Clint Is Gone


Votre bio explique qu’Antoine écrit des chansons depuis qu’il est tout jeune…

Antoine : Oui, depuis que j’ai appris à jouer de la guitare. J’avais quinze ans. J’ai commencé en piquant des morceaux des Beatles, des raretés, des bootlegs. Je me disais que personne ne viendrait m’emmerder avec ça !

« En piquant » ?

Antoine : Oui, en piquant des accords, des lignes de chant… Il y a un exemple : une chanson abominable qui s’appelle « Sexy Marie ». C’est venu d’un moment de l’Anthology 3 des Beatles, dans lequel John Lennon se met d’accord avec lui-même à propose de « Happiness Is A Warm Gun ». À la fin, on devine qu’il regarde Yoko Ono, et on l’entend chanter en riant : « Yoko Ono Oh-no, Yoko Ono Oh-yeah… » Et je me suis dit : « ça, je vais le piquer, parce que c’est un truc des Beatles ! »

(rires)

Antoine : Il y avait une fille qui s’appelait Marie dans ma classe. Super belle, tous les mecs voulaient se la… Pardon, sortir avec elle. Une petite blonde de campagne ! Elle était très pure… Et j’ai justement inventé une histoire, dans laquelle elle était une grosse cochonne.

(rires)

Julie : À quinze ans ?

Antoine : … qui baisait derrière les vaches !

Julie : Drôle d’image !

Antoine : J’avais quinze ans ! Et les paroles faisaient « Sexy Mari-i-ie, attire les mecs dans son lit ».

Du mauvais Polnareff !

Antoine : Exactement ! Le Polnareff du pauvre ! C’était minable ! Donc j’ai fait ça pendant à peu près un an, et puis j’ai fini par me décomplexer par rapport à la possibilité d’écrire en anglais. Jusque là, je me disais que j’étais français et que je me devais d’écrire en français. J’avais mon éthique ! Et pourtant, j’avais de plus en plus de pulsions qui m’attiraient vers la langue anglaise. À 17, 18 ans (l’époque où j’ai rencontré la nana de Sorry Mum), j’ai commencé à écrire des chansons en anglais. Et ça a tout déclenché, je suis devenu hyper-productif à partir de ce moment là… C’est un cap très difficile à franchir — passer de l’écriture dans ta langue maternelle à l’écriture dans une langue étrangère. J’ai aussi une autre « dérive ». Ma mère est brésilienne, mais j’ai très peu de liens avec la culture brésilienne, et j’ai toujours ressenti ce manque. Je me suis lancé un jour dans l’écriture en portugais après avoir rencontré Chico Buarque. C’était mon héros ! À chaque fête à la maison, on mettait Chico Buarque, ma mère avait avait ses disques… Je l’ai rencontré par un heureux concours de circonstances : je bossais dans un resto de pâtes, et un jour un client me propose de venir jouer au foot avec lui, « Chico Buarque sera là ! » Et voilà, je l’ai vu en chair et en os ! En rentrant chez moi, je me suis dt qu’il fallait que j’écrive là-dessus ! C’est sorti tout seul : « acabei de jogar futebol com Chico Buarque ». Je raconte que j’avais honte de lui prendre la balle, que je lui ai rendue. Chico est un génie mais il est nul au foot. Même moi, j’arrivais à lui prendre la balle ! (rires) Bref, ce moment où j’ai commencé à écrire en portugais, c’était un grand pas pour moi.

Tu me parles des disques de Chico Buarque chez ta mère… Quels ont été vos vos premiers émois musicaux, quels sont vos premiers souvenirs de musique ?

Julie : Mon père est guitariste, grand fan de Led Zep.

Quelle guitare ?

Julie : Bah… Gibson, évidemment !

Fabio : Julie oublie de dire qu’il a sa Gibson, mais qu’il a aussi une guitare qu’il s’est fabriquée lui-même !

Julie : Donc j’ai des souvenirs de Led Zep, j’ai des souvenirs de concerts : j’avais huit ans, avec mes boules quiès et une copine, et on chantait du yaourt sur du Led Zep (parce que mon père joue des reprises de Led Zep).

Il te forçait à écouter ?

Julie : Non, non, il ne me forçait pas, mais ça passait en boucle à la maison. Du coup, j’ai ça dans l’oreille depuis que je suis toute petite. Alors bon, je n’ai pas fait de rock. Quand j’ai commencé à faire de la guitare et à chanter, j’ai été marquée par une chanteuse qui s’appelle Jewel. Elle a sorti un album acoustique,Spirit, sur lequel elle chante avec une voix très pure… J’ai commencé à jouer de la guitare en reprenant ses chansons. Elle m’a beaucoup marqué, et c’est grâce à elle que j’ai commencé à faire des concerts (au début je ne faisais que des reprises). Et puis un autre émoi, pour le violoncelle : je devais avoir 19-20 ans quand j’ai vu en concert une violoncelliste québécoise qui s’appelle Jorane. J’ai pris la claque de ma vie. J’ai pleuré pendant tout le concert, c’était magnifique. Et je me suis dit : « ah la la ! Il faut que je fasse du violoncelle ! » Voilà mes émois !

Fabio, tu as grandi où ?

Fabio : Au Brésil. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de 20 ans ; ça fait quatre ans que je suis en France.

Tu as un souvenir musical qui remonte à ton enfance ?

