du son, et au final ça sonne comme ça ! » Nous, c’est plutôt : « On adore le son, et on adore que ça sonne comme ça ».

Camille : Ce que j’aimais bien, c’est que Stéphane avais quand même un vrai home studio, qu’il avait produit des disques, tout ça… Pas comme dans ma chambre où j’avais juste mon synthé et, quand ma sœur habitait avec moi, son piano Yamaha qu’elle utilisait pour apprendre à faire ses gammes… C’est ça que j’ai utilisé pour les premiers enregistrements ! Ce sont des choses qui font mal aux oreilles de Stéphane, je pense ! Des sons pourris ! Mais effectivement, j’avais cette démarche-là, avec une méconnaissance totale de tous les aspects techniques.

Quand on est parti enregistrer en Auvergne chez les parents de Tom, on a rencontré un de ses amis, qui collectionnait des synthés. Il nous a fait la surprise de laisser plein de synthés dans la chambre de Tom. Il y en avait qu’on ne pouvait pas utiliser parce qu’ils étaient trop désaccordés, mais c’était hyper chouette, ce côté non-maitrisé…

Stéphane : On s’est laissé guider par ce qu’on avait à disposition. Par exemple, si tu essayes de jouer par-dessus l’album avec un piano accordé correctement, ça ne marche pas. Tout est « faux », parce que certains des synthés étaient vieux, ils étaient descendus… C’est pas grand-chose, mais tout l’album est fait sans accordeur ! Il y a cette volonté de faire les trucs à l’oreille, une certaine esthétique de l’erreur. On a ce côté un peu flou, imparfait… C’est tellement facile de faire des trucs parfaits, à l’autotune, de tout lisser, tout faire au clic, tout recaler, enlever toutes les erreurs… Au final il ne reste pas grand-chose ! Nous, on voulait vraiment éviter ça. Donc même si à la base ce n’était pas prévu, on a saisi ça comme des cadeaux : « C’est faux : génial ! » Et puis si tu veux rajouter des choses, tu es obligé de tricher ! On avait enregistré du piano, ça sonnait super faux par rapport à la base…

Donc vous avez plutôt réaccordé le piano par rapport aux synthés qui sonnaient faux, que l’inverse…

Stéphane : Exactement !

Camille : « A Kingdom », c’est le seul morceau pour lequel on a gardé une base que j’avais enregistrée sur Garage Band, avec un rythme qui change, un piano complètement désaccordé… Evidemment je ne m’en étais pas rendue compte ! Moi, je l’avais enregistrée parce que je voulais m’en souvenir et parce que c’était spontané. On trouvait ça beau, et on voulait utiliser cette piste. Mais le piano est vraiment faux ! Ou plus exactement, toutes les notes ne sont pas fausses… C’est assez typique des les vieux pianos. Et il a fallu composer avec ça.

Stéphane : On part des endroits qui frottent un peu, ça nous ouvre des portes, on est obligé d’inventer des trucs…

Camille : Et puis on n’utilise que des instruments vintage, il n’y a pas de Midi… Pour vous donner un exemple, le synthé de Tom (un SH) chauffe hyper vite, et du coup on est obligés de se réaccorder tout le temps… On a un Do samplé pour s’en souvenir, mais ce n’est pas un vrai Do !

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