KIDSAREDEAD / PARTIE I : Band From The Past


Après un jeu de ping-pong vidéo plutôt réussi où les harmonies vocales des Beach Boys avaient été comparées à un programme révolutionnaire, où l’usage excessif de la gamme pentatonique avait été questionné, et le mot « radio » répété, façon Buggles, Polnareff ou encore Hackamore Brick, Kidsaredead revient sur la genèse de son projet, sur sa contrée natale, ses nostalgies et son besoin de complexité.

Nous aimerions tordre le cou à la bienséance et avec indiscrétion te demander ton âge. Tu as déjà une longue carrière, tu sembles avoir démarré très jeune (ou alors il y a très longtemps). Pourtant, ta musique semble dégager une certaine candeur, une certaine naïveté. C’est l’effet premier disque personnel ? L’euphorie de livrer son propre travail au public ?

J’ai commencé le piano très jeune à l’âge de cinq ans. Et la guitare au collège pour draguer les filles. C’est une bonne motivation mais les résultats laissent à désirer. J’ai été au conservatoire jusque l’âge de quinze ans, ensuite j’étais obsédé par « désapprendre ce que j’avais appris », je crois que c’est une phrase que j’ai lu dans une interview de je-ne-sais-plus-qui dans les inrocks à l’époque. Aujourd’hui je suis au contraire en quête de plus de technicité dans mon jeu et je regrette un peu d’avoir renoncé trop tôt à une discipline de travail de l’instrument. Je voudrais être un guitar hero comme Yaya Herman Dune ou Stephen Malkmus. Mais bon, je me suis aussi égaré entre plusieurs instruments. Je suis content d’avoir plusieurs cordes à mon arc et de pouvoir changer de rôle dans un groupe.

J’ai eu un 4 pistes assez tôt, et j’ai très vite fait des reprises des trucs que j’écoutais à l’époque : Lou Reed, les Stones, Frank Zappa, Neil Young… Étudiant, je me suis payé un 16 pistes et quand je suis devenu prof, un protools. Maintenant j’ai envie de revenir au 4 pistes.

A propos de cette impression de candeur, de naïveté que l’on peut éprouver à l’écoute de mon disque… Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas du tout un disque calculé, il s’est construit au fil des années, il est un peu comme un collage de pleins de moments différents de ma vie, il y a un côté best of. Mais le nom du groupe m’a tout de même aidé à trouver cette unité thématique du tombeau de l’adolescence.

Sur l’affiche que l’on trouve dans ton album The Other Side Of Town, on te voit jeune (tu n’as probablement pas plus de 12 ans ?), arborant un chouette T-shirt de Queen. Depuis quand t’intéresses-tu à la musique ? Quels groupes furent tes premiers révélations ?

J’ai eu un déclic au début du collège quand je voyais les jolies filles de troisième écouter des groupes que je ne connaissais pas. Je me suis dit qu’écouter la même musique qu’elles m’aiderait à les comprendre ou à trouver des sujets de conversation communs. Mes premiers disques c’étaient Innuendo de Queen, African Spacecraft de Keziah Jones, un greatest hits de Police, Zooropa de U2 et le premier Toto (rires). Au moment où je commençais à m’intéresser à la musique, mon père m’a fait écouter des trucs qu’il écoutait lorsqu’il était jeune (Queen, Genesis, les Who, etc.) et ça m’a beaucoup marqué. Je me rappelle du jour où je suis revenu à la maison avec A Different Class de Pulp (car j’ai aussi eu une grosse période Britpop) et qu’il m’a dit un peu inquiet un truc du genre : « c’est quand même moins riche musicalement que les disques que tu écoutais jusqu’à maintenant, non ? »

Énormément de groupes qui démarrent – et alors qu’ils n’ont que quelques morceaux à proposer – remixent ou se font remixer ; parfois on a bien du mal à trouver leurs propres productions. Que penses-tu de cette pratique ? Tu imaginerais un de tes morceaux être remixé ? Ou juges-tu qu’une chanson doit exister pour elle-même ?

