Clint Is Gone


Maintenant, comme nous le faisons traditionnellement, je vais vous demander de choisir l’une de vos chansons et de nous expliquer son histoire, sa genèse.

Antoine : Chaque chanson a son histoire, bien sûr. Mais on pourrait prendre « Not Alone, On My Own » comme exemple. C’est une chanson que j’ai composée juste après avoir appris que mon ex me quittait pour mon meilleur ami. J’étais tellement dégouté que je suis allé boire des verres avce des copains, et j’avais l’alcool aigre. En rentrant j’ai pris ma guitare et — je ne saurais pas expliquer comment — les accords sont venus aussi naturellement que les paroles. Si je retrouve le manuscrit, tu verrais, il n’y a pas une seule rature. Et je suis super fier de cette chanson parce que, pour la première fois, j’ai réussi à faire ce type de morceau que j’aime. J’ai toujours aimé les titres instinctifs : « About A Girl », « Wonderwall »… Ces morceaux ont toujours une dynamique intrinsèque. Ils ne sont pas le fruit d’une mûre réflexion mais plutôt d’une pulsion. En fait, à une époque j’avais envie de fonder un projet parallèle, plus rock… Je me disais « avec Clint Is Gone, on jouera toujours des trucs calmos ». Je voulais un truc à la Johnny Rivers — je kiffe Johnny Rivers ! Mais un jour, j’ai joué ce titre à une répét’ et Fabio a adoré. Julie a trouvé une ligne de violoncelle qui m’a tout de suite plu, et finalement j’ai abandonné l’idée d’un projet rock !

Julie : « Not Alone, On My Own », c’est une chanson qui trouve son dynamisme dans son architecture musicale : on part d’un accord et on monte de demi-ton en demi-ton. Mais il n’y a pas de refrain. Il y a deux strophes différentes, qui reviennent à chaque fois. C’est pour ça que ça monte en puissance…

Antoine : Ce morceau plaît beaucoup en live, de ce fait-là. Et c’est un titre qui nous a fait avancer sur le plan rythmique. Avant, ce qu’on faisait était très… baloche !

Julie : Non, pas baloche ! Mauvais mot ! C’est juste qu’avec le cajón, on était limité. Et ce morceau a toujours posé problème avec le cajón. Parfois Julien n’en jouait pas en live, il ne se sentait pas à l’aise. On n’arrivait pas encore à « groover » ensemble. Avec la batterinette on n’a plus ce problème.

Depuis cette chanson, Antoine, est-ce que tu as réussi à composer des morceaux de façon aussi immédiate, impulsive ?

Antoine : Presque tous, oui.

Julie : Il faut savoir qu’Antoine est très productif.

Antoine : Je me suis rendu compte récemment que les chansons qui sont sur l’EP et celles qu’on joue en live sont toutes le résultat d’une pulsion. J’ai réalisé que c’était, à chaque fois, des morceaux que j’avais écrits en un rien de temps. Je pense qu’il faut inscrire l’idée de pulsion dans la composition.

Et après la pulsion, Fabio et Julie interviennent ?

Julie Oui. En fait, Antoine amène la base guitare-voix. Et déjà, la chanson se tient comme ça. Fabio et moi, on est là pour apporter nos idées.

Fabio : Quand j’ai commencé à jouer avec Clint, je ne jouais que du piano, et un petit peu de guitare. Et puis, peu à peu, ils se sont rendus compte que je jouais d’autres instruments. Ils ont appris que j’avais une flûte, par exemple… Donc les titres ont énormément changé dans leurs arrangements depuis mon arrivée.

Antoine : Pour les arrangements, c’est Julie et Fabio qui magnifient l’idée de départ. J’arrive par exemple avec l’idée d’une ligne de violoncelle et — c’est là où on voit que Julie est une grande musicienne — elle part d’une idée directrice, et elle va rendre le truc encore plus personnel. Et c’est exactement pareil avec Fabio.

