Hard Working Boss


C’est la première fois que Subjective découvre un artiste grâce à un groupe auquel nous avons déjà consacré un numéro. Comment est-ce que tu connais Binoculars ?

David, le chanteur du groupe, travaille pour une librairie musicale. Je suis entré en contact avec lui il y a environ deux ans, par e-mail je crois. Il a écouté ma musique sur myspace, et il a aimé certaines chansons. À l’époque, il était en train d’assembler une compile de musique indie. Il m’a demandé si je pouvais le laisser utiliser deux de mes chansons. « T-bag » et « Darwin », si je me souviens bien. Je crois que « Hangman » était celle qu’il préférait.

C’est quoi au juste, le principe d’une librairie musicale ?

Je crois que ça s’adresse principalement aux médias : lorsqu’ils veulent utiliser un morceau de musique, ils s’adressent à cette librairie et ils paient les droits. Je me suis juste dit que c’était une bonne façon de faire entendre mes morceaux. Avec David… je pense qu’on est amis, maintenant. Il n’écrit pas lui-même les paroles de ses chansons, donc il a besoin d’anglophones…

Tu écris des paroles pour Binoculars ?

J’ai juste écrit une chanson ! Ca s’appelle « Mr. Photograph ». C’est une de leurs nouvelles. Je suis allé les voir l’été dernier ; ils étaient en train d’enregistrer le morceau quelque part en banlieue parisienne. D’ailleurs c’est là que j’ai rencontré Thomas de Subjective, qui était venu prendre des photos… Je lui ai envoyé un e-mail avec mon myspace. Il a répondu en disant qu’il aimait bien, mais j’ai cru que c’était simplement de la politesse…

Tu écris souvent pour d’autres personnes ?

Non, ça doit être la seule fois que c’est arrivé. L’écriture de paroles est déjà assez difficile pour soi, alors pour d’autres…

Est-ce que tu t’y es pris différemment pour Binoculars ? Est-ce que « Mr. Photograph »aurait pu être une de tes propres chansons ?

Je ne pense pas. Je crois que le style était un peu différent… Mes paroles sont plutôt sarcastiques, avec beaucoup d’humour… Beaucoup de choses dégoûtantes, parfois ! (rires) Dégoûtantes — avec humour. Je crois que chaque morceau de musique possède quelque chose d’intrinsèque, un texte idéal, qui va à la chanson comme un gant. Pour « Mr. Photograph », David avait écrit la musique : je lui ai demandé de jouer de la guitare, de me chanter la mélodie. Ca te donne une certaine ambiance, un certain rythme… et ça appelle un certain texte. Un texte qui va coller parfaitement. Tu vois ce que je veux dire ? Donc naturellement, parce que la musique de Binoculars est très différente de la mienne, les paroles le sont aussi. J’étais content de la chanson, pour une première. Mais ça a été difficile. Je devais sans cesse ré-écouter le morceau. Un vrai travail de confection. C’était un peu comme le boulot que je fais en ce moment : je travaille pour un site web d’apprentissage de l’anglais. C’est un site plutôt marrant, sur lequel tu trouves des dialogues étranges… Ils embauchent des auteurs créatifs qui leur écrivent des histoires marrantes. Donc voilà, écrire pour quelqu’un, c’est un peu comme ça, comme un boulot que tu dois faire. Un truc que tu dois terminer. En l’occurrence, c’était sympa à faire. Mais les paroles, c’est difficile. Énormément difficile !

Tu trouves que c’est tout de même plus facile depuis que tu as ce job ?

Oui, je suppose que oui. Dans un job, il y a une certaine approche, un certain processus…

Il n’y a pas de passion…

Oh si ! Il y a de la passion ! Les meilleures choses viennent quand il y a de la passion. Si tu as une idée forte, centrale… ça fonctionne… Mais pas toujours, malheureusement.

HWB27_LD« Les meilleures choses viennent quand il y a de la passion »

Que faisais-tu avant Hard Working Boss ?

J’ai commencé à jouer de la guitare quand j’avais seize ans. Mon père était un songwriter très talentueux. Mais il n’a pas cherché à en vivre, donc il s’est trouvé un vrai boulot, une carrière… Pourtant il y a des chansons géniales qu’il a enregistrées sur bandes ; ce sont des espèces de tubes des années 60 ! Je sais que c’est facile de dire ça, parce que je parle de mon père, mais ce sont vraiment des chansons brillantes — qui ne seront jamais découvertes, qui ne feront jamais partie des années 60. Donc mon père avait une guitare, mais ce n’était pas vraiment l’instrument dont il avait appris à jouer. La guitare était dans l’armoire. Je me disais, « il y a une putain de guitare là-dedans ! ». Mon père ne l’utilisait jamais. Personne n’y touchait jamais. Moi, j’étais un peu fasciné par l’objet, mais je n’ai jamais vraiment joué avant mes seize ans. Ensuite, mon père m’a appris quelques accords ; quelque part, il a un petit peu re-découvert l’instrument quand j’ai commencé à apprendre. Je l’ai fait simplement parce que mes amis le faisaient !

