Hard Working Boss


Quelle était ta motivation première pour venir vivre en France ?

Le français. Je voulais apprendre le français. La France, ça évoque beaucoup de choses pour un jeune Anglais. C’est très sophistiqué. La culture est très attirante. J’ai grandi en regardant des films français ! Les Valseuses

Jamais vu !

Peu de Français l’ont vu ! J’étais venu ici quand j’étais étudiant en art, je devais avoir 17 ans. Et je savais que je reviendrais en France, que je vivrais ici pendant un certain temps. Tu vois, je ne crois pas spécialement aux pressentiments, aux idées instinctives mais… j’avais le sentiment que je reviendrais. Un jour. Et je l’ai fait ! (rires)

Donc tu vas rester ici pour un bout de temps ?

Eh bien je ne sais pas ! Peut-être. Ca fait quatre ou cinq ans que je suis ici. C’est plus que ce que je prévoyais.

L’invention de ton « style moderne », ça date de ton arrivée en France ?

Ca doit dater de début 2007. Depuis que mes parents ont apporté tout mon matériel à Meudon. J’ai commencé à accorder ma guitare différemment, et à écrire des choses à peu près correctes — je crois. Je m’ennuyais un peu avec l’accordage standard. Tu finis par connaître parfaitement ta guitare, et tu écris des trucs qui sonnent comme tout ce que font les autres. Avec un accordage différent, tu redécouvres un peu l’instrument. En cela, j’ai été influencé par The Kills. Bon, je sais que d’après ce que les gens disent, The Kills ne sont plus vraiment le groupe le plus cool au monde. C’est presque devenu un groupe de mode… J’ai un ami documentariste qui les a filmés, donc je les ai rencontrés une ou deux fois. Ils n’en avaient rien à foutre de moi, je ne leur ai pas vraiment parlé. Mais j’ai constaté que le guitariste utilisait un accordage ouvert, et je crois que ça a eu un gros impact sur ma musique. Ca n’est peut-être pas intéressant pour quelqu’un qui n’est pas musicien, mais pour moi c’est fondamental. Ca permet d’approcher les choses différemment, et ça te donne un son un peu plus « unique ». Les gens utilisent les mêmes putains d’accords depuis la nuit des temps ! Donc j’essaie de faire autre chose… En même temps, je n’ai aucune idée des accords que je joue ! (rires)

HWB10_TD« Tu finis par connaître parfaitement ta guitare »

C’est un accordage très inhabituel ?

Ce sont mes propres accordages, mais il y a probablement plein d’autres gens qui les utilisent. J’en ai deux : un qui est plus bluesy, avec un drop D, et un autre qui semble donner une couleur bleue (bleue, mais pas blues !)…

Pourrais-tu définir Hard Working Boss ? Quelle est l’intention ?

L’intention… Je crois que je voulais simplement écrire quelque chose qui sonnerait bien, quelque chose que j’aurais moi-même envie d’écouter. En fait, j’ai fait beaucoup de choses dans la musique avant Hard Working Boss, et je me suis rendu compte que ça n’était jamais vraiment le genre de truc que j’aimerais écouter. Je me suis dit : « pour quelle putain de raison est-ce que j’écris cette merde ? » Tu vois, c’était correct, mais… je voulais faire enfin quelque chose de stimulant. D’intéressant. Des bons textes, une musique originale. Mais bon, ces choses là sont subjectives : fondamentalement tu veux faire quelque chose qui te plaît.

Et tu y arrives ?

Non, pas vraiment ! (rires) Enfin, parfois si. Mais souvent je trouve que c’est vraiment déprimant. C’est difficile.

HWB05_TD« Je voulais simplement écrire quelque chose qui sonnerait bien »

En termes de style, est-ce que ce que tu fais maintenant est plus proche de la musique que tu aimes écouter ?

Oui, peut-être… Bon, je crois que j’ai un style — mon propre style… Mais oui, parfois il m’arrive d’écouter un morceau et d’en être très content. Il y a quelques chansons… Je me dis : « shit, c’est vraiment bon. J’ai vraiment réussi à faire quelque chose, à capturer quelque chose. »

De quelle chanson es-tu le plus content ?

Je crois que c’est « Yesterday ». Enfin, je ne sais pas si j’en suis encore satisfait, mais j’ai eu une période de satisfaction. (rires) Je pense juste que la chanson fonctionne. C’est mélodique. Il y a un texte qui est plutôt… intéressant : une référence évidente au « Yesterday » de Paul McCartney, avec une sorte de… Je sais pas, « post-moderne » est le terme qui me vient à l’esprit — même si je ne sais pas ce que « post-moderne » signifie… J’aime bien l’idée de partir d’une oeuvre originale, et de trouver le moyen de la transformer, de la détourner, et de la ré-inventer. Tu grandis avec ces chansons, donc quelque part c’est difficile de ne pas y faire référence. Bon, si tu fais ça trop souvent, ça devient pénible. Je sais que certaines personnes n’aiment pas l’idée de faire ce que j’ai essayé de faire. Aujourd’hui, je n’aime plus autant ce morceau, mais il y a eu une période pendant laquelle je me disais « ouais, c’est assez bon ».

