TEXTES



Nicolas Paugam : passage souterrain


Une chronique dithyrambique de l’Aqua Mostlae débute sur une interrogation à la Pierre Vassiliu : « Qui c’est celui-là » ? Nicolas Paugam traficote une drôle de musique : elle nous a d’abord laissés sceptiques puis pantois. Tropicaliste pour les influences brésiliennes qui caractérisent la structure de ses morceaux, manouche pour la construction des soli ou de certains arrangements, et définitivement « chanson française » pour les textes et les thèmes abordés avec un surréalisme déconcertant, sa musique est aussi riche qu’inclassable. Et pour épaissir le mystère, cette affaire n’est pas récente : bientôt dix ans que Nicolas Paugam accumule les pépites sans faire trop de vagues. Dommage qu’il reste dans l’ombre et ne puisse pas jouir de la réputation qu’il mérite.

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NIGHTRIDERS + MARIE MADELEINE. 23/09/2014. PARIS, Le Point éphémère.


Difficile de manquer la release party de Marie Madeleine, trio messin qui monte, qui monte d’autant que pour saluer les échanges de bons procédés à base de remix mutuel, les Night Riders, obsession Subjective, étaient présents.

 

Au Point Éphémère, devant un public compact et amoureux, nous étions présents dès 20h pour voir Night Riders assurer avec brio la première partie. Ces gens sont en train de faire un joli et mérité carton auprès de ceux qui ont pris au moins une fois le temps de se frotter à leur son rêche et charnel (merci Charlotte).

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Stéphane Laporte : Fourrure Sounds


Au travers des diverses formations auxquelles il appartient, Stéphane Laporte est depuis longtemps l’égérie de nos nuits les plus tripées, de nos balades et de nos errances les plus oniriques. Nous vous parlions déjà de ce mystérieux personnage quand nous mentionnions les noms de Karaocake et de Domotic ; le revoici avec un album sorti chez Antinote le 29 septembre, intitulé chaudement Fourrure Sounds. Selon la légende, il aurait été composé sur un gros tapis entouré d’une kyrielle de machines chacune munies d’un nombre de potards incalculable.

Fourrure Sounds est un album à l’écoute duquel on retrouve une bibliothèque sonore que Stéphane Laporte avait déjà développée par ailleurs : boîtes à rythmes rudimentaires, claviers oscillants et imitant le comportement du thérémine, nappes étirées, échos, etc… Le climat que créé cet ensemble représente à mes yeux une version particulièrement chaleureuse des musiques dites électroniques que je ne retrouve que chez quelques praticiens de l’ambiant anglais et de la kraut la plus épurée des one man band berlinois. A écouter sur un tapis en faisant l’étoile de mer.

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Robbing Millions : sur le bout des doigts


J’ai toujours eu un penchant pour les groupes où l’on sent que les musiciens ont une maîtrise de leur instrument et qu’ils la restituent à leur public avec justesse et parcimonie. Je n’aime pas la virtuosité quand elle n’est qu’un moyen décharné d’empiler les notes, je la préfère quand elle se fait le véhicule de structures et de couleurs musicales originales et innovantes. En bref, la forme au service du fond, et non l’inverse. Car je crois que dans mon esprit, il existe une limite assez claire entre les musiques techniques démonstratives où les partitions sont au service de la dextérité des doigts des musiciens et celles où la technicité des morceaux n’est qu’un élément parmi tant d’autres, un champ de possibilités permettant de désosser les structures pop jouées à l’avance, de creuser vers des sonorités parfois dissonantes.

Ce sont sur ces principes que surfent les cinq de Robbing Millions. A l’écoute de leur premier EP, Ages and Sun, la première chose qui m’a sauté aux yeux, c’était justement la prouesse technique qui se cache derrière des morceaux efficaces, en apparence pop. Quand on met Ages and Sun dans le lecteur et qu’on lance le premier titre, « Tenshihan », le gimmick de guitare met de suite les pendules à l’heure. C’est peut-être une influence des radios belges, telle que Classic 21. En France, pour entendre un morceau de Led Zep ou de Ten Years After, il faut trouver le bon canal, la perle rare. Mais je m’égare, et les choix éditoriaux des radios n’ont sûrement rien à voir là-dedans. Toujours est-il qu’à mon avis, Robbing Millions fait partie de ces groupes qui réintroduisent la virtuosité dans le rock, et d’autant plus dans le rock indé. Car mis à part un panthéon de rock stars sur-médiatisées, les groupes qui en font des caisses en la matière ne sont pas toujours les plus appréciés : les soli trop étirés sont parfois perçus comme des objets musicaux que seul un petit groupe de geeks apprécie, ravis de s’ébahir devant la mobilité des doigts de leurs starlettes. C’est peut être l’époque d’un changement. Le retour des virtuoses, qui se mélangent désormais aux paysages complexes des musiques actuelles, où coexistent musiques sans solo, soli radiophoniques chronométrés et soli d’improvisation.