Je n’ai jamais trop écouté de remixes ; ça appartient plutôt à la culture electro. J’aimais beaucoup Aphex Twin, mais par exemple Autechre, j’ai complétement raté… C’était quand j’écoutais les Beach Boys. Difficilement compatible. Quand j’étais fan de Björk au lycée, j’achetais les maxis. On y trouvait pleins de remixes, c’était nul, ça ne m’a pas trop marqué. Par contre, mon pote Ricky Hollywood en fait beaucoup et c’est toujours mieux que l’original. Un type comme Todd Terje aujourd’hui a l’air d’exceller dans cet exercice.

« L’étiquette indie rock, ça ne veut plus rien dire. C’est le mot qui est mort : c’est du mainstream »

En décembre les créateurs de The Drone donnaient une interview où ils assumaient clairement le glissement de la ligne éditoriale de leur magazine du rock indépendant vers les musiques électroniques : « Aujourd’hui, y’a quoi de plus bourgeois que l’indie rock ? L’indie rock, faut se faire une raison : c’est FI-NI ». Es-tu d’accord avec leurs déclarations fracassantes ? Les vois-tu comme un militantisme en faveur de moins de conformisme de la part du public et de leurs commentateurs ? Est-ce que tu penses appartenir au passé ? Trouves-tu qu’il y a-t-il trop de bourgeois et pas assez de prolétaires qui écoutent ta musique et vont à tes concerts ?

Ouais j’ai des goûts petits-bourgeois, je n’échappe pas à mon déterminisme social. Au moment de créer, je ne ressens pas le besoin de me poser la question de la réception de ma musique en termes marxistes… C’est peut-être un tort !

L’étiquette indie rock, ça ne veut plus rien dire. C’est le mot qui est mort : c’est du mainstream. Et puis c’est une généralisation merdique, je trouve vraiment difficile de faire une problématisation digne d’intérêt en lâchant cette étiquette sans la définir. Ça peut recouvrir tellement de démarches différentes… Quand j’écoute les Dirty Projectors, Deerhoof, ou Cryptacize, entre autres, je ne trouve pas que ces gens font une musique passéiste, muséifiée, sans prise de risque. Des mecs comme Karl Blau ou Chris Weisman dont j’ai parlé dans mes chroniques font exister leur musique avec une économie complètement hors du système dominant. J’ai aussi évoqué quelqu’un comme Stephen Malkmus à qui on pourrait reprocher de refaire sans cesse le même disque, mais pour moi, c’est un putain d’auteur : il fait du Stephen Malkmus et quand il fait une chanson qui déchire, ça déchire.

Je préférerais avoir une conversation sur ce sujet avec Olivier Lamm (ndlr : rédacteur à The Drone magazine) que de faire des théories foireuses tout seul…

« Quand tu réécoutes un groupe que tu écoutais à une période de ta vie maintenant révolue, il y a toujours cette couleur du temps passé qui s’ajoute, c’est inévitable »

Suivons l’hypothèse de la fin de « l’indierock » : dans un futur proche les groupes de rock sont devenus des curiosités ou des vestiges d’un temps révolu, suivis par des fétichistes ou des nostalgiques comme peuvent l’être les groupes de rockabilly aujourd’hui. Tu es devenu un « band from the past », que fais-tu ?