Fabio : Mes parents n’écoutaient pas beaucoup de musique, mais j’ai un souvenir. C’est mon père qui passait en boucle les vinyles des Beatles le dimanche après-midi à la maison. Et après, ce qui m’a donné envie de venir à la musique… c’était plus le son que la musique elle-même. J’avais un voisin qui avait acheté un petit clavier d’enfant qu’on pouvait brancher, mais qui fonctionnait aussi avec des piles. Donc les enfants l’emmenaient dans la rue, et ça faisait plein de bruits rigolos. Je me suis dit : « moi aussi j’ai envie de faire ces bruits ! » (rires)

Et tu es devenu claviériste !

Fabio : Voilà ! Mais j’ai l’impression que la musique me marque beaucoup plus aujourd’hui que quand j’étais petit. Il y a deux, trois semaines, j’ai vu un concert de Joanna Newsom à la Villette, et c’était peut-être le meilleur concert de ma vie. C’était vraiment impressionnant. Déjà, elle joue de la harpe, c’est quelque chose d’impressionnant à voir. Et elle chante d’une voix… impressionnante ! Il y a un groupe qui l’accompagne : deux violons, un trombone, une batterie…

Julie : C’est une formation qui n’est vraiment pas commune, donc l’oreille n’est pas habituée, je pense que ça touchespécialement.

Fabio : Je venais d’écouter son dernier album, que je trouvais dix fois plus complexe que ses albums précédents. Je me disais que c’était un truc qui n’était pas faisable en live.

Julie : Et en fait, si.

Fabio : Et en fait, si !

Julie : Je parlais tout à l’heure de Jorane, la violoncelliste québécoise. Je pense que c’est un peu pareil : c’est le genre de musique que tu n’entends pas souvent, un peu atypique, une musique assez savante mais qui reste de la chanson. On n’est tellement pas habitué à entendre ça que, même si ça n’est pas trop ton truc au départ, tu es forcément scotché quand tu découvres.

Fabio : En première partie de Joana Newsom, il y avait un type qui s’appelle Roy Harper. À la fin de son set, il a expliqué que ce qu’il cherchait à faire, c’était de repousser les limites de la musique dite « érudite ». Plus exactement, les limites entre la musique érudite et la musique populaire. C’était de la musique érudite… mais ça restait facile à comprendre.

Julie : Oui, ça reste accessible ! Pas comme certaines oeuvres de musique « classique » (j’en ai écouté pas mal pendant mes études) dont tu te demandes comment les gens peuvent les apprécier — des oeuvres de musique contemporaine qui, en ce qui me concerne, me font mal aux oreilles ! Ce que je trouve très fort, c’est de faire de la musique érudite harmonieuse, dans le sens où ça plaît à l’oreille…

Fabio : … et ça touche au coeur.

Antoine, tu m’as dit que tu aimais la musique classique. Qu’est-ce qui te plaît, par exemple ?

Antoine : La Traviata de Verdi. Et surtout Consolation No. 3 de Liszt. C’est une oeuvre lunaire, d’une pureté incroyable. Et ça porte très bien son nom : c’est le sentiment de consolation envers quelqu’un qui est fait musique. C’est une perfection de bout en bout. J’ai souvent été très ému en écoutant ce morceau. (J’ai l’impression d’être sur Radio Classique, là !)

(rires)

Antoine : L’autre oeuvre qui me met K.O., c’est le Ave Maria de Schubert.

Julie : Bien sûr. C’est un truc de fou.

Antoine : J’étais à l’enterrement du grand-père d’un ami et, pendant la communion, cette oeuvre, ce miracle musical a retenti dans l’église. J’avais la chair de poule, je chialais… Tu vois, je ne suis pas croyant… mais la perfection de l’oeuvre est telle que tu as l’impression que Schubert était possédé par une force supérieure. Et ça, c’est la magie de la musique. Un bon morceau, c’est un morceau de magie. Pour moi, la musique forme un tout, et chaque groupe, chaque interprète y prend une part. C’est comme un énorme gâteau, super bon, et chacun y prend ce qu’il veut. Les grands morceaux sont des grosses parts, bien généreuses, dont tu ne te lasses jamais. C’est de la gourmandise ! Tu as des morceaux comme ça dont tu ne lasses jamais : « Strawberry Fields Forever », « Not Dark Yet », « Oh My Sweet Carolina »… Et chacun d’entre nous a sa part de gâteau préférée. On devient boulimique mais on s’en fout, parce que ça ne fait pas grossir, la musique ! (rires)

Quels sont tes premiers souvenirs musicaux ?

Antoine : Ma mère avait un disque génial de Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, qui s’appelle Cheek To Cheek. Ma mère mettait ce disque quand on recevait des gens, et je restais toujours près de la chaîne pour entendre ce [imitant Armstrong] « Hhhhheaven, I’m in hhhhhhheaven »

(rires)

Antoine : J’adorais ce roucoulement primaire…

Et ce sourire dans la voix !

Antoine : Ouais ! On sent sur ce disque qu’ils prennent un plaisir immense à chanter ensemble. C’est ça aussi les grands disques : tu sens le plaisir des gens à chanter ensemble. Sinon, mon « autre premier » souvenir musical, c’est le « Noël de l’usine » qu’organisait mon père dans l’entreprise qu’il dirigeait. Chaque année, mon père nous emmenait au Noël de l’usine, et sur la route on écoutait une vieille cassette sur laquelle il y avait plein de vieux classiques, Jerry Lewis, Elvis, Chuck Berry, etc. Il mettait la musique à fond dans la bagnole, et on chantait tous ensemble en gueulant et en sautillant sur la banquette arrière. On faisait bouger la voiture ! (rires) Je me souviens m’être dit que j’aurais trop aimé être ce chanteur qui faisait « Go, go, Johnny go ! »

Interview par Nico Calibre


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