On peut lire dans les blogs spécialisés que Lucien Fraipont, guitariste et grand manitou de Robbing Millions, est aussi un as du jazz, officiant dans de nombreuses formations de la capitale belge tel que Winchovski. La filiation se trouve donc aussi dans le jazz, et on est pas surpris d’entendre des partitions de guitares où le poids de chacune des notes est géré au millimètre. Pourtant, les Robbing Millions sont bien loin d’une filiation trop évidente avec certains genres, certains classiques. Ils semblent avoir digéré une flopée d’influences variées qu’ils assemblent au gré de leurs envies pour construire ce qui m’est apparu somme toute comme un ovni de la scène rock indé. Les registres abordés sont innombrables, on y trouve une pincée de folk, une once de jazz, un zeste de transe ; bref, un gloubi-boulga à la recette complexe. Mais j’ai l’impression que pour eux, le nerf de la guerre, c’est le trip. Poussez à fond votre ampli et enfoncez deux fois la touche « skip » pour arriver au troisième morceau, celui qui porte le nom de l’EP, « Ages and Sun ». L’intention est assez claire : faire planer. Psychédélique, le mot est lâché. Les voix jumelles se superposent, la basse danse là où on ne l’attend pas, les nappes de clavier apaisent le mouvement… On s’embarque en deux mesures dans leur univers et on oublie finalement assez rapidement que ces cinq fantastiques connaissent leurs gammes sur le bout des doigts.

Par Nicolas Fait

Crédit photo : Marine Dricot



Rentrée 2014 : notre sélection


Été pourrave, nous l’avons tous pensé. Pour la plupart d’entre nous, l’été au sec, c’était l’été à la maison. Il n’y avait plus qu’à lire et à relire, à reclasser sa collection de CD et de vinyles, à espérer qu’un bon hors série estival sorte chez les marchands de journaux. Après avoir lu et relu ; épousseté et trié ses collections respectives de médias musicaux, l’équipe SUBJECTIVE a préparé la rentrée de bon train entre deux éclaircies. D’ici l’arrivée du Père Noël, quatre groupes de la scène émergente de l’hexagone (ou presque) seront à l’honneur dans nos colonnes.

Robbing Millions. Commençons par la Belgique, pour changer. Il s’y passe un tas de choses fantastiques que nous aimerions vous relater avec plus d’assiduité, mais nous avons notre ligne éditoriale : SUBJECTIVE, c’est l’émergence dans l’hexagone. Seul Robbing Millions pouvait nous décider à un faire un pas de côté, à franchir temporairement la frontière. Derrière une esthétique soignée se cache un groupe de virtuoses au service d’un rock indé planant. Rendez-vous dans quelques jours pour en savoir plus.

Nicolas Paugam. Mais qui c’est celui-là ? Une poule pondeuse de mélodies délurées aux empreintes tropicales assaisonnées d’une voix aigrelette. Ex-Da Capo, ses compositions solo évoquent un jazz manouche en vadrouille au Brésil et ses textes tendent vers un surréalisme fringant. Les critiques que l’on peut lire à son sujet sont toutes fraîches et leurs rédacteurs s’étonnent de ne pas en avoir entendu parler plus tôt alors qu’il officie depuis déjà une bonne demi-douzaine d’années. Le banc de ses fans doit une reconnaissance éternelle à l’équipe de la Souterraine qui, au printemps 2014, a décidé d’éditer une compilation de ses meilleurs titres.

Shadow Motel. Nous avions un peu déserté la scène lilloise, de manière tout à fait injustifiée. Nous rectifions le tir avec un focus hivernal consacré à un groupe septentrional déjà largement apprécié. Ce trio aligne les morceaux hypnotiques les uns après les autres, dans un registre psychédélique en noir blanc. Un psychédélisme sans couleur et sans fleur où la transe vient du vrombissement du clavier de la chanteuse et où l’onirisme se niche dans les effets de guitare.

