Feu Machin


Comment est-ce que vous vendez le Machin (en quelques phrases) lorsque vous devez démarcher ?

Jade Bouchemit : En fait on ne sait pas vraiment le vendre, on a toujours un petit moment de latence quand on nous demande de définir Feu Machin. La question « définissez le style musical de Feu Machin » est la pire question qu’on puisse me poser !

Peut-être est-ce que vous vous débrouillez, justement, pour ne pas avoir à démarcher… !

On ne démarche plus depuis un an environ, je sais pas trop pourquoi, ça s’est un peu fait du jour au lendemain, on n’a plus eu besoin de démarcher mais on n’a jamais cherché à ne plus en avoir besoin.

FEUMACHIN13_AA« On ne sait pas vraiment le vendre »

Est-ce que vous préférez que le public aborde Feu Machin comme un projet autonome ? Ou bien plutôt comme une facette d’un univers plus grand, un élément parmi l’entrelacs de vos multiples projets communs ?

Feu Machin est au carrefour de nos différents projets, donc oui je préfère qu’il soit envisagé comme un élément connecté à ce qui nous anime par ailleurs en tant que groupe et en tant qu’individus.

Vous avez joué en première partie de Deakin (Animal Collective) : mauvais souvenir, vraiment ?

Oui ! On n’était pas bien préparés mais c’était une bonne expérience. Quand tu te foires devant 300 personnes au Point Ephémère, et que t’es à deux doigts de tuer tes partenaires pendant le concert, tu te dis que les prochains concerts ne peuvent que mieux se passer, et tu montes sur scène plus confiant en n’espérant rien d’autre que de t’amuser et de partager un truc avec le public – surtout qu’au final on a eu de très bons retours sur ce concert qu’on croyait foiré.

Dans tes rêves les plus fous, avec quel(s) artiste(s), vivants ou morts, est-ce que tu t’imagines travailler ?

J’adorerais accompagner Louis Armstrong sur « St. James Infirmary Blues ». J’aurais aussi adoré m’enfermer des journées entières avec Delia Derbyshire dans les studios radiophoniques de la BBC ; ou encore plus fou, tenter une adaptation bruitiste de La danse des chevaliers en compagnie de Sergueï Prokofiev.

Est-ce qu’il t’arrive, dans le secret de vos chambres respectives, de composer des pop songs de trois minutes trente, avec couplets et refrains ?

Non, mon truc c’est le bruit. De toute façon je sais pas comment on compose des pop songs, et je n’ai jamais cherché à le savoir. Par contre ça m’arrive d’en écouter.

Conçois-tu l’ordinateur comme un instrument de musique à part entière ?

Bien sûr, c’est le parangon des instruments ! Il n’y a aucune limite avec un ordinateur, on contrôle absolument tous les paramètres d’un son, on le construit de A à Z. En fait c’est assez prométhéen comme instrument – je ne comprends d’ailleurs pas qu’on se pose encore la question de savoir si c’en est un ou pas, à moins d’être un joueur de triangle…

En tant que groupe, quel genre de défi avez-vous envie de relever ? Qu’est-ce qui vous excite ?

Jouer dans une salle remplie de top-modèles à poil… Plus sérieusement, et à titre personnel, faire un concert rediffusé dans tout Paris via d’énormes enceintes placées sur la Tour Eiffel, et un peu partout dans les rues. J’ai un certain penchant pour la prise d’otage sonore…

FEUMACHIN11_AA« J’ai un certain penchant pour la prise d’otage sonore »

La « répétition » caractérise à peu près toutes les œuvres de musique — notamment pop, et particulièrement (bien sûr) lorsqu’elles utilisent des samples. Est-ce que les possibilités offertes par la répétition te semblent (paradoxalement) inépuisables ?

Oui, mais seulement en tant qu’un sample constitue, comme tout autre son d’ailleurs, un matériau hyper modelable. Les triturations qu’on peut lui faire subir sont inépuisables, ça va de la plus infime et quasi-imperceptible modification, qui au fur et à mesure transforme complètement le sample d’origine, jusqu’aux plus radicales et violentes transformations déchirant le sample ou le vidant de sa substance. Enfin, moi je vois les boucles comme ça, ceux qui les utilisent pour se la couler douce sur scène sont des imposteurs.

