Hard Working Boss


Comment crois-tu que les Français qui t’écoutent perçoivent l’humour dans tes chansons ?

Déjà, pour être franc, je pense qu’il faut avoir un très bon niveau d’anglais pour comprendre les paroles. Même moi, quand j’écoute des chansons en anglais, je ne m’intéresse pas spécialement au sens ; c’est la musique que j’écoute.

Donc tu n’attends pas vraiment des auditeurs qu’ils fassent attention aux paroles ?

Non. Même s’ils ressentent probablement qu’il y a de l’humour. Et il y a certaines chansons… Par exemple, « Elton John » : je ne crois pas qu’ils comprennent tout, mais je pense qu’ils devinent que c’est un peu drôle. Censément drôle. Que le chanteur essaie d’être drôle ! (rires) Mais je comprends cette difficulté : mon job, c’est d’écrire des dialogues en anglais, qui doivent être drôles, mais que les Français doivent pouvoir comprendre. Donc je me rends compte que c’est vraiment difficile.

À ton avis, pourquoi est-ce que les Britanniques sont tellement plus drôles que les Français ?

Mais je pense que les Français sont drôles ! Ce sont des sens de l’humour différents. Je suppose que le truc, c’est l’auto-dérision… Peut-être que nous sommes plus à l’aise pour nous moquer de nous-mêmes, tandis que vous préférez vous moquer des autres. Et je pense qu’on manie l’auto-dérision de façon vraiment naturelle. Pour un Français, c’est probablement une chose un peu étrange. Donc voilà, à mon avis, la base du truc. Certaines de mes paroles sont un peu rudes ! Mais je suppose que la façon dont je les chante montre que je plaisante un peu, que je ne pense pas vraiment ce que je dis…

Donc ce n’est pas cynique ?

Non, ce n’est pas cynique ! Mais pour revenir à l’humour… Les gens disent que l’humour britannique est très bon. Mais je pense que c’est parce qu’on vit dans un pays assez merdique. Je pense que c’est plus facile pour vous, en France. Pour nous, l’humour est une sorte de mécanisme de survie ! On a peut-être souffert un peu plus que vous. (rires) Mais je ne peux pas te laisser dire que les Français ne sont pas drôles ! Je bosse avec beaucoup de Français, et je ne suis pas d’accord du tout. Par contre, je trouve que notre approche de la comédie, à la télé, est un peu plus progressive. En France, je regarde pas mal de trucs à la télé, et c’est juste incroyable, tous ces vieux mecs qui racontent des blagues démodées…

HWB03_TD« Mais je pense que les Français sont drôles ! »

Les chansons que tu écrivais auparavant étaient moins personnelles. Il a fallu que tu apprennes… ?

J’ai juste appris à dire ce que j’avais vraiment envie de dire. Et l’humour a sans doute aidé. Bon, je parle d’humour, mais ce ne sont pas des chansons vraiment drôles. Ca n’est pas du « ah ah ah ! ». Mais l’idée, c’est qu’elles aient un élément d’humour, quelque chose. Je ne suis pas spécialement un type marrant, mais j’adore la comédie, j’adore l’humour. Donc l’idée d’incorporer ça dans les chansons me convient bien.

Est-ce qu’il y a des artistes qui t’ont influencé dans ce registre ?

Non. Je suppose que je vais me contredire, mais je n’ai pas spécialement envie d’écouter des chansons drôles. J’adore Flight Of The Conchords, je trouve que c’est extrêmement drôle, mais je ne me voudrais pas écouter ça trop souvent. (En même temps, c’est différent, puisqu’il s’agit vraiment de comédie.) J’aime les paroles intelligentes, qui font réfléchir. Mais l’humour, je ne sais pas si… En fait, peut-être que mes chansons devraient être moins drôles !

Tu disais faire la musique que tu aimerais écouter. Est-ce que tu penses aussi aux gens qui vont au final écouter ta musique, ou bien est-ce que tu essaies de les oublier ?

Non, je pense qu’il faut absolument essayer d’oublier ceux qui vont écouter. Je crois que c’est une erreur d’y penser, et je crois justement que c’est ce que j’avais plus tendance à faire auparavant. « Que vont-ils penser ? » Je pense qu’il faut vraiment faire quelque chose qui te plaît. Si ça te plaît, il y a de bonnes chances que ça plaise à d’autres. Mais essayer de deviner ce que les gens veulent… Bon, parfois tu dois le faire. Les songwriters professionnels le font, ils ont une certaine idée en tête, et ensuite c’est une espèce de boulot artisanal… Mais si tu veux écrire quelque chose de plus intéressant, si tu veux exprimer quelque chose, je crois qu’il faut oublier les autres et être, en quelque sorte, ton propre critique. « Est-ce que c’est bon ? Est-ce que j’aime ça ? » Pour moi, ça fonctionne mieux comme ça. Mais je n’y arrive pas toujours !