D’où vient ce morceau ?

Bon, tout d’abord, je n’avais pas de concept génial, du genre « oh, je vais ré-inventer « Yesterday » ! » Je pense que j’ai d’abord trouvé le riff, à la guitare…

Donc c’est la musique qui vient d’abord ?

Oui ! (Il hésite.) Parfois je trouve les paroles en premier. Ou plutôt de la poésie. Comme en ce moment, j’ai écrit des poèmes, que j’aime bien… (J’appelle ça de la « poésie », mais ce sont juste des gribouillages.) Parfois j’utilise ça comme base pour des chansons, quand il y a déjà une idée forte et une structure… il ne reste plus qu’à fabriquer la musique, à suspendre de la musique par-dessus. Mais ce n’était pas le cas pour « Yesterday ». Je suis presque sûr d’avoir d’abord trouvé le riff de guitare. Ensuite, la structure est venue assez facilement. Le refrain — j’imagine qu’on peut l’appeler comme ça — est venu facilement aussi. J’étais content de tout ça. J’ai utilisé Logic sur mon Mac pour enregistrer le morceau, avec la guitare… Et ensuite j’ai ajouté des sons électroniques. J’aime avoir une approche minimaliste.

Ouais !

Ouais, tu as remarqué ? (rires) Je ne me souviens plus à quel moment j’ai trouvé les paroles. Je crois que tout vient du fait que les premières notes de la mélodie ressemblent au début de « Yesterday » ! (rires) Quand tu joues le morceau, tu chantonnes quelque chose, tu prends conscience du truc, et tu te dis : « pourquoi pas essayer d’avoir une sorte d’approche humoristique de « Yesterday » ? » Voilà ce sur quoi j’ai essayé de construire le texte. Il y a les « Yesterday… », « Suddenly… » dans l’originale. Je me suis dit « pourquoi pas faire ça, mais en essayant de pervertir un peu le truc ? », et en ajoutant d’autres idées. Et j’aime bien le résultat, qui ne sonne pas du tout comme l’originale — sauf peut-être les trois premières notes. Je me souviens avoir fini le morceau très vite. On est souvent déçu quand on a fait un truc qui marche et qui n’a pas demandé beaucoup d’efforts. On se dit : « pourquoi n’ai-je pas souffert davantage ? » (rires)

Est-ce que c’est une sorte de règle générale ? Est-ce que tu es plus satisfait des morceaux sur lesquels tu as le moins travaillé ?

Non, je pense que parfois, ça vaut la peine de mouiller sa chemise.

Tu es un hard worker ?

Est-ce que je suis un hard worker ? Non, je suis très paresseux !(rires) Si, en vrai, je suis un bosseur… quand je suis motivé. Il faut être bosseur dans la musique, je crois. Tu vois Andrew Lloyd Webber, le type qui bosse avec le parolier Tim Rice ? Il dit que la musique n’est pas un art qui prend beaucoup de temps, qu’il est possible de créer de la musique très rapidement. C’est pour ça qu’il a lui-même écrit autant de musique. Bon, je pense qu’il y a du vrai là-dedans. Écrire un bouquin, ça prend vachement de temps. Il semble que la musique vienne plus vite.

HWB15_LD« Reste plus qu’à fabriquer la musique »

Est-ce que ça en fait un art mineur ? Tu es d’accord avec ce que dit Gainsbourg ?

Non, je ne suis pas d’accord. La musique a sans doute un plus grand impact sur les gens que les arts visuels. Quand tu écoutes certains grands compositeurs… leur talent était incroyable. Quand tu entends certaines sonates pour piano de Beethoven, tu te dis « merde, j’arrive pas à croire que ce type était aussi doué ! » Donc non, je ne crois pas que ce soit un art mineur. Je crois que la musique touche les gens davantage que la plupart des autres arts. Tout le monde peut s’y retrouver. Tandis que les arts visuels touchent plutôt une élite. Pareil pour la littérature : beaucoup de gens ne lisent pas de bouquins. Je suppose qu’on pourrait dire que le cinéma est un art mineur. Mais tout le monde regarde des films. C’est accessible.