Je pense que quand tu vas voir un grand groupe des années 90, il y a déjà ce côté nostalgique, « band from the past ». Quand tu réécoutes un groupe que tu écoutais à une période de ta vie maintenant révolue, il y a toujours cette couleur du temps passé qui s’ajoute, c’est inévitable. Ces moments où on a rempli notre conscience avec des sons, notre moi s’est confondu un instant avec cette expérience sensorielle, un peu comme confondre son corps avec des fringues classes qu’on ne met plus. Ah !, ce morceau de Frank Black c’est tellement moi en 1995… J’aime cette dimension de la musique qui peut servir de marqueur autobiographique involontaire. La musique de Ricky Hollywood a par exemple achevé de briser mes tabous sur la musique des années 80 et je me suis vraiment délecté à redécouvrir toutes ces sonorités que j’avais longtemps tenues pour honteuses et qui me rappelaient tellement ma propre enfance. C’est tombé pile au moment de la chillwave… La musique de ce documentaire sur le double dutch, j’ai adoré, le morceau Night Hawk de Network Music Ensemble. Mais bon, je m’éloigne de la question.

Ça ne me dérange pas de devenir le band from the past de quelqu’un…au contraire. J’espère qu’il s’agit d’une chanson autoréférentielle à retardement…

Tu tournes avec beaucoup de musiciens et tu participes à beaucoup de projets (Cascadeur, Herman Düne, Variety Lab, etc.). Tu es clairement un « pro ». Quel rôle joues-tu dans ces divers projets, principalement musicien de tournée, studio, ou participes-tu aux compositions ? Comment t’en sors-tu avec cette pléthore de projets ? En as-tu d’autres sous le capot ? Tu as aussi joué avec Fiodor Dream Dog, une de nos obsessions. Que peux tu nous dire de cette période. Qu’est-ce que ce projet t’a apporté ?

Vaste question ! Ça dépend des groupes, ce qui est sûr c’est qu’après avoir fait de la musique dans ma chambre tout seul pendant quinze ans, jouer enfin avec d’autres m’a beaucoup appris ! Chaque expérience m’a apporté quelque chose. Herman Dune, c’était très fort, ça a énormément changé mon approche de la musique. Par exemple, avec Fiodor Dream Dog, j’ai appris les bases du métier, la discipline, l’exigence envers soi-même et respecter ses engagements, arriver à l’heure aux répètes (rires). J’ai adoré la vision des arrangements de Tatiana, cette idée d’envisager la formation rock sur le modèle d’un quatuor à cordes contemporain, je trouve que ça générait beaucoup d’idées inattendues, un idéal de précision de jeu, de dynamique… Tatiana est une musicienne d’une grande expressivité, très exigeante avec sa musique, il y a chez elle une quête d’inouï. Avec Fiodor, l’indie rock n’est pas mort.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta formation live ? Comment as-tu rencontré les musiciens avec lesquels tu joues ? Penses-tu à un quatrième larron pour t’éviter de jongler entre la guitare et le clavier ?

En live nous jouons en trio avec Cristian à la batterie, que je connais depuis que je suis arrivé à Paris, et Vicencio à la basse que j’ai rencontré par l’intermédiaire d’un ami commun l’année dernière. Ils sont tous les deux Chiliens, avec une solide culture rock progressif. On pourrait être plus nombreux sur scène, j’aimerais bien jouer avec un type qui ferait du mellotron ou du juno, avec une section de cuivres, une chorale, mais la formule à trois nous permet d’aller à l’essentiel. C’est un bon exercice après avoir réalisé un album aussi arrangé ! Vicencio et Cristian sont de très bons musiciens, j’ai de la chance de les avoir avec moi.

« Ma génération a baigné dans cette culture américaine, on la trouve partout maintenant. Ça me plait de projeter ces références dans la région où j’ai grandi, et d’en faire un peu comme un 53e État fantôme »

D’où t’es venue cette idée de faire un album autour de ta ville natale, Clouange ? Quel lien fais-tu entre ta musique et le paysage lorrain ? A vrai dire, on imaginerait volontiers autre chose que la Lorraine en écoutant ton album. La Californie, une banlieue galopante… un véritable album de « suburbs » américaines, à nos oreilles.