HWB17_LD« Je pense qu’il faut absolument essayer d’oublier ceux qui vont écouter »

Est-ce que tu t’intéresses à l’aspect promotionnel de ton travail ? Tout le travail extra-artistique ?

Non, non, pas du tout. Ce n’est pas quelque chose de naturel pour moi. Je ne suis pas un businessman, je ne suis pas un promoteur. C’est quelque chose que je trouve très difficile… et pas très intéressant. Pourtant je sais que ces temps-ci, si tu veux vraiment réussir, tu dois presque t’investir davantage dans ce travail de promo que dans la musique elle-même ! Il y a une telle compétition que ça devient nécessaire. Mais je n’aime pas vraiment ça.

Tu as essayé de trouver quelqu’un pour le faire ?

Non, pas vraiment. J’avais une sorte de manageuse, mais elle est tombée enceinte et elle n’a plus vraiment eu le temps… Mais tu sais, les outils existent pour qu’on puisse le faire soi-même ! C’est juste qu’évidemment, c’est moins fun de faire ça que d’écrire de la musique. Ca semble même être quasiment deux démarches opposées !

Quel est ton rapport à Internet ?

Je déteste Internet ! (rires)

Vraiment ?

Non, j’aime bien mais… Souvent je me dis que ça manque d’âme. Mais pour la musique, c’est super. Je ne serais pas en train de te parler sans Internet, tu vois ? Je crois que c’est une opportunité merveilleuse…

Je n’attendais pas de réponse particulière !

(rires) Non, je dis juste que c’est un outil super. Mais en même temps… tout le monde déteste un peu Internet.

Tu penses que ça a changé la façon dont les gens écoutent la musique ?

Ca a tout changé, n’est-ce pas ? La façon dont moi-même j’écoute la musique a complètement changé par rapport à… l’année dernière ! Avec un truc comme Spotify, tout ce que tu peux vouloir écouter est là, immédiatement disponible. Avant tu achetais un CD : « ça coûte 10 putains d’euros, je vais vraiment l’écouter ce truc ! » Maintenant, tu ne fais plus ça. Tu n’as rien payé, tu juste écouter un petit peu et basta.

Tu penses que tout ça amoindrit le plaisir d’écouter de la musique ?

Je ne sais pas. C’est peut-être dommage qu’on n’écoute plus un album comme un tout, comme une oeuvre unie. On y perd quelque chose. Tu peux avoir douze chansons qui sont faites pour être écoutées ensemble, dans un certain ordre. Idéalement. Mais maintenant, les gens mélangent les morceaux, créent des playlists avec des styles complètement différents qui sont juxtaposés. Ca, c’est une approche complètement différente. Il ne faut pas l’oublier. L’idée d’écrire un album est devenue… étrange.

J’en déduis que tu es plutôt « album » que « chanson » ?

J’imagine que oui. Probablement parce que j’ai grandi là-dedans. Il y avait tous ces grands albums, sur lesquels toutes les chansons étaient bonnes… Et puis d’un point de vue strictement mécanique, tu mettais un CD, et ça jouait l’album entier. La technologie a changé, donc tu peux choisir exactement quelle chanson tu veux écouter. En ce qui me concerne, j’écoute encore des albums entiers sur Spotify, de temps en temps. Mais je pense que notre capacité de concentration a vachement diminué. Ca devient très difficile de se concentrer sur un truc pendant plus de… cinq secondes ! Autrefois, les compositeurs écrivaient des oeuvres de quarante minutes. Et les gens avaient suffisamment d’attention pour écouter pendant toute cette durée. La musique pop est arrivée, les gens étaient encore capables d’écouter des albums, mais ça devenait difficile pour eux d’écouter des oeuvres classiques. Et maintenant, c’est encore pire… tu peux écouter simplement une chanson, voire même un petit bout de chanson. C’est une spirale descendante…

Une évolution logique…

Oui, on dirait. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Il y a tellement de bonne musique ! Spotify est un truc génial ! Bon, le truc problématique, c’est la rémunération de ceux qui créent la musique. Je me sens coupable quand j’utilise Spotify. Il y a toute cette super musique, mais je ne suis pas obligé de payer un rond. Je dois juste supporter une pub toutes les trois chansons — mais la pub, tu finis presque par ne plus l’entendre. C’est presque comme une voix réconfortante, genre présentateur radio. Tu as quasiment hâte de l’entendre ! J’envisage de m’abonner, mais je ne l’ai pas encore fait. Je ne le ferai probablement jamais ! (rires) Pourtant ça ne coûte rien. Notre système de valeur déconne complètement. Je peux sortir 10 euros pour m’acheter une pinte (au Pop In !) sans que ça me pose de problème, mais l’idée de payer 10 euros pour un abonnement mensuel qui te permet d’écouter toute la musique que tu veux écouter… « c’est hors de question ! » (rires) Ca me semble fou. Mais on a toujours une perception bizarroïde de l’argent et de la valeur.