Colo Colo est un (énième) projet de Jean-Sébastien Nouveau, gourou de la scène indé française qui fit beaucoup de bruit avec Les Marquises, formation délirante pour oreilles exigeantes aux membres aussi nombreux que prestigieux (entre autres, Etienne Jaumet et Benoit Burello). Mais le spectre sur lequel glissent les activités musicales de Jean-Sébastien Nouveau embrasse aussi bien les musiques expérimentales que la pop. Avec Colo Colo, ce qui nous plaît ce sont ces mélodies douces et sucrées qui prospèrent sur des structures simples assorties d’arrangements légers et subtils. Si cet été vous avez trop dansé sur de l’eurodance de basse qualité dans les boîtes de nuits douteuses de la côte, ce sera l’occasion parfaite de vous remettre d’aplomb avec une musique qui sait concilier qualité et joie de la piste, mais qui vous évoquera aussi une fin de soirée sur la plage, à contempler les nuages filer dans le ciel étalé de tout votre long dans le sable tiède.

Le tout à écouter sur notre soundcloud :

A très bientôt pour la suite !

Par Nicolas Fez



Marc Desse : Nuit Noire


« Tout recommencer à zéro, tout recommencer à zéro… » J’ai entendu cette chanson de Granville un jour dans ma cuisine. Elle passait sur France Inter, la radio qui permet aux fonctionnaires de rester dans le coup et de deviser à la cantine sur Florence and the Machine et Anna Calvi. Grâce cette programmation, prompte à défendre le service public, je commençais bien ma journée, assez content d’entendre de la pop plaisante et chantée en français, passée aux heures de grande écoute, car quand toute votre vie, c’est avec les radios belges que vous avez fui le désespoir des ondes françaises, il est toujours étonnant d’y entendre ce qui se rapproche d’une bonne chanson.

Les mentalités évoluent et le bon goût est entré dans les chaumières un peu en même temps que l’ADSL. Les Mustangs, La Femme et Aline remplissent les salles et les festivals, les Fauves et les Feu! Chatterton font déjà de même… Demain bien d’autres suivront et c’est plutôt réjouissant au fond. Oui, ça chante en français, de plus en plus et dans tous les genres de la pop. « Tout recommencer à zéro », quel beau programme tout de même… Ces jeunes gens vont certainement tout mettre à plat et c’est bien, c’est prometteur. Fini le passéisme, la musique à papa et les disques à papa jamais dépassés. Sauf que les paroles, c’est « tout recommencer à Jersey » et j’ai été un peu déçu en l’apprenant. Se promener aux îles anglo-normandes, faire de la planche à Biarritz, penser aux copains ou regarder le ciel, ça ne révolutionne quand même pas le monde. En tout cas c’est toujours rafraîchissant. Ça tombe bien l’été commence.

Marc Desse, notre nouvelle obsession, sort au mois de juin un disque hivernal, aux chansons solitaires. Il a organisé récemment un festival rassemblant de l’autre côté du périph’ ce qui pourrait ressembler à la dream team de la nouvelle pop française. Lui, on le décrit comme un peu à part, détonnant parmi ces nouveaux jeunes gens modernes. C’est aussi notre avis. C’est d’ailleurs en cherchant des chansons de Jean Néplin – Rita Mitsouko maudit et jeune homme plutôt détonnant (les algorithmes font décidément bien les choses) – que je suis tombé sur la chaîne youtube de Marc Desse. Que des hits: « Petite Anne », « Des gens honnêtes », « Mona et moi » ou « Vidéoclub »: pour moi l’affaire était entendue. Desse, c’était un esthète, un type qui connaissait ses classiques par cœur et qui avait exploré à fond le moindre recoin du meilleur de l’electro-pop des années 1980. J’avais tout de suite aimé ses chansons limpides, équilibrant guitares aigrelettes et synthés rétros. Une voix douce et profonde, qu’il avait le bon goût de marier parfois à un chant féminin, évoquant les délicieuses chansons d’Elli et Jacno, lui donnait juste ce qu’il faut de charme et de mystère pour emballer, peser et expédier le tout. En tant que fan de pop en français j’avais ma dose, et je trouvais qu’il remplissait largement le cahier des charges du bon artiste émergent.

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GRINDI MANBERG


Lumberton est une petite ville de Robeson County en Caroline du Nord, semblable à des milliers de petites villes américaines. Downtown, les distractions sont rares : les connaisseurs pourront éventuellement visiter la maison natale de l’actrice pornographique Carmen Hart, et les inconditionnels de l’American Football pousser jusqu’au domicile des parents de Vonta Leach, le fameux fullback des Baltimore Ravens. Aux alentours, les rapides de la Lumber River séduiront les adeptes du canoë, tandis que les passionnés d’ethnographie amérindienne se délecteront d’une promenade en territoire Lumbee dans les forêts avoisinantes. Mais pour le touriste standard, rien ne justifie un détour ou un séjour prolongé : la Lumberton réelle est une communauté résidentielle sans surprise, dont les attraits ordinaires sont vite épuisés.