Après, de manière plus large, à propos de la répétition, je dirais que ça relève de l’acharnement sain, de l’obsession constructive, tout du moins elle en donne l’écho. Et puis la répétition donne un côté organique au morceau, c’est un peu le tronc duquel partent toutes les branches sonores dont les croisements, les interactions et les formes envisageables sont infinies. Mais à chaque musique son rapport à la répétition : je ne pense pas qu’un Steve Reich ou qu’un Philip Glass tiendrait le même discours sur la répétition qu’un Stefano Zito (B.W.H) par exemple.

Typiquement, au départ d’une composition de Feu Machin, que trouve-t-on ? Un son ? Une mélodie ? Un concept ? Une image ?

Un mélange de tout ça, un magma de possibles aussi, on part en improvisation et puis quelque chose en sort, on le garde et on le peaufine. C’est une affaire de sélection au départ. Parfois on essaie de partir d’une idée précise mais le résultat est rarement heureux. Je pense qu’il faut placer sa raison dans son estomac au moment de composer.

FEUMACHIN08_AA« Il faut placer sa raison dans son estomac »

La majorité des personnes qui ont écouté les enregistrements de Feu Machin l’ont probablement fait sur des enceintes d’ordinateur merdiques. Ca ne te rend pas maboul ?

Si, mais la carte son ayant servi aux enregistrements étant elle-même merdique, on ne peut pas jouer les audiophiles outrés de voir leur œuvre trahie par de mauvaises enceintes, même si il y a eu un gros travail au mixage pour gommer le plus possible les défauts liés à un matériel médiocre. Ceci dit, on a enregistré un morceau de Huehueteotl dans le studio sur-équipé d’un ami à Montreuil et le son était tellement propre qu’on ne reconnaissait plus le morceau, quelque chose s’était perdue en route, du coup on l’a ré-enregistré avec notre propre matos.

Vous bossez tous les trois dans ou de la musique ?

Non, je bosse dans l’édition, la communication et l’événementiel. En revanche Édouard bosse dans la musique. Il est notamment passé chez Domino, et en ce moment il s’occupe de la communication et des partenariats chez 3D Family. Samuel voyage, et quand il bosse c’est plus dans des galeries d’art… ou dans des fromageries (pour manger du fromage à l’oeil).

Est-ce que la musique reste aussi excitante aujourd’hui que lorsque tu avais 15 ans ?

Non pas vraiment… plus du tout même. À 15 ans, quand je prenais ma guitare (j’ai vaguement joué de la guitare à mes débuts) j’étais content de moi, même quand je me heurtais aux difficultés que connait tout guitariste. Et puis d’une certaine façon, quand on est jeune, on se met en scène à soi-même, ça participe de la fiction de soi-même à travers laquelle chacun décide de se voir.

Maintenant, quand je triture mes instruments chez moi, j’ai l’impression de partir à l’aventure dans un territoire que je connais bien, ce qui, j’en conviens, est assez paradoxal. Pareil pour les concerts, au début on est super excité et puis on s’habitue, on intègre le fait de monter sur scène dans le corpus de ses qualifications, de ce qui nous définit. J’en parlais il y a longtemps avec un ami et on est arrivé à la conclusion que toutes les passions qu’on peut avoir étant jeune se transforment, à mesure qu’on les pratique un tant soit peu professionnellement, en une tâche à accomplir.

Est-ce que vous êtes du genre « sévères avec vous-mêmes » (collectivement / en tant que groupe, ou individuellement) ?

Je crois que chacun de nous est indulgent envers lui-même et sévère envers les deux autres membres du groupe, ce qui au final forme un bon équilibre je trouve.

Comment fonctionne la démocratie Feu Machin ?

On n’a pas vraiment de fonctionnement démocratique, et puis la démocratie ne renvoie à rien d’autre qu’au cliché qu’elle est devenue. Toutes les décisions sont prises à l’unanimité, on peut se permettre ça quand on n’est que trois…

Est-ce tout de même compliqué d’être un trio ?

Si chacun reste ouvert, on peut trouver des points de jonction qui satisfassent tout le monde. On est tous les trois très différents, tant dans la façon de penser que dans le rapport au travail et à la musique, mais on se connaît bien… et l’amitié, qui parfois en prend un coup, s’avère aussi être un facteur de cohésion du groupe, en permettant de relativiser certaines choses qui n’auraient pas pu l’être en d’autres circonstances.

Interview par Nico Calibre


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