HWB30_LD« L’idée d’écrire un album est devenue… étrange »

Est-ce que tout cela a eu une incidence sur tes projets — sur ce que tu souhaites enregistrer… ?

Je penses que non. Je vois chaque chanson comme une entité. Je n’essaie pas d’écrire un album, j’essaie d’écrire des chansons meilleures que celles que j’écrivais avant. Et je veux que mes chansons puissent fonctionner toutes seules, prises individuellement.

Ton écriture continue à évoluer ?

Oui, je pense. Avec l’âge et l’expérience, on devient meilleur. Donc je pense que je progresse, que je suis meilleur aujourd’hui que je ne l’ai jamais été. Mais c’est simplement parce que je suis plus exigeant avec moi-même. Je veux vraiment écrire quelque chose qui sonne bien, et pas seulement finir la chanson. Et je ne veux pas que ça sonne cliché. C’est facile de sonner comme tout le monde…

Est-ce que tu as déjà sorti quelque chose ?

Non, pas dans un format physique, pas officiellement. J’ai juste produit des CDs artisanaux, que j’essaie de vendre… Mais je n’ai rien sorti « officiellement ». J’adorerais le faire.

Quels sont tes projets ?

Je ne rêve pas de gagner de l’argent — je pense que c’est très difficile de gagner de l’argent avec sa musique. Mais j’adorerais faire une sorte de tournée. D’une façon ou d’une autre. Avec quelqu’un. Dans un bus !!! (rires) Je n’ai jamais fait ça, et ça me semble vraiment valoir d’être vécu. Même si ça ne dure pas longtemps… Je ne parle pas d’une tournée mondiale de six mois, hein ! Mais simplement pouvoir offrir une performance live qui mériterait d’être emmenée sur la route : ça serait bien. J’aimerais bien sortir des albums, mais ces temps-ci… Tu peux toujours faire un album, mais c’est autre chose de le sortir.

HWB24_LD« Avec l’âge et l’expérience, on devient meilleur »

Tu ne te projettes pas d’ici deux ans ?

Ah, c’est difficile ! Je ne sais pas si je serai encore en France, déjà. Il faut envisager des choses réalistes. J’aimerais faire quelque chose avec ma musique. Faire en sorte que des gens l’entendent. Que des gens aiment mes chansons. Juste une chanson. Une moitié de chanson ! Juste un couplet ! (rires)

Un pont !

Un pont ! (rires)

Est-ce que tu as beaucoup d’expérience en concert ?

J’ai fait un break récemment, mais oui, j’ai joué beaucoup de concerts ces deux dernières années. Principalement dans des petits bars à Paris. Parfois c’était bien, parfois moins.

Tu as déjà joué face à un public hostile ?

Non, jamais en concert. J’ai joué une fois pour une fête. C’était assez cool, une grosse soirée à la campagne, en dehors de Paris. C’est un ami à moi qui est DJ. Il y avait des amis à lui, des gens auxquels habituellement… « des gens auxquels je ne m’exposerais pas » n’est peut-être pas la bonne expression, mais… ! (rires) Ils aimaient le rap et de R’n’B. C’est ça qu’ils voulaient entendre. L’idée, c’était qu’il y aurait ces différents DJs qui passeraient du R&B, et ensuite moi, qui irait jouer mon truc. Ce que j’ai fait ! C’était terrible, parce qu’ils n’avaient pas du tout envie d’entendre le genre de musique que je fais. Donc ça a été dur ! J’ai aussi joué pas mal de fois lors des soirées « open mic » du Pop In, et j’ai connu quelques expériences délicates à l’époque où je jouais mes anciennes chansons — avant mon « style moderne ». Le public du Pop In est très difficile — assez branché… Ca peut être vraiment affreux de jouer là-bas.

Tu ne penses plus rejouer tes vieilles chansons ?

Je ne sais pas… Peut-être pas. En même temps, il faut que je réfléchisse, parce que ça permettrait de faire des sets un peu plus longs. Il y a des chansons que j’aime encore, c’est juste qu’elles sont tellement… premier degré, tellement naïves. En plus je les ai un peu oubliées.

Interview par Nico Calibre


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