À l’écoute, on dirait qu’il y a une espèce de paradoxe dans tes chansons… Il faut toujours mettre le mot « paradoxe », dans une interview, n’est ce pas ? Il y a un côté chagrin, une espèce d’amertume, mêlés à une ambiance extrêmement dansante. Et par dessus, un côté presque serein, comme si ces explosions se passaient toujours à distance.

Je suis d’origine yougoslave, donc tout ce que tu viens de décrire est, je pense, contenu dans l’histoire des pays de cette zone du monde. « C’est atroce, la vie, c’est atroce, mais dansons quand même ! » Si on veut faire une analyse simpliste, j’imagine que ce n’est pas sans rapport avec cette origine. Tu connais ce proverbe yougoslave ? « Qu’est ce que tu fais, quand tu touches le fond ? Tu creuses ! »

Ah oui, tu ne rebondis pas, tu creuses…

En même temps c’est une blague, c’est drôle, on est là pour rire de ça. Non, je pense que t’as assez bien capté le truc. Au début, en guitare-voix, j’ai tendance à écrire des chansons un peu… Je ne sais pas si je dois dire « sombres », parce qu’il n’est pas question de mal de vivre. J’ai pas du tout le mal de vivre, et en plus ça m’ennuie plutôt d’entendre ça dans les chansons — à part dans celles d’Elliott Smith, mais je ne lui arrive pas à la cheville, alors je ne vais pas faire ça. Donc il n’y a pas du tout de mal de vivre. Il y a beaucoup d’histoires inventées. Peu de chansons parlent réellement de moi ; il y a évidemment des petits bouts de choses, mais je ne parle pas de moi à travers mes chansons. Par contre, je tiens vraiment à ce qu’il y ait sans arrêt… On ne va pas dire « un paradoxe », mais… disons carrément « une dichotomie » ! (rires) N’ayons pas peur de le dire! J’aime bien, en tant qu’auditeur, avoir affaire à ça. Ressentir à la fois une nostalgie, une tristesse, une mélancolie, et en même temps une joie invraisemblable. Je trouve que c’est l’essence de… [elle prend une voix de fausse poseuse] : la vie, tu vois !

« Ressentir à la fois une nostalgie, une tristesse, une mélancolie, et en même temps une joie invraisemblable »

Mais alors si, à la base, les chansons que tu composes en guitare-voix sont un peu mélancoliques, est-ce que tu dirais que les versions de tes chansons jouées à deux musiciens sont plus sombres que les versions à six?

Probablement un peu. Encore que la façon dont je joue en duo avec Mocke n’est pas tout à fait la même que celle que j’ai de jouer quand je compose. C »est beaucoup plus rythmique et compulsif ! Je pense que je joue de la guitare comme je joue de la batterie, en fait.

Tu fais un peu les deux en même temps, quoi…

Un peu comme les Gipsy King, si tu veux. (rires)

On sent que c’est une influence majeure, dans ta musique. Dernière question : la légende dit que vous avez enregistré un bout du deuxième album dans une gare?

Ce n’est pas du tout une légende. Ça m’aurait étonné de faire l’objet d’une légende !

Selon la légende, cet album aurait débuté à l’hiver 2010… J’ai un ami qui est un ingénieur du son yougoslave, qui s ‘appelle Vedran. Il vit la moitié de l’année dans une ancienne gare, en banlieue parisienne. C’est chez lui, mais imagine… Enfin, j’imagine que tu as déjà pris le train… Mais c’est une ancienne gare marchande, une espèce de bâtisse cathédralesque, ça fait dix mètres de haut, avec des portes coulissantes de gare. Il y a une acoustique super, il y a un très beau son dans cet endroit. Donc voilà, on a loué la gare pendant un temps, et il faisait extrêmement froid. C »était l’hiver dernier, et je ne sais pas si tu te souviens, mais il neigeait beaucoup. Donc c’était hyper beau, on arrivait tous les matins, on prenait le RER et on marchait, on s’enfonçait dans la neige, c’était un moment assez féérique. Ça ne durait que le temps du trajet puisqu’ensuite on se caillait horriblement dans cette putain de gare ! On a fait des bonnes choses, mais on en a quand même chié ; on a été obligé de se faire des soupes plus souvent qu’à notre tour ; il faisait très très froid. C’est plutôt un lieu d’enregistrement estival, en fait !

Interview par Camille Hardouin

Voir la page de Fiodor Dream Dog

Follow