Julie : Et c’est toujours naturel. On est très détendu lors des répétitions. Quand Antoine nous propose une idée, on ne l’écoute pas patiemment avant de prendre nos instruments : on joue directement ensemble, et ça vient. J’ai l’impression que c’est facile — en plus d’être agréable. Tout le monde rêve de faire de la musique aussi facilement, de ne pas se prendre le chou.

Fabio : Sur tous nos morceaux, il y a eu cette même fluidité dans la composition

Julie : Bon, puisqu’il faut bien évoluer, on a récemment trouvé une autre manière de travailler. Antoine a ramené une idée, mais il n’avait pas la structure du morceau. Et cette fois, on l’a vraiment construit ensemble. Donc maintenant, on sait qu’on peut écrire ensemble.

Vous deux, Julie et Fabio, vous écrivez votre propre musique en dehors de Clint Is Gone ?

Fabio : Non, pas vraiment.

Julie : Mais tu as des idées…

Antoine : Tu en as plein !

Fabio : Avant, je faisais des chansons. Maintenant, ca tend plus vers la musique instrumentale, qui pourrait illustrer des films…

Et toi Julie ?

Julie : J’écris des chansons pour mon projet solo. J’ai écrit plusieurs chansons qui pourraient aller dans Clint Is Gone, mais j’aime aussi ma position actuelle dans le groupe. Et Antoine et très productif !

Antoine : J’ai encore plein d’inédits ! Des trucs que je garde depuis des années… Je dois avoir treize ou quatorze cahiers remplis de chansons.

Et quand tu reviens sur tes anciennes compositions, est-ce qu’il t’arrive souvent de penser « non, ce n’est plus moi ! » ?

Antoine : Oui, bien sûr.

Julie : Parfois il n’est pas convaincu que ses chansons soient bonnes, alors que Fabio et moi le sommes. Comme pour « In The Hills ». Tu l’as jouée à une répétition sans y croire, avec flegme, et pourtant Fabio et moi avons adoré ! J’ai tout de suite voulu la chanter.

Antoine : Julie traversait une période de doute, de mélancolie, de grande fatigue. Elle s’est confiée à moi après une répét’, et quand je suis rentré à la maison, j’ai rentranscrit ce qu’elle m’avait dit sous forme de chanson.

Julie : Mais de façon très abstraite.

Antoine : Voilà, ce n’était pas explicite. Quand je lui ai montré la chanson, et elle a tenu absolument à la chanter.

Tu ne savais pas qu’Antoine l’avait écrite en pensant à toi ?

Julie : Non, il ne me l’a dit que plus tard.

Ca t’a fait quel effet ?

Julie : C’est touchant !

Antoine : « It’s not I wanted but I had to, It’s not I wanted but I’d love to, It’s not I wanted but I love you ».

Julie : J’en profite pour dire que ce qu’Antoine écrit, c’est toujours du vécu, des rencontres. Souvent des filles : Nathalie, Angélique…

Antoine : La set-list de Clint est une suite de prénoms !

Le fait d’être songwriter oblige à être impudique ?

Antoine : Écrire des chansons, c’est une excuse, un alibi pour être impudique. Et ceux qui écoutent les paroles y voient ce qu’ils veulent y voir. C’est la magie du truc. Tout le monde a « sa » chanson !

Quelles sont les vôtres ?

Antoine : J’ai longtemps détesté « Yesterday ». Déjà parce que tout le monde résumait les Beatles à cette chanson, que je trouvais boursouflée, trop sentimentale… Mais quand tu romps avec une fille que tu as beaucoup aimé, tu (comprends) la phrase « yesterday love was such an easy game to play ».

Fabio : Pour moi, c’est « The Fool On The Hill », des Beatles également. Le fou qui surplombe les autres du haut de sa colline, qui voit tout autour de lui.

Tu te vois comme un « fool on the hill » ?

Fabio : Non, ce n’est pas seulement moi, je pense que c’est tout le monde. On a chacun son monde, on est chacun le seul être « spécial » au centre du monde dans lequel on vit. Chacun en haut de sa propre colline. On ne peut pas être tout le temps compris.

Julie : Après ça, je ne préfère pas répondre !

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