À propos de « Yesterday ».. Tu m’as parlé des paroles, mais pas tellement de la façon dont tu avais enregistré la chanson…

Je pense que j’ai d’abord enregistré la partie guitare, qui est (comme souvent dans mes chansons) la base du morceau. Et ensuite j’ai probablement ajouté la batterie. J’aime beaucoup les sons electro un peu kitsch. J’aime beaucoup Prince — le Prince des années 1980, ce genre de son, ce mélange d’instruments réels et de sons synthétiques. C’est ce que j’ai cherché à faire. Et ensuite j’ai fait cet arrangement minimaliste. Tu as ton couplet, ton refrain, ton couplet, ton refrain… mais tu dois faire en sorte que la musique fasse quelque chose d’autre pour que ça reste intéressant. C’est ça qui est souvent difficile. Bien souvent, mon problème c’est de trouver le pont — l’insaisissable pont ! L’ironie dans tout ça, c’est que le pont est la partie la moins importante de la chanson : personne n’y fait vraiment attention. Il faut juste que ça change. Ca peut ne pas être inoubliable. Mais si c’est mal fait, ça peut aussi complètement foutre en l’air la chanson. Trouver la bonne structure pour un morceau est quelque chose de difficile. Quand j’étais en Australie, je passais énormément de temps là-dessus, à essayer de trouver la bonne logique, la meilleure solution…

Tu parles souvent de logique. Tu penses qu’il existe vraiment une bonne façon de construire une chanson…

Oui, absolument ! Je pense que nos cerveaux sont programmés pour réagir d’une certaine manière à certaines structures…

Quand tu écris, tu cherches à jouer avec les cerveaux des gens ?

Non, pas vraiment. Tu sais instinctivement quand ça fonctionne et quand ça ne fonctionne pas. Tu vois, parmi les chansons sur lesquelles je travaille en ce moment, il y en a une que j’aime vraiment bien. Mais il y a un passage qui ne fonctionne pas bien, je le sens, et je me prends beaucoup la tête là-dessus. Mais oui, je pense qu’il y a une certaine logique dans les chansons. En même temps, j’imagine qu’il y a plusieurs manières de réussir un morceau. Ces grandes chansons que nous avons écoutées en grandissant, je suppose qu’elle auraient pu être faites différemment et que nous les aimerions tout autant. Mais il y a une certaine logique interne. Comme en musique classique, il y a des choses qui marchent et d’autres qui ne marchent pas.

HWB01_TD« Il y a une certaine logique interne »

Tu arrives à savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas quand tu es vraiment immergé dans l’écriture d’une chanson ?

(Silence) Je suppose qu’effectivement, c’est le problème quand tu écoutes trop quelque chose, tu finis pas ne plus l’écouter avec les mêmes oreilles. Ca doit être l’avantage de travailler avec quelqu’un d’autre.

Est-ce qu’il y a des gens qui te donnent un retour sur ce que tu fais ?

Non. Ma copine m’a parfois aidé. Mais je ne suis pas sûr que ce soit forcément une bonne idée. Quand on te dit des choses avec lesquelles tu n’es pas d’accord, c’est perturbant, et au final c’est bien toi qui dois prendre la décision. Mais le plus gros problème, c’est que si tu écoutes le morceau pendant trois heures, tu n’es plus capable de l’entendre comme quelqu’un qui le découvre pour la première fois. Donc il faut le laisser, y revenir, et là tu peux te dire : « ouais, c’est bien » ou au contraire, « merde, j’ai passé trois heures là-dessus et de toute évidence ça ne fonctionne pas ! Ca ne fonctionnera jamais ! Je savais que ça ne fonctionnerait jamais ! Je me suis voilé la face ! » (rires)

Est-ce que tu essaies consciemment de préserver un son homemade ?

Non, c’est juste de l’incompétence ! (rires) Sérieusement, j’aime le son lo-fi. Mais c’est surtout parce que je déteste l’aspect technique de l’enregistrement. L’idée que les gens puissent être excités à l’idée de tout savoir sur la compression, ce genre de choses… ça me laisse de marbre ! Je sais qu’il y a un tas de gens qui aiment ça. C’est comme les voitures ou le foot, c’est un domaine dans lequel les hommes peuvent décider de se spécialiser, dans lequel ils peuvent chercher à tout savoir. Mais en ce qui me concerne, je trouve que c’est très chiant. Même si le fait de m’y connaître davantage pourrait m’être utile !

Dans quoi est-ce que tu te spécialises ?

Que dalle ! (rires) Mais la musique que je fais — ça se fait assez vite. C’est un peu comme une approche de peintre : j’utilise tous ces petits croquis, toutes ces choses qui sonnent un peu brutes, je les mélange… Voilà ce qui me semble être le charme de la musique lo-fi. Elle a ce côté « croquis ».

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