Je n’ai pas eu cette idée soudainement – « Euréka ! » –  de parler de l’endroit où j’ai grandi. Quand j’ai commencé à faire des chansons, je me suis toujours inspiré de ce que je connaissais. Ça n’est pas vraiment explicite dans les paroles, pourtant, la pochette va clairement dans ce sens. Le disque présente peut-être une Lorraine fantasmée à travers le prisme de la culture anglo-saxonne que j’ai ingurgitée pendant mon adolescence, les disques, les films, les séries télé, etc. Vittorio de Sica disait « Plus un film est local, plus il est universel ». Malgré ma fascination pour cette culture d’outre-mer, j’ai fait de mon mieux pour parler de l’endroit où j’ai grandi. C’est très urbanisé, c’est un peu la grande banlieue du Luxembourg où pas mal de gens vont travailler et de Metz, où on sort le week-end. Une interzone. Si tu veux faire semblant d’être aux States, tu vas sur le parking d’une grande surface, ça marche. La BD « Le Roi des mouches » qui s’inspire de l’Amérique glauque de Charles Burns raconte l’histoire de plusieurs ados paumés dans l’Est de la France. Ricky Hollywood avait trouvé l’expression « Moselle California ». Ma génération a baigné dans cette culture américaine, on la trouve partout maintenant. Ça me plait de projeter ces références dans la région où j’ai grandi, et d’en faire un peu comme un 53e état fantôme.

Tu nous as dit que tu aimais bien dire radio en anglais. Tu évoques cet objet dans « Band From The Past » et « Sistereo » qui est dédoublée sur l’album. Tu poses aussi avec une radio dans ton clip. Est-ce que tu as un rapport particulier avec cet objet ? La radio est-elle une sorte de totem et dont la FM serait l’espace magique ?

J’écoute très peu la radio. J’écoute beaucoup de musique et j’aime avoir l’illusion de choisir ce que j’écoute, bien que mes choix soient guidés par les prescripteurs du bon goût… L’année dernière j’ai passé une semaine à Los Angeles et j’écoutais The Eagle 106.9, une espèce de radio nostalgie, c’était le kiff.

En revanche, j’aime bien les ghetto blaster. C’est à ça que je fait référence dans Sistereo.

« J’adore ce que je fais. Et je refuse de m’interdire quoique ce soit »

Le final de l’album – « Van Dyke Parking Carol » -, a particulièrement retenu notre attention. La structure de la chanson, plutôt complexe est assez difficile à cerner, plutôt pas facile à siffler sous la douche. La chanson comporte de très nombreux ponts, interludes, une très grande fantaisie. Les collages sonores et les chœurs rappellent vraiment les Beach Boys mais c’est à Van Dyke Parks que le titre fait référence. Dans l’interview vidéo, tu nous disais regretter de faire toujours trop compliqué. J’ai plutôt l’impression que tu revendiques cette complexité… Est-ce que, sous le patronage de Van Dyke tu appelles de tes vœux une pop savante, avec une volonté d’aller à rebours de la tendance au minimalisme et à l’efficacité, et l’ambition de proposer de la couleur et de la nuance ?

C’est un morceau qui remonte à quelques années déjà… le mot valise du titre cherchait à faire une double référence à Van Dyke Parks, Carol King – que j’adore -, et aux parkings dont je parlais un peu plus haut. C’est vrai que j’assume ma « complexité », si on peut pousser jusqu’à employer ce terme, et le fait de ne pas tenir au minimalisme et à l’efficacité. La plupart des nouveaux trucs que j’écoute sont très compressés, efficace, et j’ai l’impression qu’il ne se passe plus de musique par là ; le message que je reçois c’est : « tiens, pan dans ta gueule, on a le gros son comme les ricains, hein ! » … Ça m’épuise. Je ne cherche par à définir une formule ou à m’enfermer dans un style. Je fais ce qui me fait kiffer. Et je refuse de m’interdire quoique ce soit.

à suivre…

Propos recueillis par Nicolas Fez et Atlas Ibiza

Crédit Photo : Caroline Raab et Vincent Mougel

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