La Lumberton rêvée par David Lynch est autrement plus mystérieuse. « She wore blue… ue… velvet, bluer than velvet was the night, softer than satin was the light… ». Rose rouge contre barrière blanche, sur fond de ciel bleu.  Un pompier sorti des playmobil agite la main en souriant, perché sur le marchepied de son camion. Des petits enfants traversent la rue en sautillant pendant qu’un retraité arrose son parterre de tulipes jaunes. Images radieuses de l’Amérique éternelle. Cartes postales d’insouciance. Soudain, le tuyau d’arrosage se coince dans un arbuste et la mécanique de l’autosuggestion se dérègle. Le retraité se tord de douleur. Il s’effondre en se tenant le côté de la tête. La caméra s’enfonce dans les herbes, dans la terre : entourée par la masse grouillante des décomposeurs, git une oreille déchiquetée. Dans les petites villes américaines comme Lumberton, le trompe-l’œil est un cache névrose ; il suffit de déplacer le miroir dans lequel la classe moyenne arrange son maquillage pour révéler les foyers de perversions, de violences et d’inquiétudes qui l’ont depuis longtemps infectée. Dorothy Vallens est le symbole de toutes les victimes cachées de l’American psycho. Le rôle est joué par Isabella Rossellini, la fille d’Ingrid Bergman. Ingrid Bergman… Grindi Manberg.

Fantasized Lumberton est le premier EP de Grindi Manberg. Un EP qu’apprécierait sûrement d’écouter Lynch et qui ne dénoterait pas dans la bande originale de son prochain film, à côté des mélodies Badalamentiennes de rigueur. Pour la description objective de son style « electro-new wave », consultez la presse spécialisée. On n’évoquera ici ni les « synthés entêtants » ni les « guitares saturées aux accents psychédéliques ». Ces resucées d’adjectifs qui lassent les lecteurs et les artistes ont fini par ne plus plaire qu’aux chroniqueurs eux-mêmes qui s’écoutent parler de la musique.

Tout commence par des coups frappés contre une porte. Deux coups brefs suivis d’une sorte de claquement plus long qui continueront pendant tout le morceau d’ouverture, « Nitrogenous Wind ». Quoi de plus inquiétant qu’un homme s’obstinant à frapper contre une porte qui ne s’ouvre pas ? Peut-être qu’il y a là une métaphore de la place occupée par la musique dans la vie de Romain Thominot : une cure, comme il dit. Qu’on soit clair, jamais la porte ne s’ouvrira. Mais l’instrumentation comme une trainée d’azote aux propriétés lévitantes permet à l’homme coincé derrière de se dédoubler, et d’échapper partiellement à l’attraction gravitationnelle de la norme. La voix fait le reste : en s’élevant, elle dévoile un décor ; et tous ceux qui s’agitent à l’intérieur sans avoir conscience d’être dans un théâtre ressemblent à des pantins étranges et absurdes.

Un autre morceau que j’aime bien : « Marine has the key ». Le dernier morceau de l’EP. Comme une réponse à l’énigme de la porte au début : on a retrouvé la clef mais elle est possédée par quelqu’un d’autre, qui ne la rendra pas. C’est la plainte d’un homme accablé par le sentiment de l’irrémédiable. Il faudrait l’écouter en lisant par exemple La chute de la Maison Usher, de Poe : « Pendant toute une journée d’automne, journée fuligineuse, sombre et muette, où les nuages pesaient lourds et bas dans le ciel, j’avais traversé seul et à cheval une étendue de pays singulièrement lugubre, et, enfin, comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en vue de la mélancolique Maison Usher ». On retrouve les mêmes paysages hantés par les souvenirs fêlés, la fatalité pour seule compagnie fiable du héros solitaire.

L’étrange texture musicale de Grindi Manberg, à double fond, à double face, donne envie d’y déposer des histoires. Un matin, la danseuse érotique Carmen Hart serait retrouvée noyée dans les eaux de la Lumber River. Les soupçons se porteraient sur son petit ami, le footballeur Vonta Leach, mais le détective en charge de l’enquête, connu pour ses méthodes peu orthodoxes, l’innocenterait après avoir pratiqué un vieux rituel des Indiens Lumbee. Un nommé Robeson lui apparaitrait en rêve… Robeson comme le County ? Ou plutôt Robertson… Bob ? Attendez, cette histoire existe : c’est Twin Peaks !

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