À l’époque tu vivais au Pays de Galle ?

Oui. D’abord, j’ai fait des études d’art. Je n’ai pas aimé plus que ça, donc je suis allé à l’université pour étudier la musique classique. Je me suis spécialisé dans la composition — c’est ce que je préférais. Ensuite, j’ai fait un Master de « Musique pour le Cinéma et la Télévision ». Donc voilà mon parcours, qui se situe plutôt dans la musique classique. Mais pendant tout ce temps, j’écrivais sans cesse des chansons. Elles étaient très différentes de ce que je fais aujourd’hui : parfois très folk, parfois super pop… Quand je les écoute maintenant je me dis que… elles n’étaient pas cool du tout !

Est-ce que ta voix a changé ?

Non, j’ai toujours eu cette voix médiocre ! (rires) Non, je ne pense pas qu’elle ait beaucoup changé. Je pense que j’ai toujours chanté assez haut.

Tu as commencé à chanter à l’époque où tu apprenais la guitare ?

Oui, parce que pour moi, la guitare a toujours été un moyen d’écrire des chansons. Même quand je savais à peine jouer, je voulais écrire des chansons : c’était à mon sens ce qu’il y avait de plus intéressant et évidemment de plus créatif dans le fait d’être musicien. J’ai tout de suite voulu écrire des chansons. J’étais beaucoup moins intéressé par le fait de savoir réellement jouer de la guitare… Bon, en fait, ce n’est pas tout à fait vrai. Je me suis entraîné à la guitare. J’ai traversé une période Steve Vai, comme beaucoup de guitaristes. Mais ensuite tu prends conscience qu’il faut laisser cette merde derrière toi et jouer quelque chose de correct ! (rires)

Tu avais quel âge ?

J’avais 17 ans, mais ma période Steve Vai a été honteusement longue ! Bon, pas tant que ça, mais… je voulais juste très bien jouer de la guitare, j’imagine. J’adore la guitare.

HWB09_TD« La composition, c’est ce que je préférais »

Est-ce que tu as abandonné l’idée de devenir un joueur technique ?

Oui. Oui. Et aujourd’hui, je suis un joueur assez moyen… Mais je me suis rendu compte qu’il valait mieux essayer d’écrire des chansons qui touchent les gens, plutôt que de devenir un joueur technique…

Le monde n’a pas besoin d’un nouveau Steve Vai.

C’est vrai ! Mais tu sais, j’aime bien certains morceaux de Steve Vai. C’est un compositeur vraiment talentueux. Bon, ses goûts sont un peu… Il faut pas écouter ça trop longtemps !

Est-ce que tu as joué dans des groupes ?

Pas vraiment.

Tu as toujours été un…

Solitaire ! (rires) Quand j’étais à l’université, je jouais dans un groupe. Ce n’était pas un très bon groupe. Je ne suis même pas certain qu’on ait joué en concert. Mais là où je vivais, il n’y avait pas énormément d’opportunités. Je vivais à Scarborough, une ville complètement morte sur la côté nord du pays. Il n’y avait pas beaucoup de monde avec qui je pouvais jouer. Donc j’étais content de trouver un groupe. C’était pas mauvais, en fait, mais le truc c’est qu’il y avait un autre guitariste qui faisait surtout la rythmique, et je trouvais qu’on ne fonctionnait pas très bien ensemble. Je voulais être le seul guitariste. À l’époque, j’écoutais — plus tellement Steve Vai ! — mais ces guitaristes qui, comme Van Halen, font tout : la rythmique et la lead. J’adore l’idée d’avoir une section rythmique sans avoir de deuxième guitariste. Je pense que c’est mon amour du minimalisme ! J’adore quand il y a un certain sens de l’espace, quelque chose d’aéré. En l’occurrence, juste une seule guitare qui fait tout. C’était ce que je voulais dans ce groupe… et l’autre guitariste continuait à jouer ses putains d’accords ! Mais c’était vraiment son groupe, donc…

Vous jouiez quel style de musique ?

De l’indie de cette époque — donc un truc vaguement britpop… Pas particulièrement génial.

Tu écoutais de la britpop ?

Je crois que oui. J’écoutais à l’époque… parce que c’était partout ! (rires) Tu ne pouvais pas bouger sans entendre de la britpop ! Oui, je crois que j’aimais bien certaines choses. Les Stone Roses, je crois que j’écoutais un peu. J’aimais beaucoup Blur. J’aime toujours, d’ailleurs — certaines des choses qu’ils ont faites. Un peu de Pulp, peut-être ; ça a du venir plus tard… Mais à l’époque, ce n’était pas ce que j’écoutais principalement. Je suivais mes études de musique, donc j’écoutais de la musique classique, surtout des compositeurs minimalistes… (Complètement obsédé par le minimalisme !) (rires) Donc j’écoutais tous ces nouveaux compositeurs, qui faisaient des choses que je n’avais jamais entendues avant.

Est-ce que ces cours que tu suivais t’ont été utiles par la suite ?

Oh oui, bien sûr ! Je pense que c’est génial d’entendre tous ces nouveaux sons — même si je me souviens de rien ! Mais je sais que c’est là, quelque part. Et toutes ces idées de structures… Je pense que plus tu écoutes de musique, meilleur tu deviens en tant que compositeur… Je crois !

Est-ce qu’il y a une oeuvre en particulier qui t’a marqué ?

J’ai été très impressionné par la musique minimaliste.

Vraiment !?

(rires) Sérieusement, ça a été une sorte de révélation — c’est un style musical qui m’a marqué en tant que compositeur, si je puis dire. Je trouvais ça très intéressant. Quand j’écoutais ça, il y avait un espèce de pulse, c’était harmonique, mais ça sonnait nouveau, moderne. J’adorais ça. Comme cette composition de Steve Reich, « Desert Music ». C’est fantastique. Très rapide, avec ce pulse de croches… Ca m’a vraiment renversé ! Je vouais sonner comme ça. Je crois avoir fait des pastiches de Philip Glass — vraiment merdiques !

HWB12_LD« Je pense que c’est mon amour du minimalisme ! »

Pendant ton Master, tu as réellement composé pour la télé ou pour le ciné ?

J’ai fait quelques projets. Ca durait une année, j’ai fini mon année, mais… j’étais un peu paresseux. Et s’il y a une chose que j’ai apprise sur ce business, c’est que tu dois vouloir faire ça plus que toute autre chose. Tu ne dois absolument pas vouloir faire autre chose de ton temps ! Tu sais, il faut que tu ne te poses absolument aucune question. Si tu veux réussir, ça doit être ton seul oxygène. Et je n’ai jamais été tant branché que ça là-dessus. Je continuais à écrire des chansons, à produire des trucs… C’est vraiment ça que je préférais : écrire des chansons. Il y a quand même quelques projets universitaires dont j’ai été content. À l’époque je vivais à Londres, j’étais installé avec mon ex-copine. Elle avait des goûts de luxe et elle voulait vivre dans un quartier chic. (rires) Ce qu’on a fait : on s’est installé à Richmond, dans un bel appart. La vie était tellement chère que j’ai commis l’erreur de prendre un job à temps plein, en plus de mes études. Je n’avais pas assez de temps pour tenter de construire une vraie carrière dans ce domaine. Alors que, vraiment, j’aurais dû. Mais quand tu es jeune, tu ne te rends pas compte, tu penses avoir plus de temps que tu n’en as vraiment. Mais ça doit être tellement mieux de faire quelque chose que de… travailler pour quelqu’un d’autre ! C’est ce que j’aurais du faire. Mais c’est facile à dire.

Tu es venu en France après Londres ?

Non, j’ai d’abord passé un an en Australie. J’avais peut-être 25 ans. On en avait marre de Londres, donc on s’est installé à Melbourne. C’était une super expérience. Là-bas, j’ai écrit énormément de chansons. Beaucoup de chansons acoustiques. Je ne les jouais pas vraiment en concert, j’écrivais juste… parce que c’est ce que j’aime faire. Ensuite, je suis rentré d’Australie et j’ai décidé de produire certaines de ces chansons. J’ai vécu chez mes parents pendant six mois, je n’avais pas de boulot, et je me suis dit : « si je peux produire ces chansons, j’obtiendrai peut-être un contrat d’enregistrement » !

Est-ce que ce sont les chansons que j’aie entendues ?

Ah non, non ! Elles étaient complètement différentes de ce que je fais maintenant. Elles étaient plus pop, plus mélodiques, et les paroles étaient moins personnelles. Je crois qu’à l’époque, j’écrivais plutôt des paroles dont je pensais qu’elles pourraientplaire ; elles ne venaient pas vraiment de moi. C’étaient quand même de bonnes chansons, et elles étaient assez bien produites. Mais quand je les ai terminées, je me suis dit que j’avais fait le plus dur… Ensuite j’aurais dû en faire la promo. Mais je n’ai rien fait. Et il n’y avait pas myspace à l’époque ! Donc ça a été un peu décevant… Ensuite j’ai déménagé en France. J’ai travaillé dans un camping en Bretagne pendant trois mois. Je nettoyais des mobile-homes : c’était super ! (rires) Je me suis acheté une guitare et j’ai à nouveau écrit beaucoup de chansons acoustiques. Qui encore une fois ne sonnaient pas du tout comme ce que je fais maintenant. C’était plus folk, finger-picking… Et pour finir, je suis arrivé